Réf. : Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-45.331, Société financière FDI c/ M. Jacques Crozier, F-P (N° Lexbase : A8208DYN)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail. |
1. La compétence d'attribution de conseil de prud'hommes
Fixée par l'article L. 511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT), la compétence d'attribution des conseils de prud'hommes s'étend à tous les différends individuels nés à l'occasion du contrat de travail, quelle que soit la profession et quel que soit le chiffre de la demande (v., sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1322 et s.).
Il résulte de cette formule que l'existence d'un contrat de travail est le premier critère de la compétence du conseil de prud'hommes. Par suite, et de manière relativement évidente, cette juridiction spécialisée n'a pas à connaître des litiges qui ne trouvent pas leur source dans un contrat de travail, sauf à ce qu'une disposition légale en dispose autrement. La juridiction prud'homale est, ainsi, incompétente pour examiner les litiges relatifs à l'exploitation d'une invention du salarié (Cass. soc., 18 février 1988, n° 85-40.213, M. Portier c/ Société anonyme Soletanche et autre, publié N° Lexbase : A6722AA9 ; Bull. civ. V, n° 126) ou relatifs au travail pénitentiaire (Cass. soc., 17 décembre 1996, n° 92-44.203, M. Jean Glaziou c/ Etat, Ministère de la Justice, Maison d'arrêt, inédit N° Lexbase : A1173CWD ; Dr. soc. 1997, p. 344, obs. G. Giudicelli-Delage et M. Massé).
Cela étant, et dans la mesure où l'article L. 511-1 vise les litiges nés "à l'occasion du contrat de travail", il convient de se demander si la compétence du conseil de prud'hommes peut être retenue lorsque la convention en cause s'avère être l'accessoire du contrat de travail. On sait que le contrat accessoire suppose un autre rapport qu'il complète. Ce rapport, que l'on qualifie de "contrat principal", est celui qui, par lui-même, permet d'atteindre le résultat escompté par les parties (Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2007, § 409).
Ainsi que le relèvent MM. Pélissier, Supiot et Jeammaud, "la compétence prud'homale ne se retrouve à propos des conventions accessoires au contrat de travail, que si la demande présente un lien direct et nécessaire avec le contrat de travail" (ouvrage préc., p. 1326). Il en résulte, par exemple, que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des litiges nés de l'exécution d'un contrat d'assurance groupe souscrit par l'employeur au profit de l'ensemble du personnel et qui constitue un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail (Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 96-44.688, Société Sicasov c/ M. Samson, publié N° Lexbase : A8094AGU ; Bull. civ. V, n° 34 ; v. aussi, Cass. soc., 8 mars 1995, n° 91-45.445, Société anonyme Pont à Mousson c/ M. Onelio Pinzin et autres, inédit N° Lexbase : A3874AAQ : litige opposant des salariés à leur employeur relatif à l'exécution des contrats d'assurance décès-invalidité souscrits par la société à leur profit pour la couverture des risques professionnels, ces contrats d'assurance constituant un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail).
De même, il a été jugé que l'octroi, par l'employeur, à un salarié, d'une option donnant droit à une souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-45.479, FS-P+B N° Lexbase : A8041DIN ; Bull. civ. V, n° 207 ; JCP éd. S, 2005, 1183, note B. Boubli). Cette solution doit être approuvée. En effet, l'option d'achat ou de souscription d'actions, dont on sait aujourd'hui qu'elle entre dans la catégorie des contrats (Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n° 03-30.709, Société Thales training et simulation (TTS), FS-P+B N° Lexbase : A5813DKI ; JCP éd. S, 2005, 1417, note R. Vatinet), constitue, à n'en point douter, un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail. Cela est d'autant plus vrai que, bien souvent, la promesse stipule que la perte de la qualité de salarié entraîne la perte du bénéfice de l'option.
En l'espèce, les juges du fond s'étaient, sans doute, inspirés de cette jurisprudence pour décider que le conseil de prud'hommes de Chambéry était compétent pour statuer sur la demande du salarié relative à sa qualité d'actionnaire. Pour ce faire, ils avaient retenu que les demandes tendaient à obtenir l'évaluation d'un préjudice résultant de la mise en oeuvre de la levée d'options par les investisseurs, le prix de vente des actions variant selon que la cessation du contrat de travail procédait d'un licenciement ou d'une démission.
On ne peut manquer de relever le caractère quelque peu paradoxal de cette argumentation, dans la mesure où, si les demandes du salarié étaient relatives à sa qualité d'actionnaire, il y a tout lieu de penser que n'était pas en cause, en l'espèce, une convention accessoire au contrat de travail.
2. Un pacte d'actionnaires ne constitue pas un accessoire au contrat de travail
Conclus en marge des statuts de la société, les pactes d'actionnaires sont des conventions soumises, en tant que telles, au droit des contrats. Dès lors qu'ils ne portent pas atteinte aux règles impératives du droit des sociétés, leur validité ne prête pas à discussion. Selon une doctrine autorisée, ces pactes peuvent être rangés en deux catégories : les pactes relatifs aux mouvements d'actions et les pactes relatifs au fonctionnement de la société (M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 20ème éd., 2007, § 709).
De manière plus générale, on peut avancer que les pactes en cause visent à organiser les rapports entre actionnaires. Par suite, et alors même que ces derniers peuvent être, par ailleurs, titulaires, comme en l'espèce, d'un contrat de travail, les pactes d'actionnaires ne sauraient être regardés comme l'accessoire de ce contrat qu'ils viendraient compléter. En d'autres termes, il n'est nul besoin d'être lié par contrat de travail pour, ensuite, conclure un pacte d'actionnaires.
Il faut, en conséquence, approuver la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail.
Cela étant, il semble que, pour fonder sa décision, la Chambre sociale accorde plus d'importance à l'instrumentum qu'au negotium. En effet, et bien que l'arrêt rapporté manque singulièrement de clarté sur ce point, il apparaît que le pacte litigieux avait trait à la levée des options par les salariés. Pour autant, il est affirmé, par ailleurs, que le salarié sollicitait l'indemnisation du préjudice résultant de sa qualité d'actionnaire.
Cette décision démontre, une nouvelle fois, la confusion des genres à laquelle peut conduire le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social ou, encore, le cumul des qualités de salarié et d'actionnaire. Pour en être convaincu, il suffit de se référer à la situation dans laquelle des options de souscription ou d'achat d'actions sont consenties à un mandataire social, titulaire d'un contrat de travail. Il importe, dans un tel cas, de déterminer avec précision si les options lui sont attribuées au regard de sa qualité de mandataire social ou de salarié. Car, si un litige venait à survenir par la suite, la juridiction prud'homale ne serait compétente que dans le second cas, et non dans le premier.
Décision
Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-45.331, Société financière FDI c/ M. Jacques Crozier, F-P (N° Lexbase : A8208DYN) Cassation partielle sans renvoi (CA Chambéry, chambre sociale, 19 septembre 2006) Texte visé : C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT) Mots-clefs : conseil de prud'hommes ; compétence d'attribution ; litiges nés à l'occasion du contrat de travail ; convention accessoire ; pacte d'actionnaires. Lien bases : |
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