La lettre juridique n°279 du 1 novembre 2007 : Famille et personnes

[Le point sur...] Les clauses de non-divorce dans les donations conjugales

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N9514BCD

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Avril 2012

La liberté du mariage implique la liberté de se marier ou de ne pas se marier. Bien qu'elle ne soit consacrée à titre autonome par aucun texte en droit positif français, elle a été reconnue par le Conseil constitutionnel comme un principe à valeur constitutionnelle. En effet, le mariage civil est une institution si étroitement liée à la liberté que le Conseil constitutionnel a fait de "la liberté du mariage" un principe constitutionnel, d'abord considéré comme une composante de la liberté individuelle (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 N° Lexbase : A8285ACT, JO 18 août 1993, p. 11722), puis, désormais, présenté "comme une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789" (décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité N° Lexbase : A1952DAK, JO 27 novembre 2003, p. 20154). Aussi, la question s'est posée de la validité des clauses qui y portent atteinte, soit en restreignant directement la liberté de se marier, soit, indirectement, en restreignant la possibilité de divorcer et, par suite, celle de se remarier. Ainsi, une clause de célibat -ou de viduité-, par laquelle un avantage est consenti en contrepartie du renoncement d'une personne au mariage, est-elle concevable ? La pression exercée sur la volonté est-elle licite ? La jurisprudence ne valide ni n'annule systématiquement ces clauses et fait une distinction selon que la clause litigieuse figure dans un acte à titre gratuit ou dans un acte à titre onéreux. S'agissant, en effet, des clauses figurant dans des libéralités, la jurisprudence établit une distinction selon que le mobile qui a inspiré l'auteur de la libéralité est, ou non, légitime : par suite, alors que, dans le premier cas, la clause est valable, elle est illicite dans le second. S'agissant de clauses, notamment de célibat, figurant dans un acte à titre onéreux, le plus souvent dans un contrat de travail, elles sont en principe nulles, sous réserve que la limitation à la liberté du mariage, en l'occurrence à la liberté de divorcer en vue de se remarier, ne soit pas dictée par des considérations entrées dans le champ contractuel : ainsi, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, a-t-elle admis qu'il pouvait être très exceptionnellement porté atteinte à la liberté du mariage lorsque les convictions religieuses d'une institutrice avaient été prises en considérations lors de la conclusion de son contrat de travail avec une institution religieuse catholique attachée à l'indissolubilité du mariage (1). Tout cela est, à vrai dire, aujourd'hui parfaitement entendu.

Plus complexe est sans doute la question de la validité des clauses de non-divorce, c'est-à-dire des clauses qui posent une condition de perpétuité du mariage, dont le contexte privilégié est celui des donations faites entre époux pendant le mariage (donations conjugales). La validité de ces clauses, admise par les juridictions du fond (2), a été consacrée par la Cour de cassation par un arrêt de sa première chambre civile en date du 13 décembre 2005, affirmant "qu'aucune disposition légale n'interdit à l'époux qui consent une donation à son conjoint pendant le mariage d'assortir celle-ci d'une condition dont l'inexécution entraînera la révocation" (3). Et la Cour a ajouté que la condition de persistance du lien matrimonial "n'est pas en soi illicite et est justifiée, sauf intention de nuire, par la nature même de cette libéralité". Mais la loi du 26 mai 2004 relative au divorce (loi n° 2004-439 [LXB= L2150DYB]) a, sans doute, quelque peu bouleversé l'ordonnancement du droit positif et conduit, aujourd'hui, à distinguer entre donations de biens futurs et donations de biens présents.

Les donations de biens futurs faites pendant le mariage continuent, comme avant la loi du 26 mai 2004, à être librement révocables par le disposant. Cette libre révocabilité est, même, aujourd'hui consacrée par nouvel article 1096, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L0263HPG ; à noter que les modifications opérées sur cet article par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4, n'ont aucun impact sur le fond de la disposition). Aussi bien le nouveau droit des donations conjugales ne semble pas s'opposer à la stipulation dans une donation de biens futurs d'une clause de non-divorce. Tout au plus faut-il relever que l'utilité de la stipulation d'une telle clause a aujourd'hui peu d'intérêt : elle est, en effet, sous entendue à l'article 265, aliéna 2, du Code civil (N° Lexbase : L2830DZT), dans sa rédaction issue de la loi du 26 mai 2004, qui a, sur ce point, consacré la pratique notariale. Ce texte dispose, en effet, que "le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial [...] et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus". C'est donc aujourd'hui à l'auteur de la libéralité qu'il appartient d'exprimer sa volonté contraire.

S'agissant des donations de biens présents, la loi du 26 mai 2004 a rompu avec les dispositions antérieures en abrogeant l'ancienne règle de la révocabilité ad nutum des donations conjugales de biens présents. Le nouvel article 1096, alinéa 2, du Code civil, qui en est issu, dispose que "la donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958", c'est-à-dire pour cause d'inexécution des conditions et charges ou pour cause d'ingratitude. Aujourd'hui, ces donations sont intégrées dans le giron de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY) relatif à la règle de l'irrévocabilité des donations ordinaires entre vifs. De plus, cette irrévocabilité des donations conjugales de biens présents, même en cas de divorce, est aujourd'hui spécialement prévue par le nouvel article 265, alinéa 1er, du Code civil, aux termes duquel "le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme". Ainsi la clause de non-divorce stipulée dans une donation de biens présents pourrait être, aujourd'hui, considérée comme une condition illicite au sens de l'article 900 du Code civil (N° Lexbase : L0040HP8) et donc nulle parce que contraire à l'article 265, alinéa 1er. Encore faut-il, pour qu'il en aille ainsi, que l'article 265, alinéa 1er, soit d'ordre public. Les travaux préparatoires sont assez incertains sur ce point, encore que l'on pourrait être tenté d'en déduire un principe de refus de toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de faire céder la règle de l'article 265. La doctrine est, elle, favorable à ce que l'on puisse contractuellement prévoir par une clause de non-divorce que les donations de biens présents soient révocables en cas de divorce ou du fait du divorce. Plusieurs arguments sont d'ailleurs avancés : la contractualisation croissante du droit de la famille, l'incompatibilité de l'irrévocabilité absolue de ces donations, qui constituerait une atteinte à la liberté de disposer, avec la reconnaissance, fût-elle implicite, d'un "droit au divorce" depuis la loi du 26 mai 2004 (du fait, notamment, de l'admission d'un divorce pour altération définitive du lien conjugal)... C'est dire qu'il convient de suivre avec attention la jurisprudence sur cette question.


(1) Cass. Ass. plén., 19 mai 1978, n° 76-41.211, Association pour l'éducation populaire (N° Lexbase : A9566AAK), D. 1978, p. 541, note Ph. Ardant.
(2) Voir, not., CA Rennes, 14 février 1972, JCP éd. G, 1975, II, 17934, note A. Bénabent ; plus généralement, sur la question, N. Coiret, La liberté du mariage au risque des pressions matérielles, RTDCiv. 1985, p. 63.
(3) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-14.135, Mme Pascaline Garel, veuve Bebin c/ Mme Myriam Bebin, FS-P+B (N° Lexbase : A0330DM8), Bull. civ. I, n° 491.

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