Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5698NST)
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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Rouen
le 05 Novembre 2015
Traitement fiscal des loyers impayés conditionné par les diligences accomplis en vue de les recouvrer. Le traitement fiscal des loyers impayés dépendrait des diligences éventuellement accomplies par le bailleur en vue de les recouvrer (exemples : demande d'injonction de payer auprès du tribunal d'instance, signification par un huissier de justice d'un commandement de payer, inscription de la somme due au titre de la procédure de surendettement des particuliers...). Cette solution n'est pas nouvelle (dans le même sens : CE, 7° et 8° s-s-r., 26 juin 1992, n° 72164, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6963ARC ; CE, 8° et 9° s-s-r., 23 novembre 1977, n° 98227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7624AYZ). L'administration fiscale adopte la même position (BOI-RFPI-BASE-10-10-20140214, n° 70 N° Lexbase : X4941ALL). Cela conduit à distinguer deux cas de figure :
- le premier correspond à la situation dans laquelle le bailleur démontre qu'il a accompli des diligences (même non suivies d'effets) afin de tenter d'obtenir le recouvrement des loyers impayés. Cette démonstration permet d'éviter la fiscalisation du bailleur et de son locataire à hauteur des sommes dues ;
- le second est celui dans lequel les mesures de recouvrement diligentées à l'encontre du locataire défaillant sont soit inexistantes, soit insuffisantes ou soit tardives. D'après la solution dégagée par le juge fiscal, il faudrait alors admettre que le bailleur, d'une part, consentirait une libéralité à son locataire et, d'autre part, devrait faire apparaître les loyers impayés parmi ses revenus imposables.
Admettre l'existence d'une libéralité, en l'occurrence d'une donation indirecte, c'est admettre le droit pour les services fiscaux de réclamer des droits de mutation à titre gratuit au locataire. Entre personnes non parentes, non mariées et non pacsées, ces droits sont calculés au taux de 60 % sans abattement (CGI, art. 777 N° Lexbase : L4680I7H).
Admettre que les loyers impayés soient imposables entre les mains du bailleur, c'est admettre que ces loyers soit diminuent le déficit foncier de ce bailleur, soit augmentent l'assiette de ses prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (prélèvements sociaux calculés au taux global de 15,5 % : 8,2 % de CSG, 0,5 % de CRDS, 4,5 % de prélèvement social, 0,3 % de contribution additionnelle au prélèvement social et 2 % de prélèvement de solidarité) et de l'impôt sur le revenu de son foyer fiscal.
En l'espèce, la locataire ne s'est acquittée au titre de 2004, que de six mois de loyer sur une période de location d'une durée, a priori, de huit mois (la location avait été consentie le 26 avril 2004) et, au titre de 2005, que de la moitié des loyers. En appel, le juge fiscal a, d'abord, souligné que la locataire avait rencontré des difficultés financières après avoir contracté différents emprunts sans rapport avec ses capacités de remboursement. Mais le début de ces difficultés se situait au plus tôt au printemps 2005. Ensuite, le requérant avançait également, sans toutefois le démontrer, que les difficultés financières de sa locataire étaient liées à la prise en charge par celle-ci de son père souffrant. Enfin, le bailleur s'était "contenté" d'inscrire sa créance dans le cadre de la procédure menée devant la commission de surendettement des particuliers. Cependant, le juge fiscal a estimé que cette seule mesure était insuffisante.
Une improbable libéralité consentie au locataire. L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 1er octobre 2015 énonce que le bailleur doit être regardé comme ayant consenti une libéralité à sa locataire en renonçant à percevoir les loyers dus par celle-ci. En procédant de la sorte, le bailleur accorde à sa locataire un avantage qui résulte d'un acte autre qu'une donation.
Cependant, la constatation de l'abandon par le bailleur des loyers ne permet pas à elle seule de caractériser l'existence d'une donation indirecte (En ce sens : CA Dijon, 1ère ch. civ., sect.C, 21 février 2012, n° 10/02255 N° Lexbase : A9282ID7 : le déséquilibre d'une opération ne constitue pas, en soi, la preuve d'une donation indirecte). En effet, la reconnaissance d'un avantage indirect est subordonnée à la preuve d'une intention libérale (Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, n° 10-25.685, FS-P+B+I N° Lexbase : A8695IAB ; Cass. com., 11 avril 2012, n° 10-27.235, FS-P+B N° Lexbase : A6018IIQ ; Cass. civ. 1, 18 janvier 2012, n° 11-12.863, FS-P+B+I N° Lexbase : A8698IAE. Antérieurement à ces arrêts, le bénéficiaire d'un avantage indirect en devait compte à ses cohéritiers, même en l'absence d'intention libérale établie : Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 03-13.890, P+B N° Lexbase : A5927DL4). Le fait, pour le bailleur, de ne pas chercher à recouvrer le montant des loyers qui lui sont dus (ou de le faire tardivement ou de façon inefficace) n'est donc pas de nature à caractériser ipso facto l'existence d'une donation indirecte.
Par ailleurs, il est envisageable que l'absence de recouvrement par le bailleur de sa créance soit dictée par un devoir moral ou un devoir de conscience envers un locataire confronté à des difficultés financières. Cela est de nature à fonder l'existence d'une obligation naturelle. Le fait d'exécuter cette obligation en s'abstenant de réclamer les loyers dus a pour effet de transformer cette obligation en obligation civile (en ce sens, s'agissant de la transformation de l'obligation : Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 04-19.099, F-P+B N° Lexbase : A6752DPR ; Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-18.904, F-P+B N° Lexbase : A8662DEK ; Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-20.300, publié au bulletin N° Lexbase : A6097ABG). Sous cet angle, le bailleur ne consent pas une libéralité à son locataire dans la mesure où l'absence de diligences en vue du recouvrement de sa créance lui permet de se libérer de l'obligation civile qui pèse sur lui.
Imposition entre les mains du bailleur des loyers non encaissés. La solution adoptée par le Conseil d'Etat est bâtie sur l'article 12 du CGI (N° Lexbase : L1047HLD). Celui-ci dispose que l'impôt sur le revenu "est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année". La règle édictée par l'article 12 du CGI est une règle générale. Son application est écartée en cas d'existence de règles spécifiques aux différentes catégories d'imposition. Tel est le cas en matière de revenus fonciers où la "disponibilité" des revenus cède la place à la date de leur perception (CGI, art. 29 N° Lexbase : L1068HL7). Il s'agit d'une comptabilité de caisse. Le revenu brut foncier et les charges de la propriété sont respectivement constitués par les sommes encaissées et les sommes décaissées au cours de l'année d'imposition. Le juge fiscal raisonne en termes de créances en acceptant l'imposition de loyers non encaissés. Cela revient à délaisser la comptabilité de caisse prévue en matière de revenus fonciers par l'article 29 du CGI au profit d'une comptabilité d'engagement. Or, seule la location meublée ou équipée procure des bénéfices industriels et commerciaux imposables dans le cadre d'une telle comptabilité (v. plus particulièrement sur le champ d'application des revenus fonciers : nos obs., Précis de droit fiscal de la famille, préc., n° 48 et s.). Une comptabilité d'engagement offre la possibilité de constater par voie de dépréciation l'incertitude affectant le recouvrement des créances afférentes aux loyers impayés. Rien de tel en matière de revenus fonciers.
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