La lettre juridique n°631 du 5 novembre 2015 : Éditorial

L'a-chimie de l'e-commerce

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L'a-chimie de l'e-commerce. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/27042634-lachimiedelecommerce
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 05 Novembre 2015


Plus de 51 milliards d'euros de chiffre d'affaires, plus de 600 millions de transactions, 33,8 millions d'acheteurs sur internet (sources FEVAD 2013)... On comprend qu'il est bien loin le temps où la web économie, le e-commerce, s'apparentaient à la Conquête de l'Ouest. Désormais, les règlements de compte d'OK Corral se déroulent, à pas feutrés, dans les prétoires, hors Tombstone. Et, les dernières joutes en date révèlent une intensification des actions visant à lutter contre le parasitisme dont certains sites s'estiment victimes.

Ce parasitisme économique est, de jurisprudence constante, l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de son savoir-faire, de ses investissements et de sa renommée.

Sans remonter aux calendes d'Anaxagore, c'est sur le fondement du parasitisme économique que les juges ont, ainsi, condamné une société d'e-commerce qui s'était appropriée, sans la moindre contrepartie financière, les conditions générales de vente d'une autre société pour en faire usage dans le cadre d'une activité commerciale concurrente. Pourtant, la cour écarta bien la contrefaçon, car faute de répondre à l'exigence d'originalité, les conditions générales de vente ne sauraient bénéficier de la protection du droit d'auteur. Enfin, sur la concurrence déloyale, elle rappela que le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit, qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, peut être librement reproduit, sous certaines conditions, notamment, l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit. Dans le même sens, le parasitisme commercial était caractérisé en raison du détournement du fichier clients d'un concurrent et de son utilisation non autorisée.

On peut raisonnablement dire que la greffe de la lutte contre le parasitisme économique au sein de "l'économie réelle" vers l'économie numérique avait bien pris.

Mais, le tribunal de grande instance de Paris, grand connaisseur de ces actions, estima que ce parasitisme était en fait "caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements". Et, certains auteurs on pu regretter une pseudo fusion du parasitisme avec la concurrence déloyale.

Désormais, si l'optimisation d'un site internet en vue de faciliter l'accès des internautes aux informations, échanges et discussions qu'il contient ne constitue pas un procédé déloyal visant à tirer profit de la notoriété d'une société par un usage abusif de son nom, l'utilisation, sur son site internet, des images tirées du site d'une société concurrente, alors que des investissements importants pour utiliser l'imagerie 3D avaient été réalisés, constituait bien un acte de parasitisme. De même, constitue un acte de parasitisme le fait pour un site internet de reproduire quasiment à l'identique les pages d'accueil, le plan, le contenu, le nom et l'agencement des rubriques d'un site concurrent. Et, l'existence sur le marché de sites internet ressemblant à celui du demandeur ou la banalité supposée de son concept ne sont pas de nature à démontrer l'absence de parasitisme alors que le seul fait de s'inspirer de la valeur économique d'un site qui a réalisé des investissements suffit à dénoter un agissement parasitaire.

L'appréciation du parasitisme s'est donc déportée des simples conditions de la commercialisation vers une analyse concrète des éléments structurels de chaque site pouvant donner lieu à un acte de parasitisme.

La maxime "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" que l'on prête à Lavoisier en prend ainsi pour son grade. Le "père" de la chimie moderne aurait eu maille à partir avec les tenants de l'originalité et de la créativité sur internet !

Dans son fameux Traité élémentaire de chimie, il enseignait que "rien ne se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la nature, et l'on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l'opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu'il n'y a que des changements, des modifications" : force est de constater que le juge ne l'entend pas de cette oreille.

Pour autant, la frontière reste ténue en matière de caractérisation du parasitisme économique sans contrefaçon ni concurrence déloyale avérées. Si les tendances et les canons commerciaux et marketing, voire ergonomiques, qui fonctionnent sur la clientèle, ne peuvent être repris, sans risquer la condamnation, c'est l'émulsion du e-commerce qui risque d'être mise à mal... A moins, que cette reprise ne doive s'accompagner "tout simplement" d'une valorisation, elle, originale, auquel cas "les choses déjà existantes se combinent", pour créer un matrice nouvelle.

La caractérisation du parasitisme économique entre sites de e-commerce a quelque chose de philosophique en soi, au regard de l'essence même de la créativité et du refus anaxagorien du concept du "non-être".

"L'homme est un pou pour l'homme" sentence Michel Serres dans Le parasite. Tout numérique soit-il, le e-commerce est encore animé par l'Homme...

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