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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
le 17 Septembre 2015
La décision commentée permet de définir plus avant la notion d'assujetti qui repose principalement sur l'exercice ou non d'une activité économique en matière de vente de terrains à bâtir et plus généralement de la vente d'immeuble. Cette décision présente un intérêt certain au regard du droit français qui a considérablement évolué depuis la réforme de la TVA immobilière (1).
Les faits de cette espèce sont simples. Un contribuable a acquis entre 1998 et 2002 sept parcelles de terrains : deux à titre privé auprès d'une personne physique et cinq dans le cadre de son activité d'entrepreneur d'une société commerciale. Pour ces différentes acquisitions, il n'a pas payé la TVA. Entre 2001 et 2003, il a obtenu les autorisations administratives pour construire un centre commercial sur ces terrains. En 2003, l'entrepreneur a affecté les 5 terrains acquis d'une société commerciale au patrimoine de son entreprise ; les deux autres terrains sont restés dans son patrimoine privé. Enfin, en 2004, il a cédé le centre commercial ainsi que la totalité des parcelles. S'agissant des parcelles affectées à son entreprise et de la construction érigée sur ces terrains, la vente a été soumise à TVA. Mais pour les terrains relevant de son patrimoine privé ainsi que le bâtiment élevé sur ces parcelles, leur vente n'a pas été soumise à la TVA.
En 2004, l'administration fiscale slovène a réclamé le paiement de la TVA due au titre de la vente des deux parcelles appartenant au patrimoine privé car relevant de l'activité économique du contribuable en tant qu'entrepreneur. Au contraire ce dernier a fait valoir que c'étaient des opérations patrimoniales exclues du champ d'application de la TVA. Après différentes décisions de justice, la dernière juridiction en charge du litige a décidé de s'adresser à la CJUE afin de savoir si une personne qui, acquérant des terrains à titre privé sur lesquels elle fait construire un bien inscrit en tant qu'actif au bilan de son entreprise, puis les revend ainsi que la construction, est considérée comme effectuant une opération de gestion de patrimoine privé (opération patrimoniale) ou une opération relevant d'une activité économique au sens du droit de l'UE et à ce titre soumise à TVA.
Les faits de cette espèce sont soumis à la 6ème Directive-TVA car antérieurs à la Directive actuellement en vigueur. Plus précisément, la question préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 2, point 1 et de l'article 4, paragraphe 1 de la Directive du 17 mai 1977. Ces articles ont été repris dans la Directive du 28 novembre 2006 (2).
L'article 2, point 1 énonce que pour qu'une opération soit soumise à la TVA, elle doit être effectué "à titre onéreux [...] par un assujetti agissant en tant que tel" (3). A contrario, si l'assujetti agit à titre particulier, les opérations qu'il réalise dans ce cadre ne sont pas soumises à la TVA. La difficulté soulevée par cette décision ne porte pas tant sur la définition de l'assujetti mais sur la notion d'activité économique. Cette notion est définie à l'article 4, paragraphe 2 de la Directive du 17 mai 1977 (4) ; elle comprend "toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataires de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme une activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence".
La notion d'activité économique constitue la summa divisio (5) permettant d'établir la ligne de démarcation entre les opérations réalisées, d'une part, par des personnes non assujetties agissant en dehors d'une activité économique pour leur besoins privés et, d'autre part, les assujettis agissant dans le cadre de leur activité économique (6). Sur cette notion, la jurisprudence de la Cour de justice n'est pas très abondante et essentiellement relative aux biens d'investissement mais elle révèle la grande latitude laissée à l'intéressé. Soit il peut affecter le bien à son patrimoine privé, soit l'affecter à son entreprise, soit encore l'intégrer dans le patrimoine de son entreprise à concurrence de l'utilisation professionnelle effective dudit bien.
La seule affectation d'un bien au patrimoine privé ne permet pas d'en déduire ipso facto que sa vente ne sera pas soumise à la TVA ; si cette cession est réalisée dans le cadre de l'activité économique du cédant, elle est imposable à la TVA. Il ressort de cette position de la CJUE qu'il est nécessaire de prendre en compte différents éléments caractérisant l'opération afin de déterminer à quel titre (gestion patrimoniale ou activité économique) a été effectuée la vente du bien.
En vue d'établir la distinction entre l'administration du patrimoine privé et l'accomplissement d'une activité économique, la CJUE met en oeuvre la méthode du faisceau d'indices. Dans l'espèce commentée, elle énonce trois éléments qui lui permettent de considérer que le contribuable a bien agi en tant qu'entrepreneur lors de la vente des deux parcelles qu'il avait acquis à titre privé :
- acquisition des différents terrains durant une brève période (4 ans, de 1998 à 2002) ;
- l'ensemble des terrains acquis était nécessaire au projet de construction du centre commercial, notamment une partie du centre commercial a été bâti sur les parcelles acquises à titre privé ;
- enfin, ces sept terrains ont fait l'objet de travaux destinés à les valoriser.
Il ressort de ces éléments que si deux des sept terrains n'ont pas été inscrits à l'actif de l'entreprise, et donc acquis dans un cadre privé, par la suite, ils n'ont pas été traités différemment des autres parcelles ; la totalité des terrains était destiné à la réalisation d'une opération s'inscrivant dans le cadre de l'accomplissement de l'activité économique de l'intéressé.
Cette décision vient confirmer un arrêt du 15 septembre 2011 (7) par lequel la CJUE avait considéré qu'il importait de rechercher si le vendeur avait entrepris "des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services". Les juges de l'UE privilégient un critère mettant en oeuvre la comparaison entre ce qui a été est effectué par l'intéressé, dans le cadre de cette vente, et les moyens mis en oeuvre par un entrepreneur dans l'accomplissement de son activité économique. Cette comparaison doit permettre la réelle application du principe de neutralité de la TVA. En effet, si un entrepreneur prétexte que certains biens relèvent de son patrimoine privé et donc que les opérations y afférentes ne sont pas soumises à TVA alors même qu'ils font partie d'un ensemble de biens (terrains et construction) qui participent sans distinction à une opération économique imposable à la TVA, on aboutit à une inégalité de traitement face à un assujetti ayant inscrits à l'actif de son entreprise la totalité des biens utiles à une opération similaire.
En droit français, la TVA portant sur les immeubles a été l'objet d'une réforme d'envergure aux termes de l'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2010 (8). Les deux principaux objectifs de cette réforme législative étaient de rendre le régime de TVA immobilière conforme avec le droit de l'Union européenne et de le simplifier (9). Cette réforme a fait entrer dans le champ d'application de la TVA de droit commun l'ensemble des livraisons de terrains réalisés à titre onéreux ; seules les opérations réalisées en dehors d'une activité économique ne sont donc pas soumises à la TVA sauf exceptions. Ainsi, l'affaire commentée permet de préciser la notion d'activité économique dans le cadre des investissements immobiliers.
Les décisions des juges de l'UE à propos de l'exonération des opérations d'assurance en matière de TVA sont relativement rares. Or, la notion d'opérations d'assurance ne fait l'objet d'aucune définition contenue par un texte de l'UE. Le rôle de la CJUE quant à l'interprétation de cette notion est donc majeur.
Selon les termes de l'article 13, B, sous a) de la Directive 77/388/CEE, "sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations (...) et de prévenir toute, fraude, évasion et abus éventuels : les opérations d'assurance et de réassurance, y compris les services afférents à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance".
Cette exonération a été reprise à l'identique dans le cadre de la Directive du 28 novembre 2006 (10). En droit français, l'exonération est énoncée par le 2° de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5732IXL).
Non seulement cette notion n'a pas été définie légalement, mais les fondements de cette exonération ne sont pas connus. Les travaux préparatoires de la Directive du 17 mai 1977 mentionnent que cette exonération de TVA appliquée aux opérations d'assurance est justifiée "pour des raisons de politique générale commune aux Etats membres" (11).
Face à ce silence, la Cour de justice a dû faire oeuvre de définition. La définition qu'elle donne, confirmée dans plusieurs décisions, est la suivante : une "opération d'assurance se caractérise, de façon généralement admise, par le fait que l'assureur se charge, moyennant le paiement préalable d'une prime, de procurer à l'assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat" (12). Cependant, cette définition ne permet pas de répondre à l'ensemble des questions qui peuvent se poser dans le domaine des assurances et l'arrêt commenté en est l'illustration.
Les faits évoqués dans cette décision sont relativement simples. Une société italienne a pour activité de proposer des prestations de garanties en cas de survenance de pannes sur des véhicules d'occasion. Certains revendeurs de voitures d'occasion peuvent proposer à leurs acheteurs une garantie complémentaire en vue de couvrir certaines pannes qui viendraient à survenir durant la période couverte par cette garantie. En cas de panne couverte par cette garantie, l'acquéreur de la voiture d'occasion s'adresse à un garage librement choisi qui établit un devis pour la réparation de cette panne. Ce devis est adressé à la société italienne. Si cette dernière valide le devis, le garage effectue les réparations qui sont prises en charge par la société. Cette dernière est elle-même assurée auprès d'une autre société contre les pertes qui pourraient résulter de son activité de prestations de garantie relatives à la réparation de voitures d'occasion.
La société italienne a considéré que les prestations effectuées dans le cadre de son activité relevaient du régime normal de TVA et y étaient assujetties. L'administration fiscale française a, au contraire, considéré que ces opérations ne ressortaient pas du régime de la TVA mais étaient exonérées en tant qu'opérations d'assurance soumises à la taxe sur les conventions d'assurance (CGI, art. 991 N° Lexbase : L9295HLT). Dans le même temps, la DGFIP a estimé que l'assurance prise pour le compte de la société italienne auprès de l'autre société était soumise à la taxe sur les assurances au taux de 18 % tel que prévu pour les assurances automobiles par le 5° bis de l'article 1001 du CGI (N° Lexbase : L3250IZE). Les deux sociétés ont vu leur réclamation rejetée par l'administration fiscale. Elles ont ensuite porté leur litige devant le tribunal de grande instance de Lyon, puis la cour d'appel de Lyon (13), enfin suite au pourvoi intenté devant la Cour de cassation, cette dernière a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de savoir si "la prestation consistant, pour un opérateur économique indépendant du revendeur de véhicules d'occasion, et moyennant le versement d'une somme forfaitaire, à garantir la panne mécanique susceptible d'affecter certaines pièces du véhicule entre dans la catégorie des opérations d'assurance exonérées de TVA ou, au contraire, entre la catégorie des prestations de services ?" (14).
Dans le cadre de cette chronique, seul sera commenté le litige relatif à la qualification d'opération d'assurance ou non des prestations réalisées par la société italienne à l'égard des acheteurs d'automobiles d'occasion car la question préjudicielle n'a été posée qu'à l'égard de ce problème de droit. Le litige à propos de l'autre société n'entraîne aucune question afférente à l'interprétation du droit de l'UE.
Les différents arguments soulevés par la société italienne permettent d'aborder plusieurs éléments à prendre en considération pour retenir ou non la qualification d'opération d'assurance au sens du droit de l'Union européenne.
Le premier porte sur l'existence d'un lien contractuel entre l'entreprise italienne et les acheteurs de véhicules d'occasion. Selon cette société, il n'existe qu'une relation contractuelle qu'entre les revendeurs de voitures d'occasion et elle. En revanche, la CJUE considère que l'assureur est un "opérateur économique indépendant du revendeur" et "l'assuré est l'acheteur du véhicule" (15). La CJUE confirme la nécessité d'une relation juridique directe entre l'assureur et l'assuré ; l'opération d'assurance "implique par nature l'existence d'une relation contractuelle entre le prestataire du service d'assurance et la personne dont les risques sont couverts par l'assurance, l'assuré" (16). La Cour examine les différentes possibilités de relations entre la société italienne, le revendeur et l'acheteur de véhicules automobiles, pour conclure que, quelle que soit l'hypothèse contractuelle, elle est incluse dans la définition de l'opération d'assurance.
Dans le sens d'une qualification de la prestation de garantie en tant qu'opération d'assurance, la CJUE a considéré que le paiement d'une somme forfaitaire en paiement de la prestation de garantie offerte par la société italienne pouvait être analysé comme le paiement d'une prime d'assurance. En l'espèce, le paiement de cette prime libère complètement l'assuré du risque couvert par l'assurance. En effet, si le coût de réparation de la panne est supérieur au montant de la somme forfaitaire, l'acquéreur du véhicule n'est pas tenu de régler la différence. De même, si la réparation est d'un montant inférieur ou si aucune réparation n'a été effectuée, la somme forfaitaire ne sera pas remboursée à l'acheteur du véhicule d'occasion. La société italienne répartit le risque assuré de manière à ce que les primes payées par tous les acquéreurs de véhicules d'occasion couvrent le coût de réparation des voitures effectivement en panne (17). Les arguments avancés par la société pour justifier que cette somme forfaitaire ne correspond pas au paiement d'une prime d'assurance concernent l'organisation interne de l'activité de l'entreprise. Dès lors, ils ne peuvent être pris en considération car la qualification d'opération d'assurance d'une prestation de services ne peut reposer sur des choix de fonctionnement d'une entreprise.
Enfin, la société italienne considère que, même si la prestation de garantie est qualifiée d'opération d'assurance du fait de son caractère accessoire à une opération elle-même soumise à TVA, elle doit aussi être soumise à cette imposition. Il est constant que chaque prestation doit être considérée comme distincte et indépendante. Cependant, ce principe connaît des exceptions notamment si les prestations en cause sont très étroitement liées et forment en réalité une seule opération (18). De même si une prestation ne constitue que l'accessoire d'une prestation principale (19). En l'espèce, la société italienne défend cette perspective. Cependant, la CJUE rappelle qu'en matière d'assurance elle a déjà jugé que nécessairement "toute opération d'assurance présente, par sa nature, un lien avec le bien qu'elle a pour objet de couvrir" (20). Si ce lien était pris en considération, l'exonération des opérations d'assurance perdrait toute sa substance car à moins d'assurer un bien qui n'est pas soumis à TVA, toutes les opérations d'assurance seraient, au terme d'une telle logique, soumises à la TVA. Sur le caractère accessoire ou non d'une prestation, la Cour de justice a précisé qu'une prestation ne revêt un caractère accessoire lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle en fin en soi mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal. Or, en l'espèce, la CJUE dénie ce caractère à la garantie offerte par la société italienne.
En conclusion, la décision commentée met en lumière l'importance du travail d'interprétation effectué par la CJUE dans le cadre de la définition de l'opération d'assurance. Cependant, quelle que soit la grande qualité de l'oeuvre jurisprudentielle, il n'en reste pas moins qu'elle ne peut se dérouler qu'en fonction des affaires soumises à l'appréciation de la CJUE.
La décision commentée est relative à la définition d'un élément fondamental du régime de TVA : la prestation de services. Pour rappel, la Directive 2006/112/CE, à son article 24, 1, énonce qu'"est considérée comme prestation de services' toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens". C'est une définition "négative" de la prestation de services par comparaison avec la livraison de biens qui est définie de manière "positive" (21). Pour autant, la définition légale de la prestation de services soulève peu de litiges. L'affaire jugée par la CJUE le 3 septembre présente l'intérêt de permettre à la CJUE de s'exprimer sur une notion rarement en litige mais essentielle au régime de la TVA et des principes applicables en la matière.
Les faits sont les suivants. Une société bulgare a pour principales activités l'agriculture, l'horticulture, l'élevage et des activités auxiliaires. Le 1er août 2011, cette entreprise a conclu des contrats d'abonnement, portant sur des conseils avec quatre sociétés, qui ont pris fin le 5 mars 2012. Aux termes de ces contrats, les prestataires s'engageaient à se tenir à la disposition de la société bulgare pour la conseiller ou assister à des réunions, lui fournir une personne compétente en cas de besoin pour la conseiller, lui apporter la documentation utile pour la défense de ses intérêts. Ces services étaient fournis les jours ouvrables de 9 à 18 heures ainsi que les autres jours en cas de besoin. Enfin, les prestataires s'engageaient à ne pas conclure de contrats similaires avec des tiers ayant des intérêts opposés à ceux de l'entreprise bulgare.
A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration bulgare a considéré que la société ne pouvait bénéficier du droit à déduction pour les prestations de services incluses dans ces contrats. Elle a estimé que la preuve quant "au type, à la quantité et à la nature des services fournis" (22) n'était pas rapportée et qu'il n'était pas possible de connaître le nombre d'heures réellement effectuées par les prestataires, ni les modalités selon lesquelles le prix des services rendus était déterminé.
La société bénéficiaire a contesté cette décision qui a été confirmée par l'administration fiscale bulgare puis a porté son désaccord devant la juridiction. Cette dernière a posé deux questions à la CJUE. La première, et principale, est relative au contrat d'abonnement, à savoir s'il constitue une prestation de services selon les dispositions de la Directive 2006/112/CE. La seconde découlant d'une réponse positive à la première porte sur la date à laquelle interviennent le fait générateur et l'exigibilité.
La prestation de services peut correspondre à l'obligation de faire ou de ne pas faire (23), engagements qui figurent dans les contrats puisque les sociétés s'engagent à être disponibles pour conseiller la société cliente et ne pas conclure de contrats similaires avec des tiers ayant des intérêts opposés à ceux de la société bulgare. Les Directives successives ont énoncé un "champ d'application très large à la TVA" (24). Cette étendue du champ d'application est en étroite corrélation avec la nature même de la TVA, imposition générale, et des principes qui la gouvernent : simplicité et neutralité (25). Or, une définition restrictive de la prestation de services aurait pour effet de les remettre en cause. Corrélativement, les exceptions à l'imposition des prestations de services doivent être interprétées de manière stricte. Eu égard à cette définition extensive, la fourniture de conseils ainsi que l'obligation de ne pas faire, telle définie par les contrats d'abonnement, sont des prestations de services dans le cadre du régime de la TVA.
Pour autant était aussi en jeu la question de l'existence d'un lien direct entre le client et le prestataire. La nécessité d'un lien direct est une condition posée par la jurisprudence de la Cour de justice. La notion de lien direct est en relation avec le caractère onéreux ou non d'une prestation de services qui suppose l'existence d'un lien direct entre l'opération et la contrepartie reçue par l'assujetti (26). Cette condition du lien direct implique qu'une "prestation n'est taxable que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel les prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire" (27). En l'espèce, la prestation de services consistait à pouvoir fournir des conseils dès que le client le demandait par la mise à disposition des prestataires auprès de la société cliente. Cette disponibilité existait même si la cliente ne faisait pas appel aux prestataires et était rémunérée par un prix forfaitaire effectué dans le cadre de ces contrats d'abonnement.
L'administration fiscale bulgare avait notamment refusé le droit à déduction au motif que le paiement effectué par la société ne permettait pas de déterminer les prestations réellement effectuées. Selon son interprétation, le paiement forfaitaire mettait en cause la réalité du lien direct entre le prestataire et le bénéficiaire. Cette question était déjà apparue dans deux affaires qui ne concernaient pas les prestations de conseils mais des domaines plus restreints. Dans une décision de 2002 (28), il s'agissait de la mise à disposition d'installations de golf en contrepartie d'un prix forfaitaire. Pour une affaire de 2014 (29), était en cause le versement d'un "forfait soins" versé à un établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes. Cependant, si dans ces deux affaires les prestations de services n'étaient pas similaires, leur point commun portait sur les modalités de paiement par le biais d'un prix forfaitaire.
Dans la droite ligne de ces décisions antérieures, la CJUE a maintenu dans le champ d'application de la TVA les prestations dont la contrepartie est un prix forfaitaire. Il n'est pas nécessaire (en vue d'établir un lien direct et donc le caractère onéreux d'une opération) que le paiement se rapporte à une prestation "individualisée et ponctuelle" (30). Si le paiement forfaitaire n'impliquait pas de lien direct cela aurait pour conséquence de "permettre à la quasi-totalité des prestataires d'échapper à la TVA en recourant à des prix forfaitaires" (31). Or, précisément, en ne soumettant pas ces prestations, réglées au moyen d'un prix forfaitaire, à la TVA, le champ d'application en serait considérablement réduit venant ainsi en contradiction au principe de neutralité. Le choix d'un paiement forfaitaire ne peut permettre l'exclusion de certaines opérations qui seraient imposables en cas de modalités de paiement autres que le forfait. Les modalités de paiement qui relèvent du choix du prestataire et/ou du client ne peuvent valablement remettre en cause la qualification de certaines opérations dans le cadre de la TVA.
Ayant répondu positivement à la première question de savoir si les prestations en cause dans cette affaire étaient taxables à la TVA, la CJUE s'est prononcée sur la date de l'exigibilité et du fait générateur. On peut remarquer qu'elle ne cite aucune décision à l'appui de son raisonnement. Elle rappelle les textes applicables desquels elle déduit que le fait générateur et l'exigibilité interviennent à la fin de la période déterminée pour laquelle le paiement a été convenu. Dans le cadre d'un contrat d'abonnement, il n'est pas utile de prendre en compte les modalités de ce contrat à savoir si le prestataire a été sollicité ou non et en cas d'intervention de sa part, quel a été le nombre d'interventions.
(1) Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW) : JO, 10 mars 2010, p. 4746.
(2) Directive 2006/112/CE du Conseil relative au système commun de TVA, 28 novembre 2008 (N° Lexbase : L7664HTZ) : JOUE, 11 décembre 2006, L. 347/23.
(3) Les mêmes termes sont inscrits à l'article 2, 1, a de la Directive du 28 novembre 2006.
(4) La même définition de l'activité économique est énoncée au 1 de l'article 9 de la Directive du 28 novembre 2006.
(5) E. Kornprobst, J. Schmidt, Fiscalité immobilière, 2013, 12ème éd., LexisNexis, coll. Litec fiscal, 832 pages, p. 236.
(6) Sur la notion d'activité économique, la littérature doctrinale est rare, on peut citer : A. Daniel-Thézard, TVA : du nouveau à propos de la notion d'activité économique : DF, 2001, n° 19-20, pp. 781-785.
(7) CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180/10 et C-181/10 (N° Lexbase : A7298HXL) : RJF, 12/11, n° 1403 ; DF, 2011, n° 48, comm. 608, note W. Stemmer, La France peut-elle encore soumettre à la TVA la revente d'un immeuble neuf acquis en VEFA par un non-assujetti ?".
(8) Loi n° 2010-237, op. cit..
(9) DF, 2010, n° 12, comm. 247.
(10) Directive 2006/112/CE du Conseil relative au système commun de la TVA, art. 135, 1, a.
(11) Proposition de 6ème Directive présentée le 20 juin 1973 (COM(73) 950 final, p. 16) citée par M. Guichard et W. Stemmer, Assurances : le dommage TVA : DF, 2005, n° 29, Etudes 28, § 3. Dans le même sens, cf. M. Guichard, Assurances : le risque TVA : DF, 2002, n° 46, ét. 37, § 19 et suivants.
(12) On peut citer par exemple : pt. 17, CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96 (N° Lexbase : A7318AHI) : Rec. I-999, RJF, 4/99, n° 512 ; pt. 37, CJCE, 8 mars 2001, aff. C-240/99 (N° Lexbase : A0280AWB) : Rec. I-1964 ; pt. 39, CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-8/01 (N° Lexbase : A1841DAG) : Rec. I-13741, DF, 2004, n° 5, n° 191, obs. M. Guichard et W. Stemmer ; pt. 58, CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-224/11 (N° Lexbase : A2943I3E) ; RJF, 4/13, n° 449.
(13) Sur l'affaire commentée : CA Lyon, 22 septembre 2011, n° 10/03515 (N° Lexbase : A5088HY4) et CA Lyon, 22 septembre 2011, n° 10/03658 (N° Lexbase : A5090HY8).
(14) Pt. 24.
(15) Pt. 39.
(16) Pt. 41, CJCE, 8 mars 2001, aff. C-240/99, ..
(17) Pt. 30, Conclusions de l'Avocat général S. Maciej présentées le 4 février 2015.
(18) Pt. 27, CJUE, 2 décembre 2010, aff. C-276/09 (N° Lexbase : A4112GMA) ; Pt. 22, CJCE, 29 mars 2007, aff. C-111/05 (N° Lexbase : A7809DUR) ; Pt. 22, CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 (N° Lexbase : A0986DL4) : Rec. I-9433.
(19) CJCE, 22 octobre 1998, aff. C-308/96 et C-94/97 (N° Lexbase : A7502AHC) : Rec. I-6248 ; RJF, 12/98, n° 1521 ; CJCE 25 février 1999, aff. C- 349/96 : Rec. I-999 ; DF, 1999, n° 17-18, p. 590 ; RJF, 4/99, n° 512 ; CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06 (N° Lexbase : A0006D7D) ; RJF, 6/08, n° 765 ; DF, 2008, n° 23, comm. 366.
(20) Pt. 51. Dans le même sens : pt. 36, CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-224/11.
(21) Directive 2006/112/CE, art. 14, 1 : "est considéré comme livraison de biens', le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire".
(22) Pt. 22.
(23) Directive 2006/112/CE, art. 25, b.
(24) Pt. 33. Dans le même sens, par exemple, pt. 22 : CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-401/05 (N° Lexbase : A8826DSP) : DF, 2007, n° 50, comm. 1050.
(25) Directive 2006/112/CE, art. 5 : "Un système de TVA atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d'une manière aussi générale que possible et que son champ d'application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services".
(26) CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 (N° Lexbase : A7336AH8) : DF, 1989, n° 15, comm. 815 ; RJF, 8-9/88, n° 971.
(27) Pt. 35. Pour rappel, cette définition a été mise en oeuvre notamment : CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93 (N° Lexbase : A7246AHT) : DF, 1995, n° 11, comm. 525, concl. O. Lenz. Elle est toujours d'actualité : CJUE, 3 mai 2012, aff. C-520/10 (N° Lexbase : A5063IKQ), comm. 282, note A.-L. Mosbrucker.
(28) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00 (N° Lexbase : A2920AYS) : RJF, 6/02, n° 736 ; DF, 2002, n° 21, comm. 441.
(29) CJUE, 27 mars 2014, aff. C-151/13 (N° Lexbase : A9826MHE) : RJF, 6/14, n° 648 ; DF, 2014, n° 17-18, comm. 292, note Y. Sérandour.
(30) Pt. 38.
(31) Pt. 41, CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, op. cit..
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