La lettre juridique n°611 du 7 mai 2015 : Licenciement

[Jurisprudence] Le cessionnaire de l'entreprise est-il censé connaître les mandats extérieurs détenus par les salariés cédés ?

Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9402NGC)

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N7160BUQ

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Mai 2015

L'un des apports de la procédure de QPC au droit du travail est d'avoir permis de dégager le principe selon lequel l'employeur n'est pas censé connaître les mandats extérieurs à l'entreprise détenus par les salariés, qui doivent, s'ils prétendent bénéficier de leur statut protecteur, prouver que l'employeur savait ou qu'il l'en avait informé avant que ne soit prononcée la rupture définitive du contrat de travail. Ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 avril 2015 concernait l'hypothèse inédite d'un salarié protégé dont le contrat de travail avait été cédé avec son entreprise, et qui prétendait que le cessionnaire ne pouvait ignorer l'existence de son mandat de conseiller du salarié, dès lors que le cédant le savait (I). La Cour de cassation considère, dans cet arrêt, que tel n'est pas le cas, le salarié devant établir cette connaissance par d'autres moyens (II).
Résumé

La seule poursuite du contrat de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise.

Commentaire

I - L'employeur et la connaissance du statut de conseiller du salarié

Cadre juridique. Répondant à une demande constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre de la procédure de QPC, a formulé, le 14 mai 2012, une réserve d'interprétation concernant le bénéfice de la protection des salariés titulaires d'un mandat de représentation extérieur à l'entreprise (1). Aux termes de cette décision, le Conseil a jugé que "la protection assurée au salarié qui exerce un mandat extérieur à l'entreprise ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection, dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement". Quelques semaines plus tard, la Chambre sociale de la Cour de cassation a élargi la solution à tous les mandats extérieurs, et à tous les modes de rupture du contrat de travail (2).

Reste à déterminer comment s'articule la question des mandats extérieurs à l'entreprise et la cession de celle-ci emportant changement d'employeur, dans la mesure où le "nouvel" employeur n'a pas nécessairement connaissance de l'ensemble des mandats détenus par les salariés de l'entité transférée.

C'est tout l'intérêt de cet arrêt.

L'affaire. Un salarié, employé par une association d'aide médico-sociale à domicile à compter de 2003, avait été élu conseiller prud'hommes en décembre 2008. En avril 2009, l'association a été reprise par une fondation dans le cadre d'une opération de fusion-absorption. En juin 2009, le salarié a été licencié pour faute grave, sans qu'ait été sollicitée l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Il avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'annulation de son licenciement et de dommages et intérêts, en produisant un certain nombre de documents attestant de la connaissance, par son ancien employeur, l'association, de sa candidature, puis de son élection comme conseiller prud'hommes, et a obtenu gain de cause, tant en première instance qu'en appel .

Ce sont ces décisions qui sont ici cassées, les motifs retenus par les juges d'appel étant considérés comme inopérants, et pour violation des articles L. 2411-1, 17° (N° Lexbase : L3666IUC) et L. 2411-22 (N° Lexbase : L0168H94) du Code du travail. La Cour affirme que "la seule poursuite du contrat de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise". Dès lors, "il appartient [...] au salarié qui se prévaut d'une telle protection d'établir qu'il a informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement, ou, s'il s'agit d'une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l'acte de rupture, ou que le nouvel employeur en avait connaissance".

II - La cession de l'entreprise n'emporte pas présomption de connaissance des mandats extérieurs

Une solution réaliste. La solution nous semble doublement justifiée, tant au regard des règles qui gouvernent le maintien du contrat de travail en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, qu'au regard du fondement même de l'obligation d'information qui pèse sur le salarié.

Une solution logique au regard du régime de la cession du contrat de travail. L'article L. 1224-1 du Code du travail impose le maintien des contrats de travail avec le cessionnaire de l'entreprise. Le nouvel employeur se substitue donc à l'ancien, sans qu'il en résulte aucune (autre) modification du contrat. Il s'agit donc d'une hypothèse de cession de contrat par l'effet de la loi, et non véritablement d'une subrogation personnelle, le contrat étant transféré, selon les propres termes de la loi. Le nouvel employeur hérite, ainsi, des obligations futures qui incombaient au premier, éventuellement de ses dettes passées si la cession de l'entreprise est intervenue de manière conventionnelle (3). Cette transmission concerne logiquement les actes juridiques passés avant la cession, et non les simples situations de fait qui demeurent propres à leur auteur. C'est ainsi que le salarié entre dans l'effectif de sa "nouvelle" entreprise à la date de la cession, sans rétroactivité, même s'il conserve le bénéfice de son ancienneté (4). Il est donc logique, dans ces conditions, de considérer que la connaissance du mandat extérieur par l'ancien employeur n'est pas susceptible d'être transmise au nouvel employeur, tout simplement parce qu'une telle transmission est étrangère aux prévisions de la loi.

La Cour de cassation va, d'ailleurs, au-delà de cette solution qui consiste à affirmer que la cession du contrat n'emporte pas présomption de connaissance de l'existence du mandat extérieur, et considère que "la seule poursuite du contrat de travail par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise". En d'autres termes, rien dans le régime légal de l'article L. 1224-1 ne vient imposer au cédant de formaliser le transfert des contrats de travail auprès du cessionnaire, ni ne lui impose de lui transférer les informations dont il pourrait avoir connaissance, même si cette transmission semble aller de soi, compte tenu du fait que les contrats sont cédés avec l'ensemble des éléments matériels composant l'entreprise, dont leur dossier professionnel. Même lorsque l'entreprise se trouve, par ailleurs, soumise à des règles conventionnelles qui imposent au cédant de communiquer au cessionnaire la liste des salariés dont le contrat est cédé, cette obligation ne s'étend pas au-delà et ne porte pas sur les mandats dont les salariés pourraient être titulaires. Dans la mesure où rien, dans le régime légal, n'est susceptible de rendre la transmission de telles informations vraisemblable, il est logique de ne pas présumer qu'un tel transfert a nécessairement eu lieu, et d'imposer, comme le fait la Haute juridiction dans cette décision, que le salarié rapporte la preuve qu'il avait informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat, ou que ce dernier en avait eu connaissance (par exemple par une mention dans le dossier professionnel, ou la preuve qu'une information verbale avait été donnée au nouvel employeur).

Une solution logique au regard du régime protecteur des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur. Dans sa décision du 14 mai 2012, le Conseil constitutionnel avait justifié sa réserve d'interprétation par la volonté de préserver la liberté d'entreprendre de l'employeur, ainsi que sa liberté contractuelle. Il s'agit ici également d'une application de l'exigence de loyauté qui pèse sur les parties au contrat de travail et qui interdit au salarié de prétendre tirer avantage d'une solution qu'il a lui même contribué, par son comportement, à créer (5). L'obligation d'informer son employeur de l'existence de mandats extérieurs à l'entreprise, qui repose sur une présomption d'ignorance et de bonne foi, semble donc réaliste. La cession de l'entreprise emportant changement d'employeur, il est donc logique de ne pas annuler le licenciement du salarié sous prétexte que le cessionnaire ne pouvait ignorer l'existence du statut de conseiller du salarié, surtout dans les grandes entreprises, où le personnel est nombreux, lorsque le licenciement intervient rapidement après le transfert, comme c'était le cas ici (deux mois), et qu'il s'agit d'un licenciement pour faute grave qui intervient dans un bref délai.


(1) Cons. const., décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012 (N° Lexbase : A1878IL7) et nos obs., Le Conseil constitutionnel et les salariés mandatés extérieurs à l'entreprise : premier impact (limité) de la QPC sur le Code du travail, Lexbase Hebdo n° 488 du 7 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2251BTK).
(2) Cass. soc., 14 septembre 2012, deux arrêts, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A9278ISG) et n° 11-21.307, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7531ISQ) et nos obs., Des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur à l'entreprise : la Cour de cassation prolonge la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3605BTP). La solution a été confirmée depuis à plusieurs reprises : Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A2704KBR) : licenciement d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.581, F-D (N° Lexbase : A3007KI9) : rupture à l'issue de la période probatoire d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-26.650, F-D (N° Lexbase : A8028KTI) : licenciement pour motif économique d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 6 mai 2014, n° 13-16.498, F-D (N° Lexbase : A9344MKB) et les obs. de S. Tournaux, Les modalités de l'obligation d'informer l'employeur de l'existence d'un mandat extérieur à l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 571 du 22 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2281BUZ) : rupture de la période d'essai du conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 1er avril 2015, n° 13-26.777, F-D (N° Lexbase : A1078NGZ) : licenciement d'un assesseur au tribunal du travail de Nouméa - mandat inopposable.
(3) C. trav., art. L. 1224-2 (N° Lexbase : L0842H93).
(4) Il bénéfice donc des avantages du statut applicable dans sa nouvelle entreprise dès le premier jour, mais peut ne pas bénéficier de ceux soumis à une condition de date de présence à l'effectif.
(5) Nos obs. sous la décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, préc..

Décision

Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9402NGC).

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., deux arrêts, 31 janvier 2013, n° 12/05193 N° Lexbase : A5489I43 et 12 septembre 2013, n° 10/09157 N° Lexbase : A9731KKM).

Textes visés : C. trav., art. L. 2411-1, 17° (N° Lexbase : L3666IUC) et L. 2411-22 (N° Lexbase : L0168H94).

Mots clef : mandat extérieur à l'entreprise ; cession d'entreprise.

Lien base : (N° Lexbase : E8873ESG).

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