Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 13-17.257, F-P+B (N° Lexbase : A6819NEB)
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N7157BUM
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par Anne Donnier, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Rennes 1
le 07 Mai 2015
Sans succès, la plaignante forma un pourvoi en cassation fondé sur un raisonnement en plusieurs temps mais dont l'idée principale reposait sur l'autonomie objective de l'infraction par rapport à la personne de son auteur. Tout d'abord, elle avança que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentaient le caractère matériel d'une infraction pouvait obtenir la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne. Ensuite, il convenait, selon la plaignante, de relever objectivement la commission d'une infraction, sans qu'importent les suites pénales données à l'acte commis. Enfin, elle en concluait que la cour d'appel avait violé la loi, par refus d'application de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6724IXC) et fausse application de l'article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), en considérant que les faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, pour lesquels le gendarme avait été poursuivi, n'étaient pas susceptibles de constituer l'élément matériel d'une infraction pénale et, en conséquence, donner lieu à indemnisation.
Par un arrêt très didactique, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette les arguments du pourvoi en exposant tout d'abord que les faits pour lesquels l'auteur de l'infraction bénéficie d'une cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1, du Code pénal ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale. Ensuite, la Cour de cassation en déduit très logiquement que la cause d'irresponsabilité pénale de l'article 122-4, alinéa 1, du Code pénal ne pouvait permettre, au bénéfice de la demanderesse, l'attribution d'une quelconque réparation pour le préjudice subi sur le fondement de l'article 706-3 du Code de procédure pénale en raison de l'inexistence du caractère matériel de l'infraction. Dès lors, si cet arrêt donne l'occasion de réaffirmer que l'ordre de la loi est un obstacle à l'établissement de la responsabilité pénale (I), il permet également de s'assurer que l'ordre de la loi s'oppose à toute demande de réparation de la part de la victime (II).
I - L'ordre de la loi, obstacle à l'établissement de la responsabilité pénale
Aux termes de l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal, "n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires". Dans un cas comme dans l'autre, c'est l'exécution d'un devoir légal (A) qui contribue à l'anéantissement de l'élément légal (B).
A - L'exécution d'un devoir légal
L'ordre ou la permission de la loi valent, à eux seuls, justification de l'infraction. Ainsi, comme le rappelle l'espèce commentée, l'usage des armes par les militaires de la gendarmerie contre ceux qui n'obtempèrent pas aux injonctions ou contre ceux qui menacent l'ordre public est parfaitement licite. En effet, aux termes de l'article L.2338-3 du Code de la défense (N° Lexbase : L8974HE4), "les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :
1° [...]
2° [...]
3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de "Halte gendarmerie" faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes [...]".
Cependant, l'application de cet article pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire a posteriori. Il appartient, en effet, au juge de vérifier que le militaire de la gendarmerie était contraint d'utiliser son arme en raison de la situation d'urgence particulière qui se présentait à lui (1). En d'autres termes, le recours à la force armée doit relever d'une absolue nécessité. A contrario, si le gendarme dispose d'autres moyens pour faire respecter la loi, l'usage de la force armée peut être constitutif d'une infraction punissable. Ainsi, l'usage injustifié d'une arme par son détenteur démontre que ce dernier a outrepassé son devoir légal et ne mérite donc pas la protection de la loi.
Enfin, il convient de se demander si l'auteur des faits, revendiquant le bénéfice de l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal doit ou non apporter lui-même la preuve du fait justificatif. Selon Merle et Vitu, "les faits justificatifs sont des circonstances exceptionnelles entraînant des dérogations à la loi pénale [...], il est donc normal que la personne poursuivie ait la charge de prouver ces circonstances" (2). Incontestablement, il revient à celui qui se prévaut d'un droit d'en apporter la preuve. Restera alors au ministère public de soutenir l'accusation ou au contraire de s'en éloigner en fonction de son appréciation des faits de l'espèce. La charge et l'étendue de la preuve de l'ordre de la loi sont d'autant plus importantes qu'elles emporteront ou non neutralisation de l'infraction.
B - L'anéantissement de l'élément légal
La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, répondant aux arguments du pourvoi qui faisait valoir qu'il convenait de faire une distinction entre l'infraction prise objectivement et la personne de son auteur, affirme que "les faits pour lesquels [un] auteur bénéficie d' [une] cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1er du Code pénal [...] ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction, au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale". Cette rédaction contribue à s'interroger au préalable sur les conséquences de l'ordre de la loi au regard, d'une part, de l'infraction et d'autre part, des causes subjectives d'irresponsabilité.
S'agissant tout d'abord des conséquences de l'ordre de la loi au regard de l'existence de l'infraction, il convient de se demander si ce fait justificatif entraîne la disparition de l'élément moral de l'infraction ou, au contraire, s'il contribue à anéantir l'élément légal de l'incrimination. Pour certains, les faits justificatifs supprimeraient purement et simplement l'élément moral de l'infraction. En effet, l'auteur animé d'un mobile légitime n'a commis l'acte que dans une intention louable. Au regard des faits de l'espèce, le militaire de la gendarmerie a certes fait usage de la force armée mais dans le seul but d'éviter la survenance d'une infraction qui aurait pu se révéler particulièrement grave à la suite de la tentative d'évasion du criminel placé en garde à vue. Toutefois, admettre que l'ordre de la loi puisse anéantir l'élément moral de l'infraction peut aller de soi, s'agissant d'une infraction intentionnelle, ce qui semble, à l'inverse, moins caractéristique pour une infraction non intentionnelle où pourra subsister une faute pénale. C'est pourquoi, la faiblesse de cette théorie invite à envisager l'incidence du fait justificatif sur l'anéantissement de l'élément légal. La commission d'un acte prescrit ou autorisé par la loi entraîne, comme le dispose l'article 122-4 du Code pénal, l'irresponsabilité de son auteur. Ainsi, le fait d'exécuter ce qui est requis par la loi contribue à neutraliser l'incrimination. En effet, en autorisant un militaire de la gendarmerie à user de la force armée, le législateur a entendu ôter tout caractère infractionnel à son comportement qui s'est, en réalité, avéré particulièrement utile et efficace pour la défense de l'ordre public. En conséquence, la société ne saurait rechercher une quelconque responsabilité pénale à l'encontre de celui qui a oeuvré pour sa sauvegarde.
S'agissant ensuite de la confrontation de l'ordre de la loi aux causes subjectives d'irresponsabilité, il convient de rejeter l'assimilation opérée par l'auteur du pourvoi. En effet, selon ce dernier, "dès lors que les éléments matériels de l'infraction sont objectivement réunis, est indifférente la circonstance que l'auteur des faits ait pu être acquitté en application d'une cause de non-imputabilité". Il convient de distinguer l'ordre de la loi des causes de non-imputabilité, comme la maladie mentale ou la contrainte, qui sont des causes subjectives in personam, qui ne peuvent s'étendre aux autres membres du groupe ayant participé à l'infraction. C'est pourquoi, les causes de non-imputabilité, si elles empêchent de retenir une quelconque responsabilité pénale à l'encontre de l'agent, n'effacent pas pour autant le fait reproché. En revanche, le fait justificatif, tel l'ordre de la loi, opère in rem, entraînant alors erga omnes un anéantissement de l'infraction pour défaut de légalité préalable. L'argument développé par l'auteur du pourvoi, loin d'emporter la conviction, se justifie néanmoins par sa volonté d'obtenir, en vain, réparation du préjudice subi.
II - L'ordre de la loi, obstacle au principe de réparation
Toute personne ayant subi un préjudice du fait de la commission d'une infraction peut engager une action en responsabilité civile à l'encontre de l'auteur, du complice ou des tiers civilement responsables, soit devant une juridiction répressive à l'occasion de l'exercice de l'action publique, soit de manière autonome devant une juridiction civile.
Cependant, avant même que l'action publique ait été déclenchée, la victime d'une infraction dont la liste est déterminée par le Code de procédure pénale peut exercer un recours en indemnité devant une commission d'indemnisation placée auprès de chaque tribunal de grande instance, qui est une juridiction civile aux termes de l'article L. 214-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7854HN9). L'action exercée par la victime devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ne peut consister en une action en réparation d'un dommage, intentée contre ceux qui sont pénalement ou civilement responsables. L'action diligentée par la victime relève du recours en indemnité exercé contre le fonds d'indemnisation, chaque fois que la victime n'aura pu obtenir réparation du préjudice subi soit totalement, soit partiellement. Toutefois, l'accès au fonds d'indemnisation est soumis à des critères stricts qui, en l'espèce, n'étaient pas tous remplis.
A - L'absence de caractère matériel de l'infraction
Aux termes de l'article 706-3 du Code de procédure pénale, "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° [...]
2° Ces faits :
- [...] ont entraîné la mort [...]
3° La personne lésée est de nationalité française [...]"
Au vu de cette disposition, la mère du gardé à vue décédé a sollicité du fonds d'indemnisation des victimes d'infractions le bénéfice de la réparation de son préjudice moral. Toutefois, la cour d'appel, juridiction de recours contre les décisions des commissions d'indemnisation, l'a déboutée de sa demande aux motifs que "les faits à l'origine du décès de [son fils] ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction". Il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer sur la notion de caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale.
Par cet arrêt du 26 mars 2015, la Cour de cassation écarte, à l'égard des faits commis, tout caractère matériel de l'infraction. En effet, ainsi que nous l'avons précédemment mentionné, le fait justificatif ôte tout élément légal à l'infraction commise. Dès lors, la victime ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l'article 706-3 du Code de procédure pénale, l'infraction n'ayant dès lors pas été commise. En revanche, alors même que l'élément intentionnel ferait défaut et qu'en conséquence l'infraction s'avérerait non punissable, une victime pourrait solliciter réparation devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, en cas d'infraction commise par une personne atteinte de troubles psychiques. Ce cas de non-imputabilité ne remet pas en cause l'existence de l'infraction. C'est pourquoi, l'argument du pourvoi n'était pas dénué de pertinence dès lors qu'il soulevait l'autonomie objective de l'infraction par rapport à la personne de son auteur. Selon la victime, une chose est la constatation de l'infraction réalisée, une autre est le sort juridique qui est réservé à son auteur. Cependant, la Cour de cassation n'a pas entendu suivre ce raisonnement au risque de devoir accéder à toutes les demandes d'indemnisation y compris dans les hypothèses où la cause de l'infraction est inconnue (3). La Haute juridiction s'en tient à une conception stricte de la matérialité de l'infraction, qu'il convient d'approuver.
B - L'appréciation du caractère général de la solution
Si la précision des termes choisis par les Hauts magistrats peut laisser penser que la portée de l'arrêt est cantonnée aux effets civils attachés à l'autorité de la loi et au commandement de l'autorité légitime, il est néanmoins permis de s'interroger sur les conséquences plus générales qu'il convient de tirer de l'ouverture du recours en indemnité au regard des autres faits justificatifs exposés par le Code pénal.
S'agissant, en premier lieu, de la légitime défense, sa reconnaissance implique l'irresponsabilité pénale de la personne concernée, aucun crime ou délit ne pouvant lui être reproché. Dès lors, le caractère matériel de l'infraction faisant défaut, la victime supposée ne pourra demander réparation sur le fondement de l'article 706-3 du Code de procédure pénale. De même, si la victime exerce, directement à l'encontre de l'auteur, une action civile en réparation de son dommage, son action ne pourra pas plus prospérer dès lors que l'auteur de la riposte n'a commis aucune faute, la légitime défense étant un droit auquel il peut prétendre.
S'agissant, en second lieu, de l'état de nécessité dont les éléments constitutifs sont prévus à l'article 122-7 du Code pénal (N° Lexbase : L2248AM9), il entraîne, dès sa reconnaissance, l'irresponsabilité pénale de son auteur. Ici comme précédemment, l'infraction faisant défaut, toute victime supposée ne pourra guère solliciter une quelconque demande de réparation devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions. En revanche, il est permis de s'interroger sur la possibilité de demander directement réparation à l'auteur ayant commis l'acte de nécessité. Là encore, aucune faute pénale ne pouvant être constatée, l'auteur de l'infraction nécessaire ne saurait être redevable d'une quelconque indemnisation à l'égard de la victime déclarée (4). Pour autant, il a pu être objecté que la victime de l'infraction nécessaire n'ayant commis elle-même aucune faute, il serait légitime de lui assurer réparation du préjudice subi (5). Toutefois, la Cour de cassation ne semble pas sensible à la pertinence de l'argumentation (6). Cette position doit être approuvée afin de maintenir un régime juridique unitaire et cohérent des faits justificatifs.
(1) Cass. crim., 18 février 2003, n° 02-80.095, FS-P+F (N° Lexbase : A5725A78), Bull. crim., n ° 41.
(2) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, n° 433.
(3) Cass. civ. 2, 20 avril 2000, n° 98-17.579 (N° Lexbase : A2621CIW), Bull. civ. II, n° 62.
(4) R. Savatier, L'état de nécessité et la responsabilité civile extra-contractuelle, Mélanges Capitant, 1939, p. 757.
(5) B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 2013, 23ème éd., n° 433, p. 363.
(6) Cass. crim., 16 juillet 1986, n° 86-90.401 (N° Lexbase : A5859AAA), D., 1986, 390.
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