Lexbase Social n°606 du 26 mars 2015 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Les modalités de renonciation à la clause de non-concurrence doivent être définies avec clarté et précision par le contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 11 mars 2015, n° 13-22.257, FS-P+B (N° Lexbase : A3163NDI)

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N6557BUE

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 26 Mars 2015

Plus que jamais, l'employeur doit se montrer extrêmement vigilant lorsqu'il propose à la signature du salarié une clause de non-concurrence, car les règles qui s'appliquent, à défaut de dispositions contractuelles ou conventionnelles claires et précises, protègent clairement les intérêts du salarié, et nullement ceux de l'entreprise. C'est ce que confirme un nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 mars 2015, dans une hypothèse où la clause rédigée par les parties ne mentionnait pas clairement le droit qu'aurait l'employeur de renoncer à la clause avant la rupture du contrat de travail (I). Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère que la renonciation ne peut intervenir qu'au moment de la rupture, et avant l'expiration du délai contractuel très court qui avait été stipulé (II).
Résumé

La clause de non-concurrence, dont la validité est subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière, est stipulée dans l'intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l'employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause, au cours de l'exécution de cette convention.

Commentaire

I - Une clause de renonciation mal rédigée

De la faculté de renoncer à la clause de non-concurrence. La Cour de cassation considère, depuis 1993, que l'employeur ne peut renoncer unilatéralement à la clause de non-concurrence assortie d'une contrepartie financière s'il n'y est pas autorisé par le contrat de travail ou la convention collective (1). La solution est justifiée par le fait que l'existence d'une contrepartie financière stipulée dès la conclusion de la clause présente un intérêt également pour le salarié que l'employeur ne peut donc pas léser unilatéralement (2). Cette affirmation a bien entendu été confortée par la généralisation de l'exigence de contrepartie financière après 2002 (3). Reste à déterminer de quelle marge de manoeuvre disposent les partenaires sociaux, ou les parties au contrat de travail, puisqu'ils sont invités à prévoir, dès l'origine, les modalités de renonciation de l'employeur à la clause.

Si les parties ont enfermé l'exercice de cette prérogative dans un bref délai à compter de la rupture du contrat, alors l'employeur doit respecter ce délai, à défaut de quoi, sa renonciation sera inopposable au salarié (4). La Cour de cassation est ici très vigilante sur le respect des termes du contrat qui doivent être explicites (5).

Depuis l'arrêt "Société Dyneff", rendu en 2010, il semble également que la durée contractuelle laissée à l'employeur pour renoncer à la clause, doit être brève, celui-ci ne pouvant se voir autorisé à renoncer à la clause pendant toute sa durée de vie (6).

En l'absence de délai, la renonciation doit intervenir au moment de la rupture du contrat de travail, "le salarié ne pouvant être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler" (7). C'est d'ailleurs pour cette même raison que la renonciation doit intervenir à la date à laquelle l'employeur dispense le salarié de l'exécution de son préavis, et non à la date à laquelle les relations juridiques entre les parties cessent, c'est-à-dire à l'expiration du préavis (8).

Les faits. Un salarié était lié par une clause de non-concurrence assortie d'une faculté de renonciation accordée à l'employeur et devant lui être notifiée dans les huit jours suivant la rupture du contrat de travail. Le 22 février 2010, il avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Le 7 avril, son employeur lui faisait part de sa décision de renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence, et le 28 juin il lui notifiait son licenciement. Après le rejet en mars 2012 de sa demande de résiliation judiciaire, la juridiction prud'homale avait considéré le licenciement comme justifié et lui avait attribué plus de vingt mille euros au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

En appel, la cour avait également rejeté la demande de résiliation judiciaire mais considéré pour sa part le licenciement comme injustifié. S'agissant de la clause de non-concurrence, elle avait considéré la renonciation comme valable, après avoir observé qu'en indiquant que "l'entreprise pouvait lever ou réduire l'interdiction de concurrence, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et au plus tard dans les huit jours suivant la notification de rupture du contrat de travail", les parties n'avaient pas entendu interdire à l'employeur de renoncer à la clause, avant la notification de la rupture.

C'est sur ce motif qu'est cassé l'arrêt d'appel, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que "la clause de non-concurrence, dont la validité est subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière, est stipulée dans l'intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l'employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause, au cours de l'exécution de cette convention". En l'absence de telle clause, la renonciation anticipée de l'employeur n'était donc pas valable.

II - La banalisation de la clause de non-concurrence

Interprétation de la décision. La solution étant rendue au double visa des articles L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), deux interprétations peuvent être proposées.

La première tient à la violation du régime applicable aux clauses de non-concurrence par la jurisprudence, et qui est rattaché à l'article L. 1221-1 du Code du travail. Un employeur, qui s'est engagé à verser au salarié une contrepartie financière après la rupture de son contrat de travail, ne pourrait renoncer à cet engagement que s'il y a été autorisé par l'accord collectif ou le contrat, et à condition de le faire au moment où le contrat de travail est rompu, et jamais avant, quels que soient les termes de l'acte l'y autorisant. Cette solution irait donc de paire avec celle qui interdit à l'employeur de verser par anticipation la contrepartie financière (9). Dans cette optique, la clause de non-concurrence stipulée pour s'exécuter après rupture du contrat, verrait son régime figé pendant la durée d'exécution du contrat, et ne pourrait être modifiée qu'au moment de la rupture, soit pour cesser, si tel a été prévu par les parties, soit pour s'exécuter normalement, en l'absence de renonciation valablement intervenue.

Il ne semble pas que cette interprétation doive prévaloir ici, compte tenu des termes mêmes de l'arrêt. La Cour y affirme en effet que "l'employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause, au cours de l'exécution de cette convention". En réservant expressément la faculté pour les parties de prévoir la renonciation à la clause en cours d'exécution du contrat de travail, la Cour de cassation ne ferait pas de cette règle un élément impératif, mais seulement une disposition supplétive s'imposant, à défaut de stipulation contraire dans l'accord collectif ou le contrat de travail.

Une seconde interprétation, liée à la présence dans le visa de l'article 1134 du Code civil aux côtés de l'article L. 1221-1 du Code du travail, qui sert de texte de rattachement au régime général des clauses du contrat de travail, tient donc certainement, plus prosaïquement, aux termes de la clause en l'espèce, et donc à une différence d'interprétation avec la cour d'appel.

Celle-ci avait, pour sa part, considéré les termes "précis" de la clause et indiqué que "l'entreprise pouvait lever ou réduire l'interdiction de concurrence, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et au plus tard dans les huit jours suivant la notification de rupture du contrat de travail", ce dont l'employeur, et avec lui la cour d'appel, avait cru pouvoir déduire que la mention "au plus tard" autorisait une renonciation intervenant avant la rupture, y compris si le contrat était en cours d'exécution (10).

Pour la Cour de cassation, bien au contraire, la clause faisait référence, pour décompter le délai de renonciation de huit jours, à la rupture du contrat de travail, ce qui suffisait à considérer que cette renonciation ne pouvait intervenir qu'à compter de la rupture, et non en cours d'exécution du contrat de travail.

En cassant l'arrêt de la cour d'appel, pour violation de la loi, sans faire référence à une quelconque dénaturation de la clause, la Cour de cassation a certainement voulu affirmer que la possibilité de renoncer à la clause pendant l'exécution du contrat de travail doit résulter des termes clairs et précis de la clause, et que tel n'est pas le cas lorsque les parties se contentent de situer le pouvoir de renonciation au moment de la rupture, ce qui suggère fortement qu'elles n'ont pas entendu autoriser l'employeur à rompre avant ce moment.

Une approche de la renonciation globalement discutable. Nous comprenons les arguments qui ont poussé la Cour de cassation à affirmer, depuis 1993, que le salarié, lorsqu'il perçoit une contrepartie financière, a intérêt au maintien de la clause, au même titre que l'employeur ; la considération de sa soumission future, et moyennant rémunération, à une clause de non-concurrence peut, en effet, déterminer le salarié dans son attitude professionnelle, et le dissuader de rechercher un autre emploi directement concurrentiel du sien. Il peut donc, dans une certaine mesure, "compter" sur cette contrepartie pour construire son parcours professionnel, au moins pendant les quelques mois où il sera tenu de respecter son obligation de non-concurrence. Le priver de cette contrepartie serait donc, pour analyser la situation du seul point de vue du salarié, une sorte d'atteinte à une espérance légitime de créance, assimilable à une violation de son droit aux biens protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9). Sans aller jusqu'à chercher le secours d'un droit "fondamental", on pourrait d'ailleurs observer, plus classiquement, que l'article 1134 du Code civil suffit à justifier la solution, seules les parties pouvant défaire ce qu'elles ont fait ensemble (11), la clause de non-concurrence étant devenue, singulièrement depuis 2002, le parfait exemple du contrat synallagmatique dans lequel chaque obligation aurait pour cause l'engagement de l'autre partie, dans un parfait équilibre commutatif (12).

Le problème est que cette explication, qui est réaffirmée à chaque nouvelle décision rendue depuis 1993 en matière de renonciation par l'employeur, ne nous convainc pas, et la logique synallagmatique qui la sous-tend ne nous semble pas non plus expliquer toute la jurisprudence en la matière.

Il nous semble tout d'abord abusif d'affirmer que le salarié et l'employeur ont un égal intérêt à la clause de non-concurrence, comme ils auraient un égal intérêt au contrat de travail. S'agissant de la clause de non-concurrence, la contrepartie financière n'est, comme son nom l'indique d'ailleurs, que ce qui est versé au salarié en "contrepartie", c'est-à-dire en compensation de la privation de la liberté professionnelle que réalise la clause de non-concurrence (13). Mais s'il est exact d'affirmer que la contrepartie a pour cause l'obligation de non-concurrence, il est erroné d'affirmer que l'affirmation serait réversible ; l'obligation de non-concurrence n'a pas pour cause la contrepartie financière, mais la nécessité de sauvegarder les intérêts légitimes de l'entreprise, comme l'affirme d'ailleurs classiquement la jurisprudence depuis 1992 (14). Les deux obligations ne sont donc pas synallagmatiques, comme peuvent l'être, dans le contrat de travail, l'obligation de fournir le travail convenu et celle de payer le salaire, et si cause il y a, c'est plutôt dans la théorie de la causalité qu'il convient de chercher, l'intérêt de l'entreprise commandant d'empêcher le salarié de faire concurrence à celle-ci après la rupture du contrat de travail, et cette obligation de non-concurrence devant alors être compensée par le versement d'une contrepartie financière. C'est donc l'intérêt de l'entreprise qui apparaît en premier, et celui du salarié en second, comme une conséquence induite.

Dans ces conditions, plutôt que de tout faire pour sauver la clause coûte que coûte et parfois en dépit de la logique économique de la clause (15), ne faudrait-il pas, au contraire, laisser la clause disparaître lorsqu'elle n'a plus d'utilité pour l'entreprise, et autoriser l'employeur à renoncer ?


(1) Cass. soc., 17 février 1993, n° 89-43.658 (N° Lexbase : A1706AAG) : Bull. civ. V, n° 57 ; D., 1993, jurispr. p. 347, note Y. Serra ; D., 1993, somm. p. 258, obs. J. Goineau ; Cass. soc., 4 juin 1998, n° 95-41.832 (N° Lexbase : A5357ACE) : Bull. civ. V, n° 299 ; D., 1999, somm. p. 37, obs. A. Bouilloux ; Cass. soc., 28 novembre 2001, n° 99-46.032, F-D (N° Lexbase : A2968AX9) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.635, F-D (N° Lexbase : A2325GAD) ; Cass. soc., 28 novembre 2001, n° 99-46.032, F-D (N° Lexbase : A2968AX9).
(2) Cass. soc., 17 février 1993, n° 89-43.658, préc. : "cette clause était instituée, non seulement dans l'intérêt de l'employeur, mais également dans celui du salarié qui, d'après les énonciations du jugement attaqué, recevait, en application du contrat, une contrepartie financière".
(3) Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-44.902, F-D (N° Lexbase : A7348DGA) ; Cass. soc., 27 février 2007, n° 05-43.600, F-D (N° Lexbase : A4164DUR) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.635, F-D, préc..
(4) Sur la variété des clauses conventionnelles, J.-Y. Kerbourc'h, Inventaire des stipulations contractuelles in Clauses de non-concurrence, SSL, suppl. 2004, n° 1168, p. 52.
(5) Ainsi, si l'accord collectif prévoit que la faculté doit résulter d'une mention expresse, présente dans la rupture conventionnelle, alors l'absence de cette mention interdit à l'employeur de se prévaloir de sa renonciation : Cass. soc., 4 février 2015, n° 13-25.451, F-D (N° Lexbase : A2474NBA).
(6) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y) : JCP éd. S, 2010, p. 1410, note D. Asquenazi-Bailleux.
(7) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R, préc. ; Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-18.566, F-D (N° Lexbase : A9321M3M) (renonciation intervenue quatre mois plus tard).
(8) Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-24.471, FS-P+B (N° Lexbase : A2583NAW).
(9) Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN) et nos obs., Indemnité compensatrice de non-concurrence : la fin des versements anticipés ?, Lexbase Hebdo n° 252 du 15 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3315BAZ) ; D., 2007, p. 1708, note C. Lefranc-Hamoniaux ; RLDC, 2007, n° 38, p. 13, note S. Pourtau ; RDT, 2007, p. 308, note G. Auzero, "la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a pour objet d'indemniser le salarié qui, après rupture du contrat de travail, est tenu d'une obligation qui limite ses possibilités d'exercer un autre emploi ; que son montant ne peut dépendre uniquement de la durée d'exécution du contrat ni son paiement intervenir avant la rupture".
(10) CA Colmar, 27 juin 2013, n° 12/02206 (N° Lexbase : A7529MTZ).
(11) En ce sens, voir les analyses de Y. Serra, notamment au D., 1993, préc..
(12) C. Tétard, Réflexions sur le régime de la renonciation à la clause de non-concurrence, JCP éd. S, 2006, p. 1885.
(13) Dans le même sens, G. Auzero : "Souvent présentée comme la cause de l'engagement du salarié, cette contrepartie s'apparente fort à une indemnité compensatrice, alors même que la Cour de cassation l'analyse comme un salaire" : Lexbase Hebdo n° 326 du 13 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6973BHQ), comm ss. Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, FS-P (N° Lexbase : A0715EB4).
(14) Cass. soc., 14 mai 1992, n° 89-45.300 (N° Lexbase : A1723AA3) et les obs. de D. Corrignan-Carsin, Validité de la clause de non-concurrence et protection des intérêts légitimes de l'entreprise, Dr. soc., 1992, p. 967 s..
(15) Tel est le cas lorsque la clause survit à l'entreprise : Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-26.374, FS-P+B (N° Lexbase : A2694NAZ), voir S. Tournaux, La clause de non-concurrence protégeant les intérêts d'une entreprise... qui a disparu !, Lexbase Hebdo n° 600 du 5 février 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N5824BUA) ; Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-45.540, FS-P+B (N° Lexbase : A7512DHP) et nos obs., Une clause de non-concurrence ne peut être caduque, Lexbase Hebdo n° 163 du 14 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3076AIR), ou que le salarié part à la retraite et ne va donc pas monnayer quelque secret au bénéfice d'un nouvel employeur. Seul le décès éteint le droit à contrepartie, ce qui est logique puisqu'il n'y a alors plus de sujet de liberté professionnelle : Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-43.093, FS-P, préc..

Décision

Cass. soc., 11 mars 2015, n° 13-22.257, FS-P+B (N° Lexbase : A3163NDI).

Cassation partielle (CA Colmar, 27 juin 2013, n° 12/02206 N° Lexbase : A7529MTZ).

Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots clef : clause de non-concurrence ; renonciation.

Liens base : (N° Lexbase : E8734ESB).

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