Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 4 février 2015, n° 367724, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1429NBK)
Lecture: 11 min
N6046BUH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 17 Mars 2015
Antoine Louche : C'est la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), dite loi "Le Pors", qui fixe les bases communes aux trois fonctions publiques (Etat, collectivités territoriales et fonction publique hospitalière). Elle comprend notamment des dispositions relatives à la discipline dans ses articles, 19, 29 et 30. Ainsi, l'article 19 de la loi donne compétence à l'autorité de nomination pour prendre des sanctions disciplinaires. Il s'agit généralement de l'exécutif à la tête de l'administration (maire, président du conseil général ou régional, président ou directeur d'un établissement public ou président de l'établissement public de coopération intercommunale).
Si nous nous intéressons plus à la fonction publique concernée par l'arrêt rapporté, les différentes sanctions pouvant être prononcées sont réparties en 4 groupes. C'est l'article 81 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L8100AG4), qui fixe le régime des sanctions applicables aux agents de cette fonction publique. Pour les agents contractuels relevant de la fonction publique hospitalière, c'est le décret n° 91-155 du 6 février 1991, relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 (N° Lexbase : L1061G8S), qui fixe le régime applicable.
Concernant les sanctions dans la fonction publique hospitalière, les sanctions du premier groupe, qui sont les moins sévères, comprennent l'avertissement et le blâme. Elles peuvent être prononcées par l'autorité compétente sans saisine préalable du conseil de discipline, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi "Le Pors". Et, parmi ces sanctions, seul le blâme est inscrit dans le dossier administratif de l'agent. Ce dernier en est automatiquement effacé si aucune nouvelle faute n'a été commise par l'agent dans un délai de trois ans.
Les sanctions du deuxième groupe comprennent la radiation du tableau d'avancement, abaissement d'échelon, exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours. Celles du troisième groupe comprennent la rétrogradation, exclusion temporaire de fonctions de trois mois à deux ans. On remarque qu'immédiatement les sanctions des deuxième et troisième groupe peuvent, à la différence de celles du premier groupe, avoir un réel impact sur la carrière de l'agent et ou sa rémunération.
Enfin, les sanctions les plus graves et sévères, celles du quatrième groupe, qui comprennent la mise à la retraite d'office et la révocation. Autrement dit, lorsque de telles sanctions sont prononcées c'est le lien entre l'agent et son employeur qui est remis en cause.
Au sujet des similitudes et discordances entre la procédure pénale et la procédure disciplinaire, il faut rappeler, tout d'abord, que l'article 29 de la loi "Le Pors" fixe le principe général applicable en matière disciplinaire et du principe d'indépendance des procédures à l'égard de la législation pénale (1). Ce dernier dispose que "toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale".
Ce principe d'indépendance des législations et des procédures a de multiples incidences. Ainsi, il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire et d'aucun principe que l'autorité compétente en matière disciplinaire sursoit à statuer dans l'attente d'une décision pénale lorsque les faits ayant donné lieu à la procédure disciplinaire ont également donné lieu à des poursuites pénales (2).
Comme cela fut le cas en l'espèce dans l'arrêt rapporté, l'employeur public peut, notamment dans le cadre d'une procédure de titularisation, solliciter la communication du bulletin n°2 de son casier judiciaire. Cette transmission a pour objet de savoir si l'agent en cause a fait l'objet de condamnation pénale, et en pareille hypothèse, si cette ou ces condamnations, sont compatibles avec l'exercice des fonctions (3).
La décision du 4 février 2015 apporté un nouvel éclairage et de nouvelles précisions sur ce point. En effet, la Conseil d'Etat a considéré qu'aucune disposition législative ou règlementaire n'impose à un candidat à un emploi public ou un agent public d'informer son employeur des éventuelles condamnations pénales dont il aurait pu faire l'objet. Pourtant, l'administration peut néanmoins s'opposer à l'intégration d'un agent en fondant son refus sur des faits dont elle a connaissance, quand bien même ces faits n'auraient pas donné lieu à une condamnation pénale (4). Un autre élément oppose significativement ces deux procédures.
L'action publique doit être engagée et menée dans des délais de prescription (un an pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes, or cas spécifiques). L'action disciplinaire n'est pas soumise à une telle contrainte. En effet, de longue date la jurisprudence a estimé qu'aucun texte n'imposait qu'une action disciplinaire soit engagée dans un délai déterminé, à peine de nullité (5). La jurisprudence fait uniquement référence à la notion de délai raisonnable, qui donne une grande marge d'appréciation et de flexibilité aux employeurs publics (6).
Ces deux procédures présentent néanmoins des similitudes et sont gouvernées par des principes communs. Ainsi, le principe du contradictoire guide tant la tenue de la procédure pénale que disciplinaire. En effet, sur le plan pénal, les dispositions de l'article 427 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3263DGX) imposent un certain nombre d'obligation au juge. Ce dernier ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui (7).
Sur le plan administratif, le respect du principe du contradictoire est également un des piliers de la procédure disciplinaire. L'obligation faite à l'administration d'informer l'agent qu'il peut consulter ou obtenir une copie de son dossier administratif constitue un premier corollaire du respect du contradictoire. Cette information et transmission constitue un principe général du droit (8) et une formalité substantielle (9). Sa méconnaissance entache d'illégalité la procédure disciplinaire en cause. Nous pouvons également mentionner la possibilité qui est offerte, et qui doit être rappelée, à l'agent de se faire assister par toute personne de son choix, et notamment un avocat.
Enfin, l'agent poursuivi ou son conseil doivent pouvoir avoir la parole en dernier pour former d'ultimes observations à l'occasion de la séance du conseil de discipline. Il convient également de rappeler, que le respect du principe du contradictoire est également garanti et protégé au niveau européen. Le droit au procès équitable, contenu dans l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), implique qu'une procédure juridictionnelle soit contradictoirement tenue (10). Pour la Cour européenne des droits de l'Homme, le principe de la contradiction implique le droit pour une partie de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l'autre, ainsi que de les discuter.
Toujours sur le plan des similitudes dans le cadre de ces deux procédures, une mesure conservatoire peut être prononcée à l'encontre de l'intéressé. Dans le cadre de la procédure disciplinaire, il s'agit de la suspension à titre conservatoire. C'est l'article 30 de la loi "Le Pors" qui permet une telle suspension. Cette dernière mesure, qui ne constitue pas une sanction (11), ne peut être prononcée qu'en cas de faute grave de l'agent ou fonctionnaire. Afin de limiter les conséquences d'une telle suspension, l'agent continue à percevoir son traitement et le conseil de disciplinaire est saisi sans délai. Sur le plan pénal, il s'agit de la détention provisoire. Cette dernière peut être prononcée par le juge des libertés et de la détention à la demande du juge d'instruction, conformément aux dispositions de l'article 145 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2985IZL).
Toute proportion gardée, ces deux sanctions ont le même objet. Elles tendent à sauvegarder le bon fonctionnement du service ou la protection du public.
Lexbase : De quelle manière le juge administratif s'en est-il saisi ?
Antoine Louche : Si comme nous l'avons indiqué, les poursuites pénales et disciplinaires sont en principe indépendantes, des interactions existent toutefois. En effet, tant le conseil de discipline, l'autorité compétente pour prononcer la sanction que le juge administratif sont liés par la qualification retenue par le juge pénal. L'autorité de la chose jugée attachée à un jugement pénal définitif ne peut être remise en cause par ces derniers s'agissant de la constatation et la matérialité des faits reprochés (12). Ainsi, en pareille hypothèse, le conseil de discipline l'autorité compétente, et le cas échéant, le juge n'auront qu'à se prononcer sur le respect de la procédure discipline et au fond sur la proportionnalité de la sanction retenue.
On imagine mal que des faits ayant donné lieu à une condamnation pénale définitive ne donnent pas également lieu à une sanction disciplinaire, même légère. Le prononcé d'une relaxe ou d'un acquittement est plus complexe sur le plan disciplinaire. En effet, les autorités compétentes, et in fine, le juge administratif, devront s'assurer que la qualification retenue par le juge pénal a remis en cause la matérialité des faits (13). La qualification pénale d'une infraction doit en effet être distinguée de la matérialité des faits en cause.
C'est la raison pour laquelle une sanction disciplinaire peut être prononcée alors même qu'aucune sanction pénale ne l'a été. Rappelons, à cet égard, que le prononcé d'une sanction disciplinaire pour des faits ayant déjà donné lieu à une sanction pénale définitive ne constitue pas une méconnaissance du principe non bis in idem (14). Enfin, l'employeur public qui souhaiterait attendre la fin de la procédure pénale engagée contre un agent sera confronté à deux nouvelles exigences.
D'une part, il devra apprécier si la durée de la procédure pénale, qui peut courir sur plusieurs mois ou années, ne risque pas de nuire à la bonne tenue du service. Ce sursis à statuer est à écarter si l'agent a été suspendu à titre conservatoire. En effet, comme cela a pu être rappelé, cette suspension, qui ne peut être que temporaire, implique, lorsqu'elle est prononcée, que le conseil de discipline soit saisi sans délai. D'autre part, l'administration devra également tenir compte du comportement de l'agent durant toute la procédure. Il pourra s'agir tant de la confirmation du comportement fautif de l'agent qu'a contrario, d'une amélioration de ce dernier (15).
En effet, le conseil de discipline et l'autorité disciplinaire ne sont pas insensibles à l'évolution du comportement de l'agent et prennent en compte l'éventuel repenti de ce dernier, en faisant dans la plupart des cas preuve de clémence. Un subtil équilibre existe donc entre la procédure pénale et la procédure discipline. Seule une analyse au cas par cas permet de déterminer la conduite qu'il convient d'adopter à l'égard de l'agent poursuivi.
Lexbase : La relative mansuétude du Conseil d'Etat en l'espèce vous semble-t-elle justifiée ?
Antoine Louche : Dans cette espèce, le Conseil d'Etat a fait usage des principes dégagés dans sa jurisprudence "Cavallo" (16). En application de cette dernière, dès lors que l'administration considère que le contrat qui la lie à un agent est entaché d'irrégularité, il lui appartient de proposer un autre emploi à cet agent. Cette proposition a pour objectif de régulariser la situation de ce dernier. Il doit s'agir d'un emploi équivalent ou, à défaut, de tout autre emploi, si l'agent le demande. En effet, sauf à ce que l'administration procède au licenciement de l'agent, cette dernière est tenue de lui proposer un poste.
Rappelons, à cet égard, que sauf deux hypothèses, l'autorité compétente dispose d'un pourvoir d'appréciation pour déterminer si les faits reprocher à un agent rendent impossible le maintien de ce dernier dans ses fonctions ou constituent un obstacle à son recrutement. En effet, les agents publics et fonctionnaires sont astreints à un certain nombre de devoirs et obligations, au nombre desquels figure notamment la probité. Une méconnaissance de ce principe pourra entrainer une sanction disciplinaire. Ces deux hypothèses sont liées au prononcé d'une condamnation pénale définitive. Si l'agent ou le candidat s'est vu retiré ses droits civiques en application de l'article 131-26 du Code pénal (N° Lexbase : L2174AMH) ou interdire d'exercer une fonction publique au sens de l'article 131-27 du même code (N° Lexbase : L9467IYB), l'autorité de nomination n'aura d'autre choix que de procéder à la radiation des cadres de l'agent, à son licenciement, ou d'écarter sa candidature à un emploi public (17).
Dans l'arrêt rapporté, l'agent en cause avait été condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis pour trafic de stupéfiants. Néanmoins, comme l'a relevé le Conseil d'Etat, l'agent a ensuite dénoncé ces agissements et a collaboré avec les services de police. Cette décision constitue donc une nouvelle illustration de la prise en considération de l'ensemble des faits ayant donné lieu à une condamnation pénale de l'agent et l'appréciation de ce comportement par le juge administratif et, notamment, la prise en compte du repentir de l'agent.
En l'espèce, la condamnation prononcée n'avait pas fait l'objet d'une publicité particulière, ainsi, cette dernière n'avait pas nui à l'image du service public en cause. Les fonctions de l'intéressée, agent d'entretien, ne permettaient en outre pas à cette dernière de soustraire des produits pharmaceutiques du centre hospitalier. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la décision commentée est parfaitement justifiée et cohérente.
(1) Sur le principe d'indépendance des procédures voir, notamment, CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2014, n° 372015, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1033MGD) ou CE, 5 mars 2008, n° 12719 (N° Lexbase : A3083AKE).
(2) Voir notamment, en ce sens, CE 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 286360, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4843DS8).
(3) Voir notamment, en ce sens, CE 3° et 5° s-s-r., 3 décembre 1993, n° 104876, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7741AMN), p. 833.
(4) CE 3° et 5° s-s-r., 21 juin 1993, n° 135088, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9965AMZ).
(5) CE, Ass., 27 mai 1955, Deleuze, publié au recueil Lebon, p. 296.
(6) CAA Marseille, 8ème ch., 13 décembre 2011, n° 09MA03062 (N° Lexbase : A1252ICD), Rép. Min. n° 05004, JO Sénat, 30 mai 2013.
(7) Voir notamment, en ce sens, Cass. crim, 20 novembre 1984, n° 84-91.332 (N° Lexbase : A3379AAE).
(8) CE 4° et 6° s-s-r., 5 juillet 2000, n° 200622, 203356, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9429AGC).
(9) CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2013, n° 360899, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3006KKK).
(10) Voir, notamment, en cette matière, CEDH, 20 février 1996, Req. 21/1994/468/549 (N° Lexbase : A8394AWS).
(11) CE 3° et 5° s-s-r., 29 janvier 1988, n° 58152, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7936APM).
(12) CE 4° et 5° s-s-r., 30 décembre 2013, n° 356775, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2418KTQ) ; CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 296698, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5816DZG).
(13) Voir, notamment, en ce sens, CE 10° s-s., 24 octobre 1986, n° 59929, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6850AMN).
(14) Voir notamment en ce sens pour un exemple récent CE 4° et 5° s-s-r., 21 juin 2013, n° 345500, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2085KHP).
(15) Sur une amélioration du comportement voir, notamment, CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 313588, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1332EKK).
(16) CE, Sect., 31 décembre 2008, n° 283256, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6573ECG).
(17) Voir, notamment, un exemple récent : CAA Lyon, 3ème ch., 23 décembre 2014, n° 14LY01806 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 22785108, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CAA Lyon, 3e, 23-12-2014, n\u00b0 14LY01806", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A6993M9U"}}).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:446046