Réf. : Cass. civ. 3, 7 mai 2014, n° 13-14.152, FS-P+B (N° Lexbase : A5521ML3)
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N2545BUS
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Président de l'AFDR Section Lorraine
le 29 Juillet 2017
I - L'insertion d'une clause de reprise sexennale
En principe, la reprise des terres louées pour les exploiter en faire-valoir direct par le propriétaire s'exerce principalement en fin de bail (2). Elle provoque un contentieux relativement important, notamment à propos du congé délivré en fin de bail, destiné à avertir le preneur que le bailleur souhaite reprendre les terres pour les exploiter directement, ou par l'intermédiaire d'un membre de sa famille. Toutefois, l'exploitation en faire-valoir direct étant l'un des principaux objectifs du statut du fermage, le législateur a permis au bailleur la possibilité de reprendre les biens loués, au cours du bail renouvelé, au moyen d'une clause de reprise, trois ans avant l'échéance du bail renouvelé, autrement dit six ans après le renouvellement du bail, d'où son nom de clause de reprise sexennale. Initialement (3), ce dispositif devait permettre aux descendants du bailleur, mineurs lors de la conclusion du bail initial, de pouvoir reprendre les parcelles pour les exploiter personnellement, après avoir atteint l'âge de la majorité, fixée avant 1974, à 21 ans. La loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 (N° Lexbase : L9121AGW) a étendu le bénéfice de ce dispositif au conjoint, puis plus récemment au partenaire d'un pacte civil de solidarité (4).
Contrairement au droit de reprise en fin de bail, les conditions de mise en oeuvre de la clause sexennale sont beaucoup plus souples. Ainsi, l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime dispose que le preneur ne peut s'opposer à l'insertion de cette clause lors du renouvellement du bail. Par conséquent, il n'est pas obligatoire que la clause figure, dès l'origine, dans la convention régissant la relation entre les parties. Ainsi, le bailleur dispose, en quelque sorte, du "droit de modifier la règle du jeu" sans que le preneur ne puisse s'y opposer d'une quelconque façon. En effet, la jurisprudence considère que la clause de reprise sexennale peut figurer soit dans le bail initial, soit dans le bail renouvelé (5). En outre, le bénéfice d'un plan de continuation ne permet pas de s'opposer à l'insertion d'une telle clause (6). Sur ce point, le caractère d'ordre public du statut du fermage prime le droit des entreprises en difficulté.
Par ailleurs, le législateur n'impose aucune condition de délai pour insérer la clause de reprise sexennale. En effet, l'article L. 411-6 précité dispose que le preneur ne peut s'opposer à l'insertion de cette clause au moment du renouvellement du bail. Par conséquent, il suffit que le bail soit renouvelé pour que le bailleur puisse imposer l'insertion de cette clause dans le bail, alors que dans le bail initial, cette clause doit être acceptée par les deux parties au contrat.
Depuis plusieurs décennies, la Cour de cassation a jugé que l'insertion n'était pas limitée à la seule époque du renouvellement du bail, mais pouvait intervenir à tout moment (7). Pour cette raison, le preneur à bail ne pouvait s'opposer à l'insertion d'une telle clause deux ans après le renouvellement du bail (8). Il ne pouvait pas invoquer le fait qu'en application d'une telle clause au cours du bail renouvelé, les prévisions de son activité économique se trouvaient sensiblement modifiées, dès lors qu'il devait restituer les parcelles louées dans un délai de quatre ans, et non à l'issue d'une période de sept ans. Toutefois, ces solutions ont été rendues à propos de contrats de bail écrits, pour lesquels la notion de clause ne soulève pas de difficultés particulières. Peuvent-elles être transposées au bail verbal, c'est-à-dire à un contrat dont l'essentiel, au moins, n'est pas formalisé dans un document écrit comportant des clauses ?
II - Bail verbal et clause de reprise sexennale
En l'espèce, les parties ont des opinions discordantes sur ce point de droit. Ainsi, et logiquement, les bailleurs prétendent qu'au motif que la loi ne distinguant pas entre bail écrit et bail verbal, l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime trouverait "naturellement" à s'appliquer à ce dernier. Afin de renforcer leur argumentation, ils invoquent le bail-type départemental qui régit le contrat verbal et, en l'occurrence, qui renvoie expressément à la clause de reprise sexennale. Enfin, le statut des baux ruraux étant d'ordre public, le preneur ne pouvait pas s'opposer à l'insertion de cette clause dans le bail verbal. De l'autre côté, le preneur prétend qu'une clause ne peut être insérée dans un contrat verbal. Tout simplement, il est difficile de matérialiser une clause dans une relation contractuelle immatérielle !
La cour d'appel a été sensible à l'argumentation du locataire, en considérant que le bail verbal, censé fait aux conditions fixées par le contrat-type départemental, ne permet pas d'en déduire qu'une clause sexennale est automatiquement incluse dans le bail. En effet, le contrat-type se borne à renvoyer en des termes généraux aux dispositions du statut et précise seulement que la faculté est laissée aux parties de reconnaître au bailleur la faculté de reprise prévue par l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime. En raison de l'absence de possibilité accordée sans ambigüité d'inclure la clause litigieuse, la cour d'appel considère que l'insertion d'une telle clause n'est pas possible dans un bail verbal. En outre, le jugement de conciliation rendu en 2001 ne pouvait avoir pour effet de transformer le bail verbal en bail écrit.
La Cour de cassation censure cette analyse sur le visa de l'article L. 411-6 précité, pour violation de la loi. En effet, en dépit de la lettre de l'article L. 411-4 du même code qui dispose que les contrats de baux doivent être écrits, la validité du bail verbal est reconnue en jurisprudence (9) et par la doctrine (10). En outre, dans chaque département, la commission consultative des baux ruraux rédige un contrat-type de bail soumis au statut du fermage qui est destiné à régir la relation contractuelle en l'absence de stipulations explicités du bail, ainsi que pour palier la carence d'écrit du bail verbal (11). Jusqu'à présent, la jurisprudence n'avait donné que peu de solution sur l'application de la clause sexennale au bail verbal. Une cour d'appel avait considéré que sa mise en oeuvre était possible dès lors que le contrat-type y faisait référence (12). En l'espèce, le contrat-type n'y faisait pas directement référence, mais très indirectement pas le biais d'une mention dans une annexe. Au final, la Cour de cassation devait trancher entre la possibilité d'insérer la clause et la faculté de le faire. Elle décide en faveur de la première solution au motif que le contrat-type renvoie au statut du fermage, qui est d'ordre public. Par conséquent, la faculté de reprise sexennale est objectivement conférée au propriétaire en cas de bail verbal. Par l'arrêt du 7 mai 2014, la Cour de cassation précise le régime de la clause sexennale et clarifie cette question.
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