Lexbase Droit privé - Archive n°573 du 5 juin 2014 : Droit rural

[Jurisprudence] Clause de reprise sexennale du bailleur en cas de bail verbal

Réf. : Cass. civ. 3, 7 mai 2014, n° 13-14.152, FS-P+B (N° Lexbase : A5521ML3)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Président de l'AFDR Section Lorraine

le 29 Juillet 2017

La clause de reprise sexennale d'un bail rural renouvelé est rarement évoquée devant la Cour de cassation. Elle est au coeur de la procédure judiciaire à l'origine de l'arrêt rendu le 7 mai 2014 par la troisième chambre civile de la Haute juridiction. Un couple de propriétaires a donné à bail verbal des parcelles à un preneur. A la suite d'un premier différend, en application d'un jugement de conciliation totale du 25 mars 2001 rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux, le bail est devenu écrit, aux clauses et conditions des baux ordinaires résultant du statut du fermage. Pour autant, la cour d'appel (1) considère que le bail ne s'est pas transformé en bail écrit du seul fait de la conciliation intervenue en 2001, celle-ci ayant eu pour effet de reconnaître l'existence d'un bail sans pour autant constituer un support écrit du bail rural. Ce bail a été renouvelé le 1er octobre 2009. En octobre 2001, les bailleurs ont saisi le tribunal pour demander l'insertion d'une clause de reprise sexennale. Pour s'y opposer le preneur indique qu'une telle demande ne peut être faite qu'au moment du renouvellement du bail, et non deux ans après. A l'opposé, les bailleurs affirment que l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L0847HP3) n'impose aucun délai pour la demande d'insertion d'une telle clause dans le bail renouvelé. Dans ce contexte, la cour d'appel, par un arrêt du 13 décembre 2012, a considéré qu'en application de l'article L. 411-4 du code précité (N° Lexbase : L3136AEU), le bail verbal est censé fait aux conditions fixées par le contrat-type départemental. Pour autant, il n'est pas possible d'en déduire que la clause sexennale est automatiquement incluse dans le bail rural, lorsque le contrat-type départemental se borne à renvoyer en termes généraux aux dispositions du statut ou à prévoir une faculté laissée au choix des parties. Pour la cour d'appel, le bailleur ne peut se voir reconnaître le bénéfice de la clause de reprise. Il aurait fallu que le contrat-type lui en ait réservé la possibilité sans ambiguïté. Ainsi, la cour d'appel confirme le jugement entrepris et déboute les bailleurs de leur demande. Dans leur pourvoi, ces derniers invoquent la violation des articles L. 411-4 et L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime. Ils soutiennent que la demande d'insertion d'une clause sexennale dans le bail renouvelé n'est enfermée dans aucun délai. En outre, ils prétendent que le contrat-type départemental prévoit l'insertion de cette clause dans les baux verbaux. Par un arrêt du 7 mai 2014, la Cour de cassation rappelle que le bailleur est toujours en droit, quelle que soit la forme du bail, de demander l'insertion dans le bail renouvelé d'une clause de reprise sexennale. Ainsi, cette décision permet de rappeler les conditions d'insertion de cette clause dans le bail rural (I) et ce, y compris dans un bail verbal (II).

I - L'insertion d'une clause de reprise sexennale

En principe, la reprise des terres louées pour les exploiter en faire-valoir direct par le propriétaire s'exerce principalement en fin de bail (2). Elle provoque un contentieux relativement important, notamment à propos du congé délivré en fin de bail, destiné à avertir le preneur que le bailleur souhaite reprendre les terres pour les exploiter directement, ou par l'intermédiaire d'un membre de sa famille. Toutefois, l'exploitation en faire-valoir direct étant l'un des principaux objectifs du statut du fermage, le législateur a permis au bailleur la possibilité de reprendre les biens loués, au cours du bail renouvelé, au moyen d'une clause de reprise, trois ans avant l'échéance du bail renouvelé, autrement dit six ans après le renouvellement du bail, d'où son nom de clause de reprise sexennale. Initialement (3), ce dispositif devait permettre aux descendants du bailleur, mineurs lors de la conclusion du bail initial, de pouvoir reprendre les parcelles pour les exploiter personnellement, après avoir atteint l'âge de la majorité, fixée avant 1974, à 21 ans. La loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 (N° Lexbase : L9121AGW) a étendu le bénéfice de ce dispositif au conjoint, puis plus récemment au partenaire d'un pacte civil de solidarité (4).

Contrairement au droit de reprise en fin de bail, les conditions de mise en oeuvre de la clause sexennale sont beaucoup plus souples. Ainsi, l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime dispose que le preneur ne peut s'opposer à l'insertion de cette clause lors du renouvellement du bail. Par conséquent, il n'est pas obligatoire que la clause figure, dès l'origine, dans la convention régissant la relation entre les parties. Ainsi, le bailleur dispose, en quelque sorte, du "droit de modifier la règle du jeu" sans que le preneur ne puisse s'y opposer d'une quelconque façon. En effet, la jurisprudence considère que la clause de reprise sexennale peut figurer soit dans le bail initial, soit dans le bail renouvelé (5). En outre, le bénéfice d'un plan de continuation ne permet pas de s'opposer à l'insertion d'une telle clause (6). Sur ce point, le caractère d'ordre public du statut du fermage prime le droit des entreprises en difficulté.

Par ailleurs, le législateur n'impose aucune condition de délai pour insérer la clause de reprise sexennale. En effet, l'article L. 411-6 précité dispose que le preneur ne peut s'opposer à l'insertion de cette clause au moment du renouvellement du bail. Par conséquent, il suffit que le bail soit renouvelé pour que le bailleur puisse imposer l'insertion de cette clause dans le bail, alors que dans le bail initial, cette clause doit être acceptée par les deux parties au contrat.

Depuis plusieurs décennies, la Cour de cassation a jugé que l'insertion n'était pas limitée à la seule époque du renouvellement du bail, mais pouvait intervenir à tout moment (7). Pour cette raison, le preneur à bail ne pouvait s'opposer à l'insertion d'une telle clause deux ans après le renouvellement du bail (8). Il ne pouvait pas invoquer le fait qu'en application d'une telle clause au cours du bail renouvelé, les prévisions de son activité économique se trouvaient sensiblement modifiées, dès lors qu'il devait restituer les parcelles louées dans un délai de quatre ans, et non à l'issue d'une période de sept ans. Toutefois, ces solutions ont été rendues à propos de contrats de bail écrits, pour lesquels la notion de clause ne soulève pas de difficultés particulières. Peuvent-elles être transposées au bail verbal, c'est-à-dire à un contrat dont l'essentiel, au moins, n'est pas formalisé dans un document écrit comportant des clauses ?

II - Bail verbal et clause de reprise sexennale

En l'espèce, les parties ont des opinions discordantes sur ce point de droit. Ainsi, et logiquement, les bailleurs prétendent qu'au motif que la loi ne distinguant pas entre bail écrit et bail verbal, l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime trouverait "naturellement" à s'appliquer à ce dernier. Afin de renforcer leur argumentation, ils invoquent le bail-type départemental qui régit le contrat verbal et, en l'occurrence, qui renvoie expressément à la clause de reprise sexennale. Enfin, le statut des baux ruraux étant d'ordre public, le preneur ne pouvait pas s'opposer à l'insertion de cette clause dans le bail verbal. De l'autre côté, le preneur prétend qu'une clause ne peut être insérée dans un contrat verbal. Tout simplement, il est difficile de matérialiser une clause dans une relation contractuelle immatérielle !

La cour d'appel a été sensible à l'argumentation du locataire, en considérant que le bail verbal, censé fait aux conditions fixées par le contrat-type départemental, ne permet pas d'en déduire qu'une clause sexennale est automatiquement incluse dans le bail. En effet, le contrat-type se borne à renvoyer en des termes généraux aux dispositions du statut et précise seulement que la faculté est laissée aux parties de reconnaître au bailleur la faculté de reprise prévue par l'article L. 411-6 du Code rural et de la pêche maritime. En raison de l'absence de possibilité accordée sans ambigüité d'inclure la clause litigieuse, la cour d'appel considère que l'insertion d'une telle clause n'est pas possible dans un bail verbal. En outre, le jugement de conciliation rendu en 2001 ne pouvait avoir pour effet de transformer le bail verbal en bail écrit.

La Cour de cassation censure cette analyse sur le visa de l'article L. 411-6 précité, pour violation de la loi. En effet, en dépit de la lettre de l'article L. 411-4 du même code qui dispose que les contrats de baux doivent être écrits, la validité du bail verbal est reconnue en jurisprudence (9) et par la doctrine (10). En outre, dans chaque département, la commission consultative des baux ruraux rédige un contrat-type de bail soumis au statut du fermage qui est destiné à régir la relation contractuelle en l'absence de stipulations explicités du bail, ainsi que pour palier la carence d'écrit du bail verbal (11). Jusqu'à présent, la jurisprudence n'avait donné que peu de solution sur l'application de la clause sexennale au bail verbal. Une cour d'appel avait considéré que sa mise en oeuvre était possible dès lors que le contrat-type y faisait référence (12). En l'espèce, le contrat-type n'y faisait pas directement référence, mais très indirectement pas le biais d'une mention dans une annexe. Au final, la Cour de cassation devait trancher entre la possibilité d'insérer la clause et la faculté de le faire. Elle décide en faveur de la première solution au motif que le contrat-type renvoie au statut du fermage, qui est d'ordre public. Par conséquent, la faculté de reprise sexennale est objectivement conférée au propriétaire en cas de bail verbal. Par l'arrêt du 7 mai 2014, la Cour de cassation précise le régime de la clause sexennale et clarifie cette question.


(1) CA Douai, 13 décembre 2012, n° 12/03472 (N° Lexbase : A0739IZE).
(2) C. rur., art. L. 411-58 (N° Lexbase : L0865HPQ).
(3) Ordonnance n° 45-2380 du 17 octobre 1945, relative au statut juridique du fermage.
(4) H. Bosse-Platière, Le droit rural et le pacte civil de solidarité, Dr. fam., 2006, comm. 86.
(5) CA Riom, 29 avril 2010, n° 08/00046 (N° Lexbase : A4120GAT).
(6) CA Montpellier 7 octobre 2002, n° 99/03926 (N° Lexbase : A6795MPD).
(7) Cass. civ. 3, 13 octobre 1982, B. c/ consorts M. (N° Lexbase : A2491C8R), JCP éd. N, 1983, p. 229, obs. J.-P. Moreau ; Cass. civ. 3, 13 mars 1985, n° 84-10.260 (N° Lexbase : A2918AAC), Bull. civ. III, n° 54.
(8) Cass. civ. 3, 10 mai 1983, n° 81-13.995 (N° Lexbase : A9128CG8), Bull. civ. III n° 114.
(9) Cass. civ. 3, 30 novembre 1994, n° 92-18.934 (N° Lexbase : A6522C7P).
(10) D. Krajeski, Droit rural, coll. Defrénois, 2008, Lextenso n° 169 ; H. Bosse-Platière, F. Collard, B. Grimonprez, Th. Tauran et B. Travely, Droit rural, coll. Droit & professionnels, Lexisnexis 213, spé. n° 234 ; M.-O. Gain, Le droit rural, l'exploitant agricole et les terres, Litec professionnels, 3ème éd., 2011, n° 5.
(11) C. rur., art. L. 411-4, al. 2, précité.
(12) CA Dijon, 14 novembre 2002, n° 01/00771 (N° Lexbase : A6794MPC), Rev. dr. rur., 2002, p. 333, reprenant ainsi une solution plus ancienne : Cass. civ. 3, 20 novembre 1970, n° 68-11.590 (N° Lexbase : A3235CIN), Bull. civ. III, n° 626.

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