Lexbase Contentieux et Recouvrement n°8 du 19 décembre 2024 : Voies d'exécution

[Actes de colloques] Intelligence Artificielle et constat

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Expert près l’UIHJ, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Spécialiste de l’administration judiciaire de la preuve

le 18 Décembre 2024

Mots-clés : Intelligence Artificielle (IA) • Justice automatisée • exécution des décisions • droits humains • éthique et transparence • protection des données • responsabilité algorithmique • déshumanisation • biais algorithmiques • supervision humaine • transformation numérique • huissiers de justice • commissaire de justice • CEPEJ (Commission européenne pour l'efficacité de la justice) • égalité d'accès à la justice • RGPD (Règlement général sur la protection des données)

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du 3ème Forum mondial sur l’exécution intitulé « L’intelligence artificielle, droits humains et exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale : quelles garanties pour les justiciables ? », organisé par l’Union International des Huissiers de Justice (UIHJ) et par la Commission pour l’Efficacité de la Justice (CEPEJ) et qui s’est tenu le 2 décembre 2024 au Palais de l’Europe de Strasbourg.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : N° Lexbase : N1264B39


 

Question 1 : Tous les États européens ne connaissant pas le constat par huissier/ commissaire de justice, pouvez-vous rappeler l’objet (et les limites) de cette activité ?

Comme vous l’avez souligné, tous les pays européens ne sont pas familiers avec le constat, il est donc pertinent de l’expliquer en quatre points : nature, fonction, objectif, limite.

En ce qui concerne sa nature, le constat se définit comme un témoignage officiel provenant d'une personne assermentée, c'est-à-dire ayant prêté serment devant un juge. L'huissier de justice relate un fait qu'il a personnellement observé, perçu par ses sens. De par sa nature, il présente une force probante particulière, supérieure à celle d’un simple témoignage, grâce à la qualité de son auteur. Selon les pays, il a aujourd'hui une force authentique ou, jusqu'à preuve du contraire, mais reste toujours unique.

À propos de sa fonction, le constat sert de réceptacle à la preuve d’un fait juridique, qu’il soit matériel (état des lieux, dégât des eaux…) ou immatériel (atteinte à la e-réputation, par exemple). Il assure la conservation de cette preuve dans le temps, préservant son intégrité malgré le passage du temps.

Concernant son objectif, on a souvent coutume de penser que « constat d’huissier = procès ». Cela occulte le fait que la production d’un constat d’huissier de justice a une dimension fortement comminatoire : il s’agit d’un document influent émanant d’une personne dont la voix compte auprès du juge (la doctrine dit parfois que l’huissier est l’œil du juge). Toutes les parties en sont conscientes, et le constat est très rarement contesté. Puisque sa production auprès de la partie adverse constitue un avertissement formel et solennel, le constat se révèle être un outil de règlement amiable des conflits car il peut dissuader la partie adverse en mettant en avant la gravité des revendications du demandeur.

Quant à ses limites, le constat ne s'avère être qu'un garde-preuve. Il ne doit pas contenir d'avis de l’huissier de justice sur les explications ou conséquences liées au fait constaté. Ainsi, bien qu’il serve à conserver une preuve, il n’autorise pas l’huissier à juger le litige, ni même à évaluer la recevabilité de la preuve.

Avec l'évolution des technologies et le besoin croissant de prouver des faits, l’activité de constat est en forte augmentation.

Question 2 : Quelles sont les potentialités de l’IA : autrement dit, une IA peut-elle réaliser des constatations ?

À la question de savoir si une intelligence artificielle peut faciliter les constatations, il convient de nuancer la réponse. Nous pouvons avancer un oui et un non

Oui, l’intelligence artificielle peut effectivement faciliter les constatations. Elle peut assister l’huissier de justice dans l’usage d’un vocabulaire technique, à l'instar de Google Lens, ou embellir la construction de ses phrases, à l'aide d'outils comme Chat GPT. En effet, elle est capable de décrire une pièce et les objets qui s'y trouvent, et peut également apporter son éclairage en cas de doutes juridiques, à condition qu'elle soit formée à cet effet.

Cependant, non, l’intelligence artificielle ne peut pas être constatante. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. D’abord, il y a une question légale : l’huissier de justice est tenu d'effectuer ses constatations en personne et de se déplacer sur les lieux. Néanmoins, cet argument peut être contourné en imaginant que l’huissier de justice possède la maîtrise matérielle et intellectuelle de son l’intelligence artificielle, permettant ainsi de prétendre qu’il effectue des constatations grâce à celle-ci…

La notion de « constatations personnelles » souligne à la fois la qualité et l’identité physique de l’huissier. Nous arrivons alors à la limite de l’intelligence artificielle : elle n’est pas dans notre réalité ! Elle ne ressent pas, ne voit pas, ne touche pas, ne goûte pas, et n’entend pas. Certes, elle peut analyser des données informatiques qui simulent ces perceptions, mais elle n'a aucune expérience concrète du monde réel. En outre, elle peut « halluciner » et il est très facile de la tromper, et inversement. Par exemple, avez-vous vu cet article sur kombini.com où le photographe utilisant le pseudonyme Ibreakphotos a photographié la lune avec un smartphone et s'est rendu compte que l’IA avait ajouté des cratères ?

Ces faux-semblants créés par l’IA constituent un inconvénient majeur pour le constat, dans la mesure où il établit une vérité juridique.

Ainsi, puisque l’intelligence artificielle peut énoncer de fausses vérités, pourquoi ne produirait-elle pas de faux constats ? Une intelligence artificielle serait alors considérée comme criminelle !

Demander à l’intelligence artificielle de constater, c’est accepter une justice fondée sur des algorithmes, déshumanisée et, finalement, inhumaine… Il est essentiel de garder à l’esprit que l’intelligence artificielle est conçue pour convaincre l’intelligence humaine, et non simplement pour prouver !

Question 3 : Comment l’huissier de justice peut-il tirer profil de l’IA dans l’exercice de sa mission de constatation ? Par ailleurs, l’IA peut-elle constituer l’objet de la constatation ?

En somme, tant qu’un humain se trouve derrière l’intelligence artificielle, il pourrait y avoir constat sur son utilisation. L’actualité l’illustre parfaitement : aujourd’hui, plusieurs médias canadiens dénoncent l’utilisation non autorisée de leur contenu et réclament des compensations pour préjudice ainsi qu’une interdiction formelle de toute utilisation ultérieure.

Une des principales défenses d'OpenAI repose sur le fait que l'entraînement des intelligences artificielles nécessite l'utilisation d'un vaste corpus de textes accessibles au public pour générer des réponses variées et pertinentes… Nous l’avons vu : l’intelligence artificielle peut être au centre d’un conflit. En ce moment, j’ai une affaire où l’on me demande de constater qu’une intelligence artificielle a été formée à partir de documents privés (appartenant à une entreprise). Il s'agit de prouver non l'intelligence artificielle, mais le comportement humain problématique qui se cache derrière.

De plus, l’intelligence artificielle peut également être au cœur de la preuve, par exemple dans le cadre de la démonstration du processus de création d'une œuvre réalisée avec des outils d’intelligence artificielle générative tels que « Midjourney ».

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