Lexbase Contentieux et Recouvrement n°8 du 19 décembre 2024 : Voies d'exécution

[Chronique] Chronique de jurisprudence constat (septembre à novembre 2024)

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N1291B39

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Expert près l’UIHJ, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Spécialiste de l’administration judiciaire de la preuve

le 17 Décembre 2024

Mots-clés : injonction de payer • insaisissabilité • SCI • saisie • expulsion • constat

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver la huitième chronique illustrée par les plus récentes décisions jurisprudentielles sous la forme d’un contenu original rédigé par Sylvian Dorol, correspondant également à l’évolution du Bulletin d’informations de la SCP VENEZIA, édité en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase.


 

I. L’injonction de payer

  • Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.682, F-B [LXB=]

La procédure d’injonction de payer, c’est comme les travaux : on sait quand ça commence, mais pas quand ça se finit.

Le grand avantage de cette procédure est qu’elle peut être introduite très facilement, même par des non-initiés. C’est après que ça se complique.

En effet, si l’ordonnance est rendue non contradictoirement, le débiteur peut très facilement s’opposer à cette décision, contraignant le créancier à assigner. L’opposition du débiteur est cependant encadrée dans le délai strict d’un mois dont la date de départ varie à la lecture de l’article 1416 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6356H7K :

1/ Si l’ordonnance a été remise “à personne”, le délai court à compter de ce moment ;

2/ Si l’ordonnance n’a pas été signifiée “à personne”, l'opposition est recevable jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant le premier acte signifié “à personne” ou, à défaut, suivant la première mesure d'exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.

L’article 1416 du Code de procédure civile a une écriture limpide, mais une difficile application.

En témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 octobre 2024, qui statue sur la date de départ de l’opposition en cas de saisie des rémunérations, et plus précisément dans l’hypothèse de l’intervention (cas où une saisie des rémunérations est en cours, et qu’un créancier s’y joint).

La spécificité de ce cas est que la mesure d’exécution est déjà en cours au moment où le créancier porteur de l’injonction de payer intervient. Dans cette hypothèse où l’ordonnance n’a pas été signifiée « à personne », quelle est alors la date de départ du délai d’opposition dans la mesure où la procédure d’exécution est déjà en cours ?

À cette interrogation, la Cour de cassation procède à une interprétation de l’article 1416 du Code de procédure civile et juge que lorsque l'ordonnance portant injonction de payer ne lui a pas été signifiée « à personne », le délai d’opposition court à compter du jour où la mesure d'exécution a été portée à la connaissance du débiteur.

Faut-il s’en émouvoir ? À notre sens, non. Car la Cour de cassation avait déjà rendu un avis privilégiant l'information effective du débiteur à la cohérence des textes (Cass. avis, 16 septembre 2002, n° 02-00.003 N° Lexbase : A7546CHX).

Ce n’est donc pas une surprise, et cette décision ne change rien à la position traditionnelle de la Cour de cassation. Ainsi, en l'absence de signification « à personne » de l'ordonnance d'injonction de payer :

1/ le délai pour former opposition court, en cas de saisie-attribution, à compter du jour de la dénonciation de la saisie au débiteur ;

2/ une tentative d'exécution qui s'est avérée infructueuse ne constitue pas la première mesure d'exécution au sens de l’article 1416 du Code de procédure civile et ne saurait constituer le point de départ du délai ouvert au débiteur pour formuler opposition.

D’aucuns pourraient qualifier la position de la Cour de cassation de “surprotectrice” des intérêts du débiteur. Ce serait oublier le fait que la protection du débiteur est proportionnelle au privilège du créancier qui peut bénéficier d’un titre exécutoire non contradictoirement rendu.

En d’autres termes, le créancier de l’injonction de payer est comme un funambule : tant qu’il n’y a pas le souffle du débiteur qui s’oppose à lui, tout va bien...

II. Saisie et société civile immobilière

  • Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 23-12.267, F-B [LXB=]

Si le juge de l’exécution est omniprésent dans le cadre de la saisie-immobilière, il n’en est pas de même en cas de saisie d’une société civile immobilière (SCI).

En effet, dans le cadre de cette procédure, ce magistrat n’est compétent qu’en cas de contestation de l’exécution forcée.

Dès lors, faut-il retenir sa compétence lorsque la contestation porte uniquement sur le montant de la mise à prix des parts de la SCI ?

La cour d’appel de Bordeaux, le 3 novembre 2022, avait jugé que « si en application de l'article L. 213-6 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L5850IR4, le juge de l'exécution a compétence exclusive pour statuer sur toutes les contestations concernant les mesures d'exécution d'un titre exécutoire, il ne dispose pas, en l'absence d'un texte spécifique lui permettant de le faire, comme en matière de saisie immobilière , du pouvoir de modifier le montant de la mise à prix fixée par le créancier dans le cahier des charges » (CA Bordeaux, 3 novembre 2022, n° 22/01236 N° Lexbase : A02918SL).

La débitrice s’est pourvue en cassation avec succès comme il va être exposé.

En effet, la Cour de cassation ne partage pas l’avis de la cour d’appel, et juge que la débitrice est recevable à contester devant le juge de l'exécution le montant de la mise à prix pour l'adjudication des droits incorporels saisis, dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD.

Son arrêt est fondé en droit puisque, dans sa décision du 17 novembre 2023 (Cons. const., n° 2023-1068 QPC, 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH), le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.

III. Insaisissabilité

  • CA Rennes, 12 novembre 2024, n° 24/00605 [LXB=]

Le Code des procédures civiles d’exécution prévoit expressément qu’est insaisissable le bien indispensable au travail du saisi.

Mais que se passe-t-il lorsque le débiteur invoque l’insaisissabilité trop tard, une fois que le bien saisi a été vendu et les fonds répartis ?

C’est à cette interrogation qu’a répondu la cour d’appel de Rennes le 12 novembre 2024.

En l’espèce, le commissaire de justice avait procédé le 24 mai 2023 à la saisie du véhicule de marque Hyundai de la débitrice.

Elle a contesté la procédure, mais le juge de l’exécution l’a débouté de sa demande.

Appel fut interjeté, mais ce recours n’étant pas suspensif d’exécution, la procédure continua. Avant que la Cour d’appel ne statue, la vente aux enchères publiques intervient le 10 juillet 2023. Puis le produit de la vente (6 300 euros) est distribué entre les créanciers, au grand dam du débiteur.

A posteriori, la Cour d’appel de Rennes a qualifié l’insaisissabilité du véhicule saisi... Quelle réponse apporter au débiteur saisi dont la voiture a été vendue ?

À cette interrogation, la Cour d’appel indique que les dispositions de l'article R. 221-54 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2299ITC (si la saisie est déclarée nulle après la vente mais avant la distribution du prix, le débiteur peut demander la restitution du produit de la vente) est inapplicable.

Reste alors la question des dommages-intérêts, la débitrice demandant 5 000 euros (soit presque le montant de la vente du véhicule).

La Cour juge sévèrement que le « préjudice sera exactement et intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts » ...

Une somme sans commune mesure avec les 171 853 euros que le débiteur doit au créancier !

IV. Expulsion

  • Cass. civ. 3, 14 novembre 2024, n° 23-13.884, FS-B [LXB=]

Il est traditionnel d’associer bailleur/expulseur, mais il existe des cas où le locataire est l’expulseur, c’est-à-dire demandeur à la procédure d’expulsion !

En témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 novembre 2024.

Les faits ne concernent pas un locataire souhaitant s’auto-expulser. Bien au contraire, il s’agit d’une affaire où une société civile d’exploitation agricole (SCEA) avait conclu des baux ruraux sur plusieurs parcelles agricoles. Elle a assigné en expulsion une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), bénéficiaire de baux antérieurs sur les mêmes parcelles, en soutenant que ces baux étaient inopposables.

L’arrêt d’appel (CA Colmar, 26 janvier 2023, n° 20/01156 N° Lexbase : A89729AK) a déclaré irrecevable sa demande d'expulsion de l'EARL.

Pour déclarer irrecevable la demande en expulsion formée par la SCEA, l'arrêt retient que celle-ci se prévaut de l'existence d'un contrat de bail rural écrit la liant à plusieurs bailleurs dont découlent un droit de jouissance à son bénéfice et une obligation de délivrance à la charge des bailleurs, de sorte que seuls ces derniers ont qualité pour demander l'expulsion de l'EARL.

En résumé, elle estime en effet que l’action en expulsion n’appartient qu’au bailleur.

La SCEA se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation, par cet arrêt du 14 novembre, casse cette décision au visa de l’article 31 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1169H43. Pour mémoire, cet article dispose « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Elle juge donc que la loi ne limite pas le droit d'agir en expulsion à des personnes qualifiées et que l'intérêt à agir de la SCEA n'était pas contesté.

En conclusion : oui, un locataire peut demander l’expulsion !

V. Constat

L’article 36 du Règlement déontologique des huissiers de justice traite des rapports avec les débiteurs en ces termes : « L’huissier de justice agit avec tact et humanité vis-à-vis des débiteurs, sans exercer de contrainte inutile, ni mettre en œuvre des mesures disproportionnées » (repris à l’article 28 du Code de déontologie).

Ces dispositions peuvent-elles bénéficier à la personne à qui est opposé un procès-verbal de constat ?

C’est à cette interrogation qu’a répondu la cour d’appel de Paris le 3 octobre dernier.

Les faits concernent un litige prud’homal : un employeur a mandaté, sans autorisation judiciaire, un commissaire de justice pour effectuer des investigations sur le matériel professionnel qui était mis à disposition du salarié indélicat.

S’appuyant sur une maladresse de rédaction du procès-verbal du commissaire de justice (qui a indiqué « qu’il pratiquait une perquisition » à la demande de l’employeur) et son comportement (a effectué des recherches informatiques), le salarié critique l’acte sous l’angle déontologique.

La cour d’appel de Paris ne suit cependant pas son raisonnement, notamment parce que l’article 36 du Règlement déontologique des huissiers n’a vocation à s’appliquer, en matière de constat, que lorsque le commissaire de justice agit chez un tiers.

Elle précise également, au visa de l’article 41 du Règlement déontologique national que, étant chez l’employeur et à la demande de celui-ci, l’officier public et ministériel n’avait pas à demander une autorisation pour entrer dans le bureau du salarié visé par la mesure de constat.

  • CA Paris, 18 septembre 2024, n° 22/14799 [LXB=A756053E]

Selon le Président Vincent Vigneau, « le constat d’achat consiste à faire constater par un huissier [commissaire] de justice la vente d’un produit ou l’engagement d’une prestation de service », précisant « on devrait d’ailleurs plutôt parler de “constat de vente” que de constat d’achat » (V. Vigneau, Les constats d’achats : Procédures 2008, étude 10).

Pour diverses raisons, les commissaires de justice n’achètent pas les produits litigieux eux-mêmes, mais ont recours à un tiers pour ce faire.

Une question se pose alors : qui peut être ce tiers ?

La jurisprudence a répondu à cette question en procédant par élimination : ce ne peut être le clerc du commissaire de justice, le stagiaire avocat (la question va cependant revenir devant la Cour de cassation), le salarié du requérant...

Mais... qu’en est-il de la mère du requérant ? De prime abord, la réponse paraît évidente : non !

Cependant, la cour d’appel de Paris ne l’entend pas de cette oreille au terme d’un raisonnement qui fait prévaloir le pragmatisme sur la position de la Cour de cassation. Selon elle, il n’y a rien de déloyal à ce que la mère de la requérante soit le tiers acheteur dans la mesure où elle est désignée comme telle dans le procès-verbal de constat (qui est donc fidèle et loyal à la réalité), et que l’existence d’aucun stratagème n’est démontrée entre le commissaire de justice et la mère de la requérante.

Le constat pouvant en plus être débattu devant les juges, elle retient la validité de l’acte.

En résumé : qu’importe le tiers, pourvu qu’on ait la preuve

Il sera intéressant de connaître la position de la Cour de cassation si un pourvoi est formé. D’ici là, la prudence commande au commissaire de justice d’éviter de recourir aux membres de la famille du requérant pour dresser un constat d’achat.

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