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N1286B3Z
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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice, Expert près l’UIHJ, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Spécialiste de l’administration judiciaire de la preuve
le 19 Décembre 2024
Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, nous avons interviewé Martin Plissonnier, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Nanterre et Co-directeur du DU MARD. Il nous livre son analyse sur une question complexe : que se passe-t-il lorsque le juge accorde une ordonnance sur requête en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile sans fixer de délai d'exécution ? Une réflexion sur les incertitudes du droit actuel et les enjeux pratiques pour les parties en présence.
Martin Plissonnier, Maître de conférences en droit privé, Co-directeur du DU MARD, Membre du Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (CEDCACE) Université Paris-Nanterre
Sylvian Dorol (SD) : Une question nous a été posée récemment : « J'ai saisi le juge sur le fondement de l'article 145 du Code de procédures civile N° Lexbase : L1497H49. Le magistrat a répondu favorablement à ma demande. Cependant, il n'a pas précisé le délai dans lequel le commissaire de justice doit réaliser sa mission. Quelle conclusion en tirer ? ». Quelle est la position de l’universitaire ?
Martin Plissonnier (MP) : Un rappel peut-être avant de commencer : ce cas n’est pas le plus courant ! Le plus souvent, le juge prévoit un délai. C’est normal car l’ordonnance est rendue sur requête, c’est-à-dire sans contradiction et le juge doit veiller à ce que son ordonnance ne devienne pas un outil librement employé dans le temps par le requérant et, potentiellement, détourné de sa fonction.
Lorsque le juge donne un délai pour exécuter la mesure, on a alors une réponse du droit positif qui est donnée, non pas par les textes, mais par la jurisprudence. Un arrêt de la deuxième chambre civile du 14 décembre 2006 (Cass. civ. 2, 14 décembre 2006, n° 04-20.673, FS-P+B N° Lexbase : A8998DS3) indique en effet que lorsque les opérations sont exécutées au-delà du délai qui est donné par le juge, l’autorisation donnée par le juge de les pratiquer est caduque. Dès lors, les opérations qui sont exécutées sur le fondement de cette ordonnance peuvent être frappées de nullité, à défaut pour elles de disposer d’un fondement juridique. Cette solution est tout à fait claire.
Admettons néanmoins que la situation se présente : le juge ne donne pas de délai à son ordonnance sur requête. Quelles sont les conséquences ?
En pratique, même si le juge n’ordonne pas de délai, le requérant a, en théorie, un intérêt à exécuter rapidement. Le plus souvent en effet, la mesure est recherchée pour conserver des éléments de preuve qui ont plutôt vocation à disparaître ou à être dissimulés. C’est donc une exécution rapide qui est fréquemment recherchée.
Mais admettons encore que le requérant n’exécute pas ou omette d’exécuter pendant un certain temps. Dans ce cas, la question initiale peut se poser.
Dans cette hypothèse, le droit positif ne fournit pas la réponse. Et, à mon sens, il n'y a pas de réponse toute faite.
J'ai pensé que peut-être on pouvait raisonner par la nature d'une ordonnance sur requête qui, en fait, est exécutoire au seul vu de la minute (CPC, art. 495 N° Lexbase : L6612H7Z et CPCEx, art. R. 111-3 N° Lexbase : L6612LEM). Ne peut-on pas considérer que lui serait applicable le délai de prescription décennal applicable aux titres exécutoires en vertu de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L6613LEN ?
J'ai aussi trouvé un arrêt qui ne portait pas sur ce sujet (il traitait de la question de l’effet suspensif de l’appel) mais qui va un peu dans le même sens. Un arrêt du 7 novembre 2002 (Cass. civ. 2, 7 novembre 2002, n° 00-22.189, F-P+B N° Lexbase : A6723A3E) dans lequel la Cour de cassation a décidé que l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute « tant qu'elle n'a pas été rétractée ». La formule laisse entendre que l’ordonnance sur requête est exécutoire sans limite de temps.
Ces hypothèses n’apparaissent pas satisfaisantes car on imagine mal qu'un requérant puisse garder sous le coude pendant dix ans une ordonnance sur requête sans subir la moindre sanction.
Toutefois, à défaut de texte prévoyant explicitement une sanction, il faudrait que le juge en découvre une. Dans le silence des textes, le juge ne pourrait-il considérer que l’ordonnance sur requête ne prévoyant aucun délai est nécessairement exposée à une caducité ? Il y aurait un beau débat sur le point de savoir si la jurisprudence peut tirer du silence des textes une sanction aussi forte que celle de la caducité. Ce n'est pas évident, mais je pense que cela serait possible.
Par conséquent, au requérant qui aurait tardé à exécuter, j'aurais plutôt tendance à conseiller de tenter l'exécution en prévalant, si nécessaire, de l’absence de sanction prévue dans les textes ou la jurisprudence. Cependant, il conviendrait de garder à l’esprit qu’il existe un risque que l'adversaire, au moment de la rétractation ou en saisissant le juge de droit commun, se prévale d'une caducité non prévue par les textes. En tout cas, il n'y a pas de réponse précise donnée par le droit positif sur ce point-là.
SD : Mais, la question de la référence à la prescription du titre exécutoire dans le Code des procédures civiles d'exécution, c'est lorsque le titre exécutoire constate une créance liquide, exigible et certaine. Nous sommes sur une ordonnance rendue sur requête rendue au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, on est sur une recherche de preuve… Ne serait-il pas possible d'évoquer l'idée selon laquelle, puisque l'article 145 vise une mesure probatoire avant tout procès, que l'ordonnance suivrait la prescription de l'action du bénéficiaire ? L’expression de l’article 145 « avant tout procès » pousserait en ce sens : l’ordonnance serait valide jusqu’au moment où le procès est engagé ou ne peut plus l’être.
MP : À mon sens, pas nécessairement. On a trois arguments pour le titre : le premier nous dit que l’ordonnance est exécutoire (CPCEx, art. R. 111-3) ; le deuxième que constitue un titre toute décision de justice (CPCEx, art. L. 111-3) ; et un troisième que la prescription applicable à ce type de titre est de dix ans (CPCEx, art. L. 111-4). Lorsqu'il y a un titre exécutoire qui est obtenu, le phénomène d'interversion joue, et donc on aurait plutôt un délai de prescription celui des titres exécutoires qui pourrait prendre le relais.
SD : Donc, la question reste à trancher, soit par la doctrine, soit par le droit positif, sachant qu'à l'heure actuelle, on est davantage sur une question théorique, mais qui pourrait se présenter en pratique.
MP : Oui, ça pourrait tout à fait se présenter en pratique et c'est une question sur laquelle, a priori, il n'y a pas de réponse. Et on est un peu embêté parce qu’en l’absence de réponse, on est enclin à répondre qu'il n'y a pas de sanction et donc que c'est possible. Mais néanmoins, il y a quelque chose qui heurte un peu la logique de la requête 145, à avoir finalement une ordonnance sur requête dont l’exécution n’est soumise à aucun un délai, et donc qui pourrait être exécutée longtemps après l’obtention de l’ordonnance sur requête. Mais prudence : l’absence de sanction ne signifie pas nécessairement l’absence de conséquences.
SD : Est-ce qu'on ne pourrait pas évoquer une sorte de « délai raisonnable » alors ?
MP : Si, ce serait un argument à développer, l'idée selon laquelle, finalement, on ne peut pas exécuter une ordonnance sur requête au-delà d'un délai raisonnable. On pourrait imaginer le fait que le juge raisonne à partir d'un standard juridique qu'il aurait à apprécier pour justifier la création d'une sanction. Ça me paraît être une piste envisageable pour combler l’absence textuelle de sanction.
On pourrait aussi penser que la question pourrait naturellement se régler par l’introduction d’un procès au fond. Puisque l’article 145 du Code de procédure civile érige en condition l’absence de procès au fond, l’introduction d’un procès au fond rendrait de facto caduque l’ordonnance sur requête. Toutefois, on a là-dessus de la jurisprudence. Au stade de la rétractation, le juge apprécie l’existence d’un procès au fond en se plaçant au jour de l’introduction de la requête. Cela limite l’idée que l’introduction d’un procès au fond puisse rendre nécessairement caduque l’ordonnance sur requête. Cependant, devant le juge du fond lui-même, on peut penser qu’un tel argument pourrait être avancé.
SD : Dernière question : est-ce que vous pensez que ce problème nécessite d'être tranché par le législateur par une modification de l'article 495 du Code de procédure civile ou la création d'un nouveau texte ou, puisque pour l'instant le problème ne se présente pas, ce n’est pas la peine ?
MP : Je ne suis pas sûr qu'il y ait une nécessité absolue de voir le problème tranché par le législateur. Tout dépend du point de vue de qui on se place.
En termes de sécurité juridique, ce serait évidemment préférable. Le législateur pourrait apporter une précision textuelle comme il le fait déjà pour l’ordonnance d’injonction de payer ou la mesure conservatoire.
Mais la jurisprudence pourrait tout aussi bien apporter la précision nécessaire.
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