Lexbase Contentieux et Recouvrement n°3 du 28 septembre 2023 : Commissaires de justice

[Jurisprudence] Le créancier, l’huissier et le commissaire-priseur ou le buste de Johnny et le spectre de Louis XIV

Réf. : CA Paris, 4, 10, 6 juillet 2023, n° 20/06579 N° Lexbase : A448099S

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N6836BZ9

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par Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, Délégué de la cour d'appel d'Orléans à la Chambre nationale des commissaires de justice et Pierre-Harald Leducq, Commissaire de justice

le 27 Septembre 2023

Mots clés : commissaire-priseur judiciaire • huissier de justice • commissaire de justice • responsabilité contractuelle • responsabilité délictuelle • faute • vente judiciaire

Un créancier engage la responsabilité du commissaire-priseur judiciaire qui a vendu aux enchères des biens précédemment saisis par un huissier en vertu d’un titre exécutoire. Le produit de cette vente n’a pas permis de désintéresser le créancier. Il reproche des fautes professionnelles au commissaire-priseur judiciaire.

La cour d’appel de Paris, après avoir détaillé les obligations et les devoirs de ce dernier, conclut à l’absence de faute.


 

L’histoire qui a donné lieu à l’arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d’appel de Paris se passe entre 2016 et 2018, bien avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2023, de la réforme qui a abouti à la fusion des professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice [1].

Une personne confie un tableau à un galeriste. Ce dernier le vend mais ne reverse pas les fonds. La personne l’assigne en paiement et le galeriste est condamné à payer 85 000 euros en principal par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Paris. Agissant en vertu de cette ordonnance et mandaté par la personne - devenue le créancier, l’huissier de justice saisit les meubles du galeriste, en l’occurrence les tableaux qu’il détient, en compagnie d’un commissaire-priseur judiciaire. Ce dernier procède ensuite au récolement et à l’enlèvement des objets saisis et laisse sur place quelques tableaux faisant à ce moment-là l’objet d’une exposition dans la galerie. Alors que la vente est annoncée à l’hôtel Drouot, le galeriste conteste la saisie et demande l’annulation du procès-verbal. Le juge de l’exécution distrait un des tableaux saisis et des bronzes, œuvres restituées immédiatement au galeriste.

L’huissier de justice et le commissaire-priseur retournent à la galerie, le premier pour effectuer une saisie complémentaire sur d’autres tableaux ainsi que sur un « buste de Johnny » ; le second pour enlever les œuvres laissées sur place lors du premier enlèvement (les tableaux exposés).

La vente est à nouveau programmée à l’hôtel Drouot. Les publicités légales sont publiées dans le Moniteur des Ventes et la Gazette de l’hôtel Drouot. Les biens sont vendus aux enchères publiques. Certains ne trouvent pas preneur. Dix-sept tableaux sont vendus pour un produit total de 5 320 euros. L’expert avait fourni une estimation comprise entre 18 500 et 27 300 euros, pour les œuvres vendues, déduction faite de la valeur des œuvres retirées. Quant au buste de Johnny, l’histoire n’en dit pas plus.

***

S’il n’est pas inhabituel que le débiteur saisi soulève des contestations, dans cette affaire c’est le créancier qui reproche au commissaire-priseur d’avoir manqué à ses devoirs. Il demande réparation du préjudice subi du fait d’une vente à vil prix et selon des modalités inadaptées. Il l’assigne en responsabilité devant le tribunal de grande instance. Il est débouté de l’ensemble ses demandes. Il interjette appel.

En appel, le créancier reproche au commissaire-priseur d’avoir commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle, notamment pour avoir mis en vente les œuvres saisies pour un prix dérisoire, pour avoir méconnu son obligation de moyens de vendre les œuvres au meilleur prix, et d’avoir manqué à son devoir de conseil.

Très logiquement, la cour confirme la décision dans une décision qui examine de façon clinique les obligations du commissaire-priseur judiciaire. Cet arrêt permet de s’interroger sur la nature de la responsabilité du commissaire-priseur vis-à-vis du créancier lorsqu’il est chargé de vendre des biens saisis pour désintéresser ce créancier, avant d’évoquer plus généralement les obligations du commissaire-priseur judiciaire.

I. Sur le régime de responsabilité du commissaire-priseur judiciaire

La responsabilité du commissaire-priseur judiciaire vis-à-vis du créancier ne peut être que délictuelle, fondée sur l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. Aucun contrat ne les liant, cette responsabilité ne peut pas être contractuelle.

En effet, le créancier donne mandat à l’huissier de justice de ramener un titre à exécution. Ce dernier procède à la saisie des biens du débiteur et confie ensuite le dossier à un commissaire-priseur judiciaire pour que celui-ci fasse son office. Les liens ne sont donc pas contractuels entre l’officier vendeur et le créancier au profit duquel la vente est organisée. Le régime de la responsabilité ne peut être qu’extracontractuel. Il n’y a pas lieu de chercher dans les termes d’un contrat. Il convient d’envisager les obligations et les devoirs de l’officier vendeur.

Mais avant d’évoquer ces obligations, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’une vente forcée et non d’une vente volontaire, la cour rappelle et précise le rôle du commissaire-priseur judiciaire.

« L’huissier et le commissaire-priseur ne sont en effet liés par aucun contrat et le second était tenu de prêter son concours au premier, au titre de la mise en place d’une mesure d’exécution forcée d’une décision de justice, sauf à engager sa responsabilité en cas de refus. »

Il n’intervient qu’à la demande de l’huissier de justice, lequel est chargé de l’exécution et a la responsabilité de la conduite des opérations d’exécution[2]. Il n’intervient pas dans la détermination des biens à saisir. Le commissaire-priseur judiciaire n’a donc pas de devoir de conseil vis-à-vis du créancier puisque rien ne les lie. Il n’a pas non plus de devoir de conseil vis-à-vis de l’huissier de justice, puisque, mis devant l’objet saisi comme devant le fait accompli, il ne peut que vendre au meilleur prix.

II. Les obligations du commissaire-priseur judiciaire

La cour d’appel de Paris rappelle que, conformément aux dispositions des articles L. 221-3 N° Lexbase : L9499I7X et L. 221-4 N° Lexbase : L5854IRA et R. 221-33 N° Lexbase : L2278ITK et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, seule une obligation de moyen est mise à la charge du commissaire-priseur judiciaire : celle de vendre les objets saisis au meilleur prix. La cour rappelle également les autres obligations incombant au commissaire-priseur judiciaire : obligation sur la présentation des œuvres et la publicité, sur la mise à prix et la formation des lots, sur la poursuite de la vente et sur le prix d’adjudication. Dans le cas d’espèce, toutes ces obligations ont été respectées par le commissaire-priseur judiciaire.

D’abord, l’obligation de présenter les œuvres au lieu où se trouvent les objets saisis ou en salle des ventes ou tout autre lieu ouvert au public, en application des articles R. 221-33 du Code des procédures civiles d’exécution. Le commissaire-priseur judiciaire doit également procéder à des publicités dans des journaux spécialisés et exposer ces œuvres avant la vente aux enchères.

Par ailleurs, la cour considère que le rôle de l’expert, rôle facultatif, est essentiellement l’authentification et l’attribution d’une œuvre à un peintre. S’agissant des estimations de ce dernier, la cour précise qu’elles ne sont fixées qu’à titre indicatif. Ainsi, le commissaire-priseur judiciaire n’est pas tenu par ces estimations et reste donc maître de la mise à prix des objets figurant dans sa vente. En outre, la cour rappelle que le prix doit être attractif afin d’engendrer un surenchérissement des acquéreurs potentiels.

Enfin, aucun texte n’impose au commissaire-priseur judicaire d’interrompre la vente aux enchères lorsque le prix ne couvre pas le montant de la créance. Les frais déjà engagés sur la vente et l’annulation de la vente précédente lui permettent d’adjuger ces œuvres en deçà des estimations données.

Pour autant, la cour d’appel de Paris n’a rappelé qu’une partie des obligations légales mises à la charge du commissaire-priseur judiciaire. Il semble opportun de préciser que ce dernier est également soumis à d’autres obligations, notamment :

  • celle de vérifier la validité de la procédure de saisie, laquelle doit être régulière. La jurisprudence semble considérer que le commissaire-priseur judiciaire doit vérifier seulement la régularité apparente de la procédure ;
  • celle d’informer. Cette obligation émane du décret n° 81-255, du 3 mars 1981 dit « Marcus » N° Lexbase : L1604AZG lequel impose au commissaire-priseur judiciaire de décrire de façon claire les œuvres avec des termes spécifiques permettant de garantir ou non l’authenticité de l’œuvre proposée ;
  • de manière générale, la jurisprudence considère que le commissaire-priseur judiciaire est également tenu d’une obligation de sécurité de moyen et qu’il doit prendre toute précaution utile pour éviter le vol ou la détérioration des objets confiés. La responsabilité de l’officier public et ministériel avait été retenue notamment dans le cas de la disparition d’un meuble ayant fait l’objet d’une saisie ;
  • celle de rédiger un procès-verbal au cours de la vente aux enchères dans lequel figure notamment le déroulement des opérations, le nom de l’acquéreur et le montant de l’adjudication. Dans le cadre des ventes judiciaires, les mentions obligatoires résultent de l’article R. 444-47 du Code de commerce N° Lexbase : L8464K4A. Ces procès-verbaux judiciaires sont des actes authentiques et font foi jusqu’à inscription de faux ;
  • l’obligation de veiller, pendant la vente, à ce qu’aucune entrave ne soit portée à la liberté des enchères . Le commissaire-priseur doit prononcer le terme adjugé ;
  • l’obligation de tenir à jour un livre de police ;
  • enfin, à l’issue de la vente aux enchères, il incombe au commissaire-priseur judiciaire l’obligation de délivrance des lots, même s’il n’est pas le vendeur de l’objet. Il doit également remettre à qui de droit le montant du prix d’adjudication.

À ces obligations légales viennent s’ajouter des obligations déontologiques et des devoirs généraux. Le commissaire-priseur judiciaire doit faire preuve de loyauté, de transparence et de discrétion au sujet des informations dont il a connaissance dans le cadre de ses activités. Il doit également être diligent, indépendant et vigilant ainsi que veiller à ne pas générer de conflit d’intérêts.

Conclusion

Cette décision est sans doute la dernière qui tranche un litige entre le créancier et le commissaire-priseur judiciaire chargé de vendre les biens du débiteur au profit du premier. En effet, les fonctions dévolues à ce professionnel sont désormais l’apanage des commissaires de justice, nouvelle profession en exercice depuis le 1er juillet 2022.

Reste ouverte la question de la responsabilité du nouveau commissaire de justice à l’égard de son mandant, et des obligations générales de cet officier ministériel agissant désormais en tant qu’agent chargé à la fois de saisir et de vendre aux enchères publiques les biens du débiteur.

À cet égard il n’est pas inutile de rappeler que les fonctions d’huissier et d’officier priseur vendeur de meubles, déjà séparées, ont été regroupées en 1576, puis à nouveau séparées en 1691 à Paris puis dans toute la France en 1696 pour les raisons que donne Louis XIV dans son édit de Fontainebleau d’octobre 1696 :

« Comme nous avons reconnu que le public se trouve mieux servi par ces officiers, lesquels n’étant presque employés qu’à ces fonctions, acquièrent la connaissance nécessaire pour faire une juste estimation du prix des meubles, nous avons jugé à propos de distraire pareillement ces fonctions de celles des huissiers et sergents de nos autres justices royales, et d’y créer des huissiers priseurs vendeurs desdits biens meubles » partout en France.

Depuis la création de la profession de commissaire de justice, ces fonctions sont à nouveau réunies. Désormais, le commissaire de justice sera lié au créancier-requérant par un mandat. Il sera toujours tenu à des devoirs généraux et déontologiques, outre les obligations résultant du Code des procédures civiles d’exécution. S’agissant du devoir de conseil, par exemple sur l’opportunité de saisir un buste de Johnny, il est probable que le commissaire de justice y sera tenu contrairement au commissaire-priseur judiciaire qui ne l’était pas, ce qui donnera lieu assurément à de nombreuses jurisprudences.


[1] Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice N° Lexbase : L4070K8A.

[2] CPCEx, art. L. 122-2 N° Lexbase : L5811IRN: L'huissier de justice chargé de l'exécution a la responsabilité de la conduite des opérations d'exécution.

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