Lexbase Contentieux et Recouvrement n°3 du 28 septembre 2023 : Commissaires de justice

[Actes de colloques] Le point de vue de l’huissier de justice

Lecture: 11 min

N6747BZW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Actes de colloques] Le point de vue de l’huissier de justice. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/99809890-actes-de-colloques-le-point-de-vue-de-lhuissier-de-justice
Copier

par Dominique COEURJOLY, Huissier de Justice qualifié Commissaire de justice, médiateur, ancien Président de la chambre régionale des huissiers de justice près la cour d’appel d’Angers (Maine et Loire) 2010/2022.

le 27 Septembre 2023

Mots-clés : déontologie • commissaire de justice

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver une partie des actes du colloque intitulé « Déontologie et procédures disciplinaires à l’encontre des officiers publics et ministériels », qui s’est déroulé le 7 septembre 2023 à Rennes, et qui était organisé par les chambres régionales des commissaires de justice des cours d’appel Angers, Caen et Rennes.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : N° Lexbase : N6856BZX


 

« La discipline des officiers publics et ministériels reste-t-elle le corollaire logique de la déontologie ou connaît-elle une évolution vers une plus grande « souplesse », que certains croient voir dans la « libéralisation d’accès à la profession » voulue par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron » N° Lexbase : L4876KEC, et l’introduction de règles du Code de Commerce ?

En clair, la profession d’huissier de justice ou celle de commissaire de justice (1er juillet 2022 et devenant exclusive de toute autre à compter du 1er juillet 2026 – cf. ordonnance n° 2007-728 du 2 juin 2016 N° Lexbase : L4070K8A) amorcerait-elle un virage vers une sorte « tout laisser faire libéral », plus ou moins fantasmé … ?

Cette question exige trois rappels :

  • le premier historique développé en introduction de notre colloque par Monsieur Sylvain Jobert, professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles Université Paris II Panthéon-Assas et Université d’Angers, directeur du master II droit et pratique des procédures ;
  • le second littéraire, avec cette citation de Charles Péguy : « L’ordre crée la liberté, le désordre génère la servitude ».
  • Enfin, le troisième statutaire : « nous sommes et demeurons Officiers Publics et Ministériels ».

« Officier public », c’est-à-dire « dressant des actes authentiques avec des solennités requises ».
« Officier ministériel » c’est-à-dire disposant du privilège d’exercice d’une mission de service public.

De ce fait, les règles déontologiques et la discipline qui en résulte, ainsi que celles des réformes coulent de source !

Le ministère de la Justice a profité du projet de loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021 N° Lexbase : Z459921T, dite « pour la confiance dans l’institution judiciaire », pour proposer une unification de la discipline des officiers publics ministériels, en y introduisant un titre V ayant pour objet : « renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du droit ».

Seul cet intitulé est de nature à nous mettre en alerte.

Il ne s’agit pas d’alléger, mais bien de renforcer.

I. La source de la réforme

De quoi s’agit-il ?

L’objet consiste en une unification des régimes disciplinaires à l’ensemble des professions réglementées : avocat aux Conseil d’État et à la Cour de cassation, commissaire de justice, greffier des tribunaux de commerce et notaires.

Pour les réflexions les plus récentes, cette évolution fut amorcée par la communication déposée le 7 octobre 2020 dans le cadre de la « mission flash sur la mise en place d’un collège de déontologie des Officiers Publics et Ministériels » menée par deux parlementaires (Monsieur Fabien Matras et Madame Cécile Untermaier, député, commission des lois constitutionnelles, de la législation, de l’administration générale de la République, notamment propositions n°1, 4, 5, 8 et 10).

L’inspection générale de la justice (IGJ) à la suite de la mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre, dont le rapport a été également déposé en octobre 2020 on a fait l’essentiel de ses vingt-cinq recommandations (rapport de la mission sur la discipline des professions du droit et du chiffre, inspection générale des services judiciaires, rapport définitif octobre 2020, n° 074-20 et 219/00287. Voir notamment recommandations n° 2, 9, 10, 12, 16, 17, 19, 20, 22 et 25).

En lien avec mon propos liminaire, il est intéressant de révéler que dans son rapport, l’Inspection générale de la justice, en faisant une présentation générale des professions du droit, note l’hétérogénéité de leur organisation, représentation, réglementation et de leurs pratiques, et appelle de ses vœux, un renforcement et une effectivité de la discipline précisément en raison du mouvement de libéralisation que connaissent ces professions.

On peut y lire notamment : « toutefois, un même questionnement sous forme de préoccupation est apparu ces dernières années chez ces professionnels, mais aussi sur les partenaires et les publics. Il porte sur l’effectivité de la discipline, sujet qui a pris une acuité encore plus forte du fait des évolutions, citées précédemment, en lien avec le mouvement de libéralisation qu’ont connu ces professions » (rapport IGJ) pages 16 et 17).

Plus loin, l’inspection générale de la justice formule deux recommandations qui furent reprises dans le projet de loi du ministre de la Justice.

  • La première, la mise en place d’un mécanisme rendant possible un examen extérieur des plaintes et réclamations, et une information obligatoire du plaignant quant à la suite à donner (article 22 du projet).

Le rapport précise : « il est attendu de ces dispositions un double bénéfice : celui de rompre l’isolement du justiciable ou client face à un professionnel et ses représentants et celui de renforcer la qualité du traitement initial. Plus généralement elle est de nature à combattre l’idée d’un entre-soi trop complaisant en encadrant le champ infra-disciplinaire » (rapport IGJ, page 85).

  • La seconde, un traitement différencié des manquements (supposant une typologie à définir), les « légers » étant à traiter par les représentants professionnels locaux dotés de pouvoirs renforcés, « les plus graves » relevant d’une instance inter-régionale.

L’inspection générale de la justice précisait : « les bâtonniers, tout comme les présidences des instances locales des notaires, Huissiers de Justice et Commissaires-Priseurs Judiciaires, sont dans leur exercice quotidien confrontés à des manquements d’ordre professionnel ou personnel, à caractère isolé, circonstanciel et ne revêtant pas un degré de gravité ou de trop grande complexité. La définition d’une typologie, visée précédemment, facilitera leur approche. En tout état de cause, face à des manquements légers, ils se sont démunis étant d’une part privés de leur pouvoir disciplinaire à l’égard de leurs confrères et d’autre part réticents à déclencher une procédure disciplinaire lourde et complexe qui apparaît alors disproportionnée… il apparaît donc essentiel dans la nouvelle architecture du dispositif disciplinaire de cette profession de renforcer la position des représentants de ces instances, en instituant une procédure de rappel à l’ordre pour les manquements les plus légers » (Rapport IGJ page 86).

II. Une nouvelle procédure disciplinaire

La procédure disciplinaire connaît une évolution radicale, puisque les nouveaux textes organisent des juridictions disciplinaires à l’échelon interrégional près les cours d’appel dont les décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation (procédure disciplinaire à compter du 1er juillet 2022 - ordonnance n° 2022-544 du 14 avril 2022 N° Lexbase : L3778MCW).

Ces instances disciplinaires (régionales et nationales) sont composées selon le principe de l’échevinage avec un magistrat du siège comme président (magistrat de cour d’appel en activité ou honoraire pour l’interrégional avec deux assesseurs professionnels, et de la Cour de cassation pour la nationale avec, président avec deux magistrats du siège de la cour d’appel en activité ou honoraire et deux assesseurs de la profession intéressée).

Parallèlement, l’ensemble de la discipline des professions réglementées est directement confié aux parquets généraux qui disposeront d’un pouvoir d’investigation.

Un service d’enquête indépendant est également créé.

III. Vers une définition élargie de la faute disciplinaire et de nouvelles sanctions

L’article 2 de l’ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 N° Lexbase : L7650IGG relative à la discipline de certains officiers ministériels définit de manière très large la faute disciplinaire.

Selon cet article, « toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse commis par un Officier Public ou ministériel, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire ».

Comme l’écrit la doctrine, « la notion de faute disciplinaire est déjà extrêmement large. La faute s’apprécie aussi bien par la référence aux règles du droit positif en considération des textes propres à la profession ou encore en fonction de l’appréhension commune des bonnes mœurs et des bons usages ». (Jurisclasseur notarial, fasc. 30 – discipline – Jean-François Pillebout).

La Cour de cassation a d’ailleurs posé le principe que « la discipline professionnelle, les Officiers publics et ministériels n’excluent pas la prise en considération d’éléments de vie privée eu égard à la portée sociale et d’intérêt public des fonctions qu’ils exercent » (Cass, civ. 1, 9 mai 2001, n° 00-16319 N° Lexbase : A4018ATY). Cette analyse tient à la nature des fonctions d’officiers publics et ministériels et aux obligations qui en découlent au regard de leur mission de service public, ainsi qu’à la nécessité d’assurer les intérêts des tiers et de préserver ceux de la profession elle-même.

À ce texte de portée générale s’ajoutent des incriminations plus précises, prévues par des textes particuliers, comme ceux relatifs à la Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme (LCB-FT) (C. mon. fin. art. L. 561-36, 5e, 6e N° Lexbase : L7301LBZ, les chambres régionales de discipline des huissiers de justice et les chambres de discipline des commissaires-priseurs judiciaires de leur ressort, sont compétents pour sanctionner les manquements en matière de LCB-FT conformément à l’article 7 bis de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE), de sorte que l’on peut en déduire qu’il existe deux sortes d’infractions disciplinaires :

  • les unes, d’incrimination précise, sont constituées par les contraventions aux lois et au règlement (LCB-FT) et par les infractions aux règles professionnelles ;
  • les autres, plus floues sont celles qui proviennent de l’accomplissement des faits contraires à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse.

La Cour de cassation opère un contrôle de la qualification donnée par les juges du fond aux faits qui ont donné lieu à des poursuites disciplinaires (faits contraires à l’honneur, à la probité ou à la délicatesse), mais cette qualification n’est pas subordonnée à la démonstration de l’intention de nuire.

Qu’en est-il des nouveaux textes en matière disciplinaire ?

L’objet des nouveaux textes a pour but de : « Renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du Droit », et d’unifier la discipline des Officiers publics et ministériels.

Les nouveaux textes ne modifient pas fondamentalement la définition du manquement disciplinaire, mais l’élargissent en faisant désormais référence au « principe déontologique » que chaque profession devra consigner dans un code de déontologie. Sur ce point, les huissiers de justice ont un règlement déontologique national (RDN) approuvé par arrêté du ministre de la Justice en date du 18 décembre 2018. Le manquement à un seul des principes, règles et devoirs, constitue une faute pouvant entraîner une sanction disciplinaire.

Rappelons que le principe posé est : « le Code de déontologie énonce les principes et devoirs professionnels permettant le bon exercice des fonctions et s’applique en toutes circonstances à ces professionnels dans leurs relations avec le public, leurs clients, les services publics, leurs confrères et les membres des autres professions » (texte adopté en commission mixte paritaire le 19 novembre 2021 source Assemblée nationale).

L’échelle des sanctions « classiques » évolue afin qu’elle soit unifiée à l’ensemble des professions réglementées. Avertissement, blâme, interdiction au professionnel pendant une durée de dix ans, destitution qui emporte interdiction d’exercice à titre définitif et retrait de l’honorariat.

Par ailleurs, la peine d’interdiction temporaire peut être assortie, en tout ou partie du sursis, précisant que si dans un délai de cinq ans à compter du prononcé de la peine, le professionnel a commis un manquement ayant entraîné le prononcé d’une nouvelle peine disciplinaire, celle-ci entraîne, sauf décision motivée, l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde.

En outre, une peine d’amende peut être prononcée à titre principal ou complémentaire par la juridiction disciplinaire dont le montant ne peut excéder la plus haute des deux sommes suivantes : 10 000 € ou 5 % du chiffre d’affaires hors taxes et réalisé par le professionnel au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois.

En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que cette réforme d’unification des régimes disciplinaires des Officiers publics et ministériels apporte une clarification aux yeux du public. Cette réforme voulue était nécessaire du fait de la libéralisation que connaissent ces professions.

Plus la liberté est grande, plus la tentation est forte.

Pour être respecté, je me dois d’être respectable. Il s’agit d’une question d’éthique, mais pour que l’éthique soit durable, il faut qu’elle soit collective et c’est là une affaire d’éducation, de transmission, de culture et de valeurs partagées avec le plus grand nombre.Je vous remercie pour votre écoute et votre attention. »

newsid:486747

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus