Réf. : Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 24 I N° Lexbase : Z00019UY ; loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9
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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé, Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ
le 25 Octobre 2023
Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Directeur du Master droit immobilier (FOAD), Centre IEJUC
Il y a des sujets qui réunissent la profession. D’autres provoquent de très vives discussions, comme la question de savoir si le nouvel article 24-I de la loi du 10 juillet 1989 (dans sa version issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9, prévoyant désormais l’insertion systématique d’une clause résolutoire dans le contrat de bail d’habitation) s’applique aux contrats en cours ou non. Afin d’arbitrer, il me fallait interroger un tiers spécialiste. Le Professeur Julien Laurent l’est. Agrégé des facultés de droit, spécialiste de droit immobilier et notamment des baux, il a accepté de répondre à mes interrogations. J’aurais adoré le rencontrer à Toulouse, où il enseigne, pour l’interroger, mais nous avons préféré un entretien téléphonique. Initialement, nos avis étaient opposés, mais je dois avouer qu’il est très persuasif, avec des arguments extrêmement percutants !
Sylvian Dorol : Que prévoyait l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989 ancien ?
M. Le Pr. Julien Laurent : Jusqu’à la promulgation de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9, l’article 24 de la loi de 1989 N° Lexbase : Z00019UY autorisait, conformément au droit commun et plus précisément l’article 1224 du Code civil N° Lexbase : L0826KZM, mais en l’encadrant strictement, la stipulation d’une clause résolutoire en cas de non-paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou en cas de non-versement du dépôt de garantie. Le texte disposait que « I.-Toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ».
L’avantage de ce type de clause est bien connu : si l’inexécution par l’une des parties au contrat de bail peut bien entendu toujours potentiellement justifier la résolution judicaire du contrat (C. civ. art. 1224), voire une résolution unilatérale aux risques et périls du bailleur (art. 1226, C. civ.) c’est à la condition que le juge estime que le manquement contractuel reproché au locataire est suffisamment grave. Afin précisément de priver le juge de son pouvoir d’appréciation sur la gravité de l’inexécution, les parties prennent souvent le soin d’insérer dans le contrat une clause résolutoire de plein droit (C. civ. art.1225 N° Lexbase : L0828KZP) Il suffit que le juge constate le manquement reproché pour faire produire à la clause son effet et donc prononce la résolution du contrat. Du fait de sa dangerosité pour le locataire, deux règles encadrent la stipulation d’une clause résolutoire : d’une part, la clause résolutoire de plein droit ne peut viser qu’un certain type de défaut d’exécution, parmi lesquels figure évidemment et notamment le non-paiement du loyer, des charges et du dépôt de garantie (L. 89, art. 4, g)) ; d’autre part, sa prise d’effet est subordonnée à un commandement de payer resté infructueux pendant deux mois (art. 24-I, ancien). Cette clause résolutoire est très couramment prévue en pratique.
Sylvian Dorol : Quelles modifications ont apporté l’article 9 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite à l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989 ?
M. Le Pr. Julien Laurent : Entre autres innovations, la loi du 27 juillet 2023 n° 2023-668 N° Lexbase : L2872MI9 réécrit l’article 24-I de la loi du 6 juillet 1989. Le nouveau texte prévoit désormais que « I. - Tout contrat de bail d'habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux. ».
Autrement dit, la loi prévoit une systématisation de la clause de résiliation du bail (pour défaut de paiement de loyer ou des charges ou de versement du dépôt de garantie) dans les contrats de bail qu’elle concerne. Corollairement, il est prévu que le commandement de payer contient, à peine de nullité la mention que le locataire dispose d'un délai de six semaines pour payer sa dette (même texte).
Dans le même temps, le délai minimal entre l’assignation aux fins de constat de la résiliation et l’audience diligentée par le commissaire de justice est également réduit de deux mois à six semaines (art. 24-III).
Sylvian Dorol : Comment devrait s’appliquer le nouveau texte dans le temps ? S’applique-t-il notamment aux contrats de bail en cours ?
M. Le Pr. Julien Laurent : Il faut d’emblée préciser que la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ne contient pas de dispositions transitoires venant régler les conditions de son application dans le temps. Il faut donc revenir aux principes généraux.
Toutefois, et par exception, les lois nouvelles sont parfois immédiatement applicables aux contrats en cours. La Cour de cassation – aiguillée par la doctrine – a eu ainsi en sus recours notamment à deux critères permettant de fonder cette application immédiate de la loi nouvelle aux situations contractuelles nées antérieurement à la loi mais toujours en cours : le critère de l’ « ordre public » (de protection ou de direction), et dans le dernier état de sa jurisprudence, l’ « effet légal du contrat » (une partie du contrat, largement prédéfini par la loi, de sorte qu’elle en deviendrait plus « legalsensible », et verrait ses effets soumis pour cette part à la loi nouvelle). Derrière ces concepts (aux différences parfois subtiles), l’idée est au fond toujours la même : la loi nouvelle est munie d’une certaine « charge » impérative, suffisante pour justifier l’uniformisation entre les contrats soumis à la nouvelle loi et les contrats en cours, au détriment des prévisions contractuelles, qui intégraient la loi ancienne.
L’article 24-I relève-il de cette catégorie de disposition ? Quel que soit le critère justifiant l’application immédiate de la loi nouvelle au contrat en cours auquel on pourrait avoir recours, il y a, selon nous, tout lieu de le penser.
En somme, quel que soit le critère retenu, une considération d’uniformité devrait selon nous prévaloir et conduire à faire produire effet immédiat à la loi nouvelle aux baux en cours. À défaut, coexisteraient (certes pendant trois ans au plus) deux catégories de baux d’habitation relevant de la même loi : ceux qui contiendront automatiquement une clause produisant effet après un délai de six semaines et ceux qui, soit n’en contiendront jamais (parce que les parties ne l’avaient pas prévu) soit en contiendront une mais ne produisant effet qu’après un délai de deux mois, créant ainsi deux catégories de locataires et de bailleurs très différemment protégées. Ce serait à notre avis inopportun.
Sylvian Dorol : Quel sera probablement l’effet concret du nouveau texte sur les contrats de bail qui ne contiennent aucune clause résolutoire ?
M. Le Pr. Julien Laurent : Si l’on accepte les prémisses d’une application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, les contrats ne contenant aucune clause résolutoire – hypothèse rare en pratique – seront immédiatement soumis à la loi nouvelle. Ils contiennent donc depuis l’entrée en vigueur de la loi, tous, une clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause produit effet six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux.
Sylvian Dorol : Quel sera l’effet du nouveau texte sur les contrats de bail qui contiennent une clause résolutoire ?
M. Le Pr. Julien Laurent : S’agissant des contrats contenant une clause résolutoire se bornant à reprendre l’ancien article 24-I de loi de 89 (en substance ou servilement), se référant notamment au délai (ancien) de deux mois avant que la clause ne puisse produire effet, ces clauses sont de plein droit remplacées, dès l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, par une clause résolutoire prenant effet six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux. Ici, le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets légaux du contrat devrait jouer à plein, s’agissant d’une clause dont les conditions d’application sont empruntées à la loi ancienne et qui se trouverait remplacée dans ses effets par la loi nouvelle.
Mais la même solution devrait prévaloir à notre avis pour les clauses ayant accordé un délai supérieur au minimum légal (donc plus de deux mois). Certes, on pourrait arguer qu’en stipulant de la sorte, les parties auraient entendu se mettre hors du champ légal et qu’il conviendrait par conséquent de ne pas appliquer la loi nouvelle à leur contrat. Ce serait à notre sens parfaitement fictif et rétrospectif puisqu’elles ignoraient par hypothèse la survenance de la loi nouvelle ; comment préjuger dans ces conditions et a posteriori de leur volonté ? Au demeurant, cela reviendrait non sans paradoxe à traiter plus sévèrement les bailleurs ayant pris la précaution d’insérer une clause résolutoire (soumise par conséquent au délai minimum de deux mois ou plus), que ceux qui n’auraient rien prévu, puisque leur contrat se verrait appliquer immédiatement la loi nouvelle et bénéficieraient ainsi du délai accéléré de six semaines.
Sylvian Dorol : Comment analyser techniquement l’effet de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sur les stipulations contractuelles existantes ?
M. Le Pr. Julien Laurent : À notre sens, il est possible de considérer que les clauses anciennes deviennent caduques du fait de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il n’y a donc pas lieu d’agir en nullité des anciennes clauses.
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