Lexbase Contentieux et Recouvrement n°3 du 28 septembre 2023 : Commissaires de justice

[Actes de colloques] Propos de Madame la Présidente Chantal Bussiere lors du colloque « Déontologie et procédures disciplinaires à l’encontre des officiers publics et ministériels »

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[Actes de colloques] Propos de Madame la Présidente Chantal Bussiere lors du colloque « Déontologie et procédures disciplinaires à l’encontre des officiers publics et ministériels ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/99788405-actesdecolloquesproposdemadamelapresidentechantalbussierelorsducolloquedeontologieetp
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par Chantal Bussiere, Présidente du collège de déontologie des commissaires de Justice

le 27 Septembre 2023

Mots clés: déontologie • commissaire de justice

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver une partie des actes du colloque intitulé « Déontologie et procédures disciplinaires à l’encontre des officiers publics et ministériels », qui s’est déroulé le 7 septembre 2023 à Rennes, et qui était organisé par les chambres régionales des commissaires de justice des cours d’appel Angers, Caen et Rennes.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : N° Lexbase : N6856BZX


 

« Monsieur le président, messieurs les avocats généraux, mes chers collègues, professeurs, chère Natalie, mesdames et messieurs les présidents des chambres régionales de commissaires de justice et de notaires, mesdames et messieurs les commissaires de justice, notaires et greffiers de commerce, Mesdames et Messieurs. C’est avec la même émotion que mes prédécesseurs que je prends la parole après avoir appris l’abominable et lâche agression dont a été si dramatiquement victime votre confrère, tout simplement parce qu’il accomplissait sa mission. Toutes mes condoléances vont à sa famille, ses amis et ses confrères.

Monsieur le président,

Avant d’entrer dans le vif de mon propos, je voudrais vous dire tout le plaisir qui est le mien de participer à votre colloque, pour évoquer les travaux menés par le collège de déontologie des commissaires de justice.

Par ailleurs, je tiens à remercier monsieur le président Patrick Sannino de m’avoir sollicitée en 2019 afin de présider le conseil consultatif de déontologie des Huissiers de Justice, qui venait d’être renouvelé à la suite de la promulgation, en décembre 2018, du règlement déontologique national.

Avoir prévu un tel organe dans le règlement déontologique national (RDN) était particulièrement visionnaire puisque les textes de 2022 ont officialisé une telle structure en créant le collège de déontologie des commissaires de justice et en instaurant d’ailleurs de tels collèges pour les autres officiers ministériels.

Je remercie également vivement Monsieur le président Benoît Santoire pour la confiance qu’il m’a accordée et l’honneur qu’il m’a fait, en 2022, en me déléguant ses pouvoirs pour présider le nouveau collège de déontologie, confiance et honneur auxquels je suis particulièrement sensible.

Mais bien sûr cette confiance m’oblige comme elle oblige tous les membres du collège avec lesquels j’ai le privilège de siéger au moins une fois par mois, je veux citer mon collègue, Jean-Olivier Viout, procureur général honoraire près la cour d’appel de Lyon et les commissaires de justice, Dominique Aribaut, Myrtille Dumonteil et Elisabeth Fitoussi sans oublier nos 2 deux rapporteurs, Marc Dymant et Romy Gonin, commissaires de justice.

Notre diversité est une garantie de complémentarité, indispensable à la bonne compréhension des enjeux de votre nouvelle profession. Mais cette diversité est aussi la source d’une richesse, créatrice d’une ouverture d’esprit, jamais dénuée de bienveillance.

Alors pourquoi avoir créé un collège de déontologie ? (I)

Quel est son rôle et comment fonctionne-t-il ? (II)

Ce sont les questions auxquelles je vous propose de répondre dans le court laps de temps qui m’est imparti !

I. Alors pourquoi avoir créé un collège de déontologie ?

À première vue, on pourrait s’interroger sur l’opportunité, voir même l’utilité de créer un collège de déontologie des commissaires de justice, car on pourrait être tenté de considérer, qu’étant des officiers publics et ministériels, les commissaires de justice sont imprégnés de déontologie, à la fois par nature et du fait de leur formation.

Cette approche n’est d’ailleurs pas étrangère à celle qu’ont pu avoir d’autres acteurs du monde juridique ou judiciaire puisque notamment les magistrats, jusqu’aux années 2000-2005, étaient hostiles à toute réflexion sur leur déontologie.

Et, malheureusement il a fallu attendre qu’éclate la dramatique affaire « d’Outreau », pour que le législateur, en 2008, impose au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’éditer un recueil des principes déontologiques des magistrats qui a vu le jour en 2010 avant d’être actualisé en 2019 par la mandature du CSM à laquelle j’appartenais et qui a voulu en particulier prendre en considération l’impact, pour les magistrats de l’omniprésence des nouvelles technologies et des réseaux sociaux.

Donc comme vous le voyez, la réflexion d’une profession sur sa déontologie est loin d’être surannée.

Alors pourquoi une telle exigence ?

Parce que dans toute société démocratique se pose, en permanence, la question de la légitimité de tout pouvoir détenu par quiconque. Les pouvoirs exécutif et législatif tiennent leur légitimité de l’élection.

Mais d’où provient la légitimité des magistrats, des policiers, des commissaires de justice et en réalité de tous ceux qui exercent une profession en raison de leur savoir ou de leurs fonctions, qui les placent dans une situation de pouvoir exorbitant par rapport à l’usager.

Bien sûr, tous exercent ces fonctions parce qu’ils ont réussi des concours ou des examens exigeants et parce qu’ils ont suivi un parcours de formation approfondie qui a conduit à leurs nominations.

Pour autant, la seule réussite à ces parcours, même s’ils sont d’excellence, ne pourra jamais suffire à asseoir durant toute une vie professionnelle, la légitimité de ceux qui exercent des pouvoirs sur autrui. Certes l’exercice de ces pouvoirs est encadré par la loi, mais la légalité d’un pouvoir ne recouvre pas nécessairement sa légitimité.

Et c’est précisément là, que la réflexion déontologique permanente d’une profession d’autorité prend toute sa place, parce qu’elle est de nature à inspirer confiance aux citoyens, cette confiance étant l’une des sources essentielles de légitimité pour les professions détentrices de pouvoirs. Conçue de cette façon, la déontologie n’est alors plus simplement l’envers de la discipline, comme ce fut le cas pendant très longtemps.

En effet, autrefois, c’était essentiellement au travers des poursuites disciplinaires et de la définition de la faute disciplinaire qu’étaient précisés ou même définis les devoirs déontologiques énoncés de façon souvent très générale et abstraite dans les différents statuts professionnels : on parlait d’indépendance, d’impartialité, de confraternité, de loyauté, mais que voulaient dire exactement ces mots, dont le sens pouvait évoluer au fil des ans. L’approche déontologique de 2023 n’est plus celle de 1990.

C’est pour cela que la déontologie doit être conçue aujourd’hui comme une matière autonome et vivante, qui lui confère un rôle de prévention aux manquements.

Certes le rôle a posteriori de la discipline existera toujours, mais il appartient à chaque profession et donc à celle des commissaires de justice de construire et de faire vivre au quotidien sa déontologie de façon claire et transparente pour tous, y compris pour les citoyens.

C’est précisément à cette mission que s’emploie le collège de déontologie dont la composition, les missions et les modalités de saisine ont été définies par l’ordonnance et le décret du 12 avril 2022.

J’en arrive ainsi à la seconde partie de mes propos.

II. Rôle et aux objectifs du collège de déontologie

Je ne vais pas reprendre les textes et rappellerai seulement qu’en vertu des articles 3 de l’ordonnance et 2 du décret du 13 avril 2022, le collège de déontologie a des compétences relatives au code de déontologie en lui-même et le collège peut formuler des recommandations sur l’application de ce code. C’est précisément ainsi que se construit au jour le jour la déontologie d’une profession.

Le code pour l’élaboration ou la mise à jour duquel nous avons été consultés n’a pas encore été publié si bien que notre document de référence est toujours le règlement déontologique national.

La saisine du collège est aujourd’hui moins large que celle du conseil consultatif puisque le collège ne peut plus être saisi directement par un commissaire de justice.

Il ne peut l’être que par le garde des Sceaux ou le président d’une chambre régionale. Mais, le collège peut aussi se saisir d’office.

Il est encore un peu tôt pour voir l’impact de cette modification sur la saisine du collège : en effet, il est certain que l’activité du conseil consultatif de déontologie avait connu une forte progression entre juin 2019 et fin 2021 puisque les saisines étaient passées de six 6 en 2019 à trente-sept en 2020 pour atteindre cinquante-cinq en 2021.

L’année 2022 a été une année de transition, essentiellement dédiée à la consultation sur le code de déontologie et les règles professionnelles.

Toutefois, depuis janvier 2023, l’activité du collège a bien repris puisque nous avons à ce jour, émis vingt-cinq avis auxquels s’ajouteront les sept que nous donnerons la semaine prochaine, portant à trente-deux les requêtes examinées en 2023.

Nous statuons essentiellement sur saisine des présidents de chambres régionales que je tiens à remercier vivement pour s’être approprié ce pouvoir très utile à l’ensemble de la profession.

Nous nous sommes également auto-saisis une fois sur une affaire portée à notre connaissance et dont l’instruction est en cours.

Tous les cas qui nous sont soumis sont anonymisés ce qui confirme bien l’approche déontologique de notre démarche.

Alors, quelles sont les questions qui nous sont soumises et pour être exhaustive j’évoquerai non seulement celles posées au collège de déontologie, mais aussi préalablement au conseil consultatif.

Bien évidemment les questions qui nous sont posées sont directement en lien avec les évolutions de la société et donc de votre profession, notamment sous l’impact des nouveaux modes d’exercice professionnel et de communication.

Ainsi, nous avons été amenés très rapidement à donner des avis sur le référencement prioritaire et la sollicitation personnalisée.

De même nous nous sommes prononcés à plusieurs reprises sur :

  • les sites internet des offices ;
  • les réseaux sociaux ;
  • la signalétique ;
  • la publicité ;

Nous nous sommes aussi prononcés sur :

  • l’exercice en sociétés multi-offices ou dans des locaux multi-professionnels ;
  • les conflits d’intérêts,
  • mais également très récemment sur la liberté d’installation.

Je ne reprendrai pas, dans le détail, nos avis qui sont tous publiés sur le site de la chambre nationale.

Je voudrais simplement dire que ce qu’il faut globalement en retenir, c’est que la déontologie doit guider votre quotidien, y compris pour accompagner les évolutions de votre profession, lesquelles, en réalité, n’autorisent pas tout !

À ce titre, je vais juste prendre un exemple : celui des avis rendus sur le rôle effectif que doit avoir un commissaire de justice lorsqu’il procède à des constatations.

Et si nous avons tenu à souligner ce rôle extrêmement important que doit avoir, lui-même, le commissaire de justice, pour réaliser le constat, c’est parce que cet acte a, pour le juge, une très forte valeur probante.

Tous nos avis sont, non seulement publiés dès leur prononcé, sans attendre le rapport d’activité que nous devons désormais établir chaque année, mais ils ont également été commentés par Maître Guinot, et le sont maintenant par Maître Jean-Luc Bourdiec. Je les remercie sincèrement tous les deux pour leurs très utiles contributions.

Pour rendre ces avis, les membres du collège tiennent, tous ensemble, à l’issue d’un débat toujours très riche, à apporter la réponse la plus claire, la plus précise et surtout la plus appropriée aux questions qui nous sont soumises.

En effet, nous veillons toujours à ne jamais perdre de vue l’environnement, la portée et les conséquences de nos avis.

Ainsi, cela nous conduit à avoir, en permanence le souci de l’équilibre et nous amène en quelque sorte à ne pas nous éloigner d’une ligne de crête. Pourquoi ?

Tout simplement pour ne pas tomber :

  • d’un côté de la ligne de crête, dans une forme d’indulgence ou de complaisance facile, mais finalement coupable et donc contre-productive pour tous,

Mais nous ne voulons pas non plus tomber :  

  • de l’autre côté de la ligne de crête, dans une rigueur excessive, moralisatrice et en définitive inadaptée aux attentes et besoins d’une société libérale et mondialisée.

Avancer sur cette ligne de crête est parfois difficile, mais cela nous permet aussi de ne jamais oublier que nous intervenons au profit d’officiers publics et ministériels qui, rappelons-le, n’existent pas dans tous les pays, y compris européens.

Et pourtant, plus que jamais, dans le monde brutal d’aujourd’hui, les officiers publics et ministériels ont une légitimité renforcée, parce que fondée sur la confiance qui leur est accordée.

Je souhaite à chacun de vous, pleine réussite dans l’exercice de sa nouvelle profession, que le collège de déontologie aura toujours à cœur de servir.

Je vous remercie pour votre attention ! »

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