Réf. : Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-14.080, FS-P+B, sur le troisième moyen (N° Lexbase : A8710KIG)
Lecture: 6 min
N8165BTL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 25 Juillet 2013
Résumé
La renonciation à la clause de non-concurrence par envoi au salarié d'une lettre recommandée avec accusé de réception dans les quinze jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail est valable et prive le salarié de contrepartie pécuniaire quand bien même la lettre de renonciation, perdue par la Poste, n'est jamais parvenue au salarié. |
Commentaire
I - Règles relatives à la notification de la renonciation à la clause de non-concurrence
Depuis 2002, la clause de non-concurrence n'est plus une clause unilatérale et comporte un intérêt pour chacune des parties puisque le salarié aura droit, pendant le délai d'application de la clause, à une contrepartie pécuniaire (1). Prenant en compte ce nouveau caractère, la Chambre sociale de la Cour de cassation exige désormais que la faculté de renonciation soit expressément prévue par la clause ou par la convention collective applicable pour que l'employeur puisse effectivement y renoncer (2). Cela n'est cependant pas la seule condition.
Le moment de la renonciation a, en particulier, été sérieusement encadré. Ainsi, en principe, le contrat de travail ou la convention doit prévoir le délai au cours duquel l'employeur peut procéder à la renonciation à partir de la rupture du contrat de travail (3). A défaut de clause prévoyant un tel délai, l'employeur conserve la faculté de renoncer à la clause de non-concurrence au moment de la rupture (4).
Peu de précisions ont été apportées à la manière de computer le délai contractuel ou conventionnel de renonciation. On sait tout de même que c'est le jour de l'envoi de la lettre de renonciation et non le jour de la réception par le salarié de celle-ci qui permet d'apprécier si le délai a été respecté (5). Cette position a, comme le montre la décision commentée, des répercussions sur l'éventualité d'une perte du courrier recommandé par les services postaux.
Un salarié, directeur commercial de l'entreprise, est licencié pour inaptitude le 9 novembre 2008 à la suite de plusieurs arrêts de travail. Le contrat de travail du salarié comportait une clause de non-concurrence et stipulait que l'employeur pouvait renoncer à la clause à condition de procéder à cette renonciation par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai maximal de quinze jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail. L'employeur avait adressé une lettre de renonciation au salarié dans les délais, mais le courrier, perdu par la poste, n'était jamais parvenu au salarié. Celui-ci réclamait donc au juge prud'homal le versement d'une contrepartie pécuniaire compensant la clause de non-concurrence.
La cour d'appel de Poitiers saisie de l'affaire fit droit à la demande du salarié et condamna l'employeur au versement de l'indemnité en considérant qu'il appartenait à l'employeur de s'assurer que le salarié avait bien reçu le courrier. Faute que le salarié ait été informé de la levée de la clause de non-concurrence, la contrepartie lui restait due.
Plusieurs moyens étaient présentés à la Chambre sociale de la Cour de cassation, mais seul le troisième d'entre eux retiendra notre attention (6). La Chambre sociale prononce la cassation au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Après avoir rappelé les termes du contrat qui stipulait que "l'employeur pouvait renoncer à la clause de non-concurrence par envoi au salarié d'une lettre recommandée avec accusé de réception dans les quinze jours suivant la notification de la rupture du contrat de travail", la Chambre sociale reprend les constatations de la cour d'appel selon lesquelles l'employeur produit bien la preuve d'avoir envoyé une lettre recommandée de renonciation et que cet envoi est intervenu dans un délai de quinze jours suivant la notification de la rupture.
II - La prévalence des stipulations contractuelles en cas de renonciation à la clause de non-concurrence
Il est important de ne pas tirer de conclusions trop hâtives de la motivation adoptée par la Chambre sociale dans cette affaire.
En effet, la première lecture donne le sentiment que la Chambre sociale classe l'acte de renonciation à la clause de non-concurrence dans la catégorie des actes non réceptices comme elle l'a déjà fait du licenciement ou de la rupture d'essai (7). Il s'agit cependant là d'une interprétation trop rapide puisqu'en réalité, la Chambre sociale ne fait que reprendre les constatations de la cour d'appel qui, elle-même, s'appuyait très clairement sur la stipulation contractuelle laquelle prévoyait que la renonciation avait lieu par "envoi" d'une lettre recommandée. Autrement dit, rien ne semble empêcher une autre rédaction du contrat qui donnerait effet à la renonciation au moment de la réception de la lettre par le salarié.
Cette position n'est guère surprenante puisque, d'une manière générale, la Chambre sociale donne priorité à la volonté des parties. Ainsi, comme nous l'avons vu, la renonciation doit impérativement être prévue par le contrat et n'intervient au moment du licenciement qu'à défaut de délai contractuel ou conventionnel.
On pouvait tout de même se demander si un mouvement de reflux n'avait pas été engagé lorsqu'au mois de mars dernier, la Chambre sociale exigea que la renonciation intervienne au plus tard à la date de départ effective du salarié lorsque celui-ci a été dispensé de son préavis et cela "nonobstant stipulations ou dispositions contraires" (8). Le renforcement de l'ordre public dans le domaine de la renonciation à la clause de non-concurrence pouvait laisser penser que la Chambre sociale prendrait davantage en main les modalités de la renonciation, ce qui n'est manifestement pas le cas dans l'affaire sous examen. Le principe demeure donc, sous les réserves habituelles, celui de la liberté contractuelle en matière de clause de non-concurrence.
La solution rendue mène tout de même à une situation bien curieuse puisque le salarié est libéré de son obligation de non-concurrence et perd le droit à la contrepartie pécuniaire sans même en être informé.
Cette situation n'est cependant pas à mettre à la charge de l'employeur qui a respecté les stipulations contractuelles mais des services postaux dont la responsabilité pourra naturellement être engagée par le salarié. Le préjudice subi résulte de la privation de la liberté du travail qu'a subi le salarié alors même qu'il aurait dû être libéré de l'obligation de non-concurrence. Théoriquement, le recours contre la Poste pourrait donc consister dans une indemnisation de la privation de liberté, pourrait donc consister à demander aux services postaux l'indemnisation du temps durant lequel le salarié s'est indûment astreint à ne pas faire concurrence à son ancien employeur. En pratique cependant, l'absence de paiement de la contrepartie par l'employeur aura certainement amené le salarié à s'informer et sa connaissance de la situation diminuera d'autant l'intérêt d'un recours contre la Poste.
(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0769AZI).
(2) Cass. soc., 27 février 2007, n° 05-43.600, F-D (N° Lexbase : A4164DUR) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-41.635, F-D (N° Lexbase : A2325GAD).
(3) Même si la convention collective prévoit un délai de quinze jours, la renonciation par le biais de la lettre de licenciement est valable, v. Cass. soc., 24 avril 2013, n° 11-26.007, FS-P+B (N° Lexbase : A6757KCA).
(4) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.626, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6837E4Y).
(5) Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-41.219, FS-P+B sur les deuxième et troisième moyens (N° Lexbase : A1667EPG) ; Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-21.975, F-D (N° Lexbase : A4213I8K).
(6) Les deux premiers moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, le quatrième porte sur l'interprétation d'une clause contractuelle peu claire, la Chambre sociale estimant que les juges du fond n'ont pu dénaturer la clause.
(7) Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7) et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4538AIW).
(8) Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-21.150, FS-P+B (N° Lexbase : A9661I9P) et les obs. de Ch. Radé, L'affirmation du caractère d'ordre public du principe selon lequel la renonciation à la clause de non-concurrence doit intervenir en même temps que la dispense de préavis, Lexbase Hebdo n° 521 du 28 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6329BTL) ; Dr. soc., 2013, p. 455, obs. J. Mouly ; RDT, 2013, p. 326, obs. A. Charbonneau.
Décision
Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-14.080, FS-P+B, sur le troisième moyen (N° Lexbase : A8710KIG) Cassation partielle sans renvoi, CA Poitiers, 14 décembre 2011, n° 10/01227 (N° Lexbase : A2708H8S) Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clés : clause de non-concurrence, renonciation, perte du courrier de renonciation Liens base : (N° Lexbase : E8734ESB) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:438165