Lexbase Social n°537 du 25 juillet 2013 : Contrat de travail

[Evénement] Co-emploi : à la recherche d'un employeur ou d'un payeur ? Compte rendu du colloque d'Avosial du 25 juin 2013 et questions à Maître Joël Grangé, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats

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[Evénement] Co-emploi : à la recherche d'un employeur ou d'un payeur ? Compte rendu du colloque d'Avosial du 25 juin 2013 et questions à Maître Joël Grangé, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8951806-evenementcoemploialarecherchedunemployeuroudunpayeurcompterenduducolloquedavosialdu2
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 25 Juillet 2013

Avosial a tenu, le mardi 25 juin 2013, un colloque dédié au co-emploi, notion créée de toute pièce par les juges, dont il est de plus en plus question aujourd'hui, notamment dans un contexte de procédures collectives. Ce colloque s'est déroulé sous la présidence de Hubert Flichy et en partenariat avec l'Ecole Hautes Etudes Appliquées du Droit (HEAD), l'Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne ainsi que l'Ecole de droit de la Sorbonne. Lexbase Hebdo - édition sociale y assistait et vous propose un compte rendu de ce colloque. Pour apporter davantage d'éclaircissement sur la notion de co-emploi, les éditions Lexbase ont également rencontré Maître Joël Grangé, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats. Soulignant l'étendue de cette notion, qui touche tous les aspects du droit du travail, et son extension à des domaines tels que le droit de la protection sociale, les différents intervenants sont revenus sur ses implications et ses conséquences.

I - Co-emploi : l'état du droit et de la jurisprudence

Selon Gilles Dedessus Le Moustier, Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Rennes, la théorie du co-emploi est un phénomène ancien et connu. Il a rappelé que cette technique juridique est apparue dès les années 1960 dans des hypothèses de mise à disposition, d'intermédiation, d'imbrication d'activités ou encore de mobilité intragroupe. Relancée en 2007 avec l'affaire "Aspocomp" (1), concernant un licenciement collectif pour motif économique, il a mis en garde les groupes contre le risque d'application extensive de cette notion, déjà constaté dans le domaine de la reconnaissance d'une faute inexcusable et de la négociation annuelle obligatoire.

Pierre Bailly, Conseiller Doyen à la Chambre sociale de la Cour de cassation, est revenu sur la définition et les critères du co-emploi. Il a souligné que cette notion était retenue lorsque la disparition de l'autonomie effective d'une filiale était constatée, notamment dans le cadre de la gestion et de la direction de son personnel. C'est la confusion des intérêts, des activités et de la direction qui est retenue pour déterminer le co-emploi, sans qu'un de ces critères ne soit prépondérant (2).

Le co-emploi était une création prétorienne souligne François-Xavier Lucas, Professeur de droit à l'Ecole de droit de la Sorbonne et Co-directeur du centre de recherches Sorbonne Affaires. Pour ce dernier, cela était en quelque sorte "la rançon de l'insuffisance du droit des groupes en droit français". Il a appelé de ses voeux une réflexion pour des instruments législatifs plus adaptés, précisant qu'il était regrettable qu'une telle construction, qui a une influence sur les sociétés et les stratégies d'investissement dans notre pays, puisse être le fait du juge. Cela participe, selon lui, d'une ambiance peu favorable à l'investissement.

Il a clairement émis le souhait d'une réponse sur le plan politique et parlementaire, précisant que le co-emploi devait être le fait de la loi.

II - Co-emploi : une notion aux suites incertaines

Pour Jacques Savoie, Chef de cabinet de Thierry Météyé (Directeur national de l'AGS), le co-emploi est une opportunité pour l'AGS, qui n'hésite plus à rechercher la condamnation de la société mère, en qualité de co-employeur, pour obtenir le remboursement des avances qu'elle a consenties dans le cadre d'une procédure collective et indemniser le préjudice subi par les salariés dont le licenciement est contesté. Justifiant du versement annuel d'environ 200 millions d'euros de dommages-intérêts, soit 10 % des avances réalisées, l'AGS trouve ainsi dans la théorie du co-emploi le moyen d'atteindre un débiteur solvable.

Maître Laurence Dumure Lambert, Avocat, Mayer Brown, a, quant à elle, souligné que la définition de l'employeur était bouleversée par cette récente évolution de la notion de co-emploi, qui consiste en une extension toujours plus grande du périmètre de l'entreprise. Elle a, par exemple, indiqué qu'une société mère qui aide sa filiale à financer un PSE peut se voir reprocher une attitude de co-employeur, ce qui peut être également le cas en présence de dirigeants communs dans un groupe. Or, elle a rappelé qu'on ne peut pas reprocher à une société mère de prendre des orientations stratégiques pour ses filiales et a insisté sur le fait qu'il ne faut pas assimiler subordination économique et subordination juridique. Selon elle, le co-emploi doit être réservé à des situations exceptionnelles d'immixtion anormale d'une société dans une autre.

Enfin, Maître Laurence Dumure Lambert a déploré que le co-emploi se résume encore trop souvent à trouver une entreprise solvable pour prendre en charge la dette de la filiale insolvable, notamment dans le cadre d'une procédure collective, considérant qu'il ne s'agit certainement pas là du bon outil pour régler ce problème.

Maître Joël Grangé, Avocat, Flichy Grangé Avocats a précisé qu'il ne s'agissait pas de remettre en cause la notion de groupe, mais bien de tenter de traiter une sorte de "pathologie", une intrusion excessive d'une société au sein d'une autre. Il a rappelé que ces phénomènes étaient d'ores et déjà connus en droit des sociétés (avec notamment l'action en confusion de patrimoine, l'action en comblement de passif...). Selon notre intervenant, le co-emploi est d'abord une question de droit des sociétés, et ensuite une question de droit social. Il a rappelé également l'ampleur et l'importance du sujet, qui est une véritable problématique pour tous les groupes. Le droit du licenciement économique est à son sens le creuset de la question, mais cette notion bouleverse, plus généralement, les fondamentaux du droit social.

Il a également rapproché la notion de co-emploi de celle d'unité économique et sociale (UES). Selon lui, tous les critères du co-emploi sont ceux qui sont recherchés pour une unité économique. Mais il manque cependant l'unité sociale, qui n'est pas caractérisée en matière de co-emploi. Il est, par ailleurs, plus facile de combattre la notion d'UES que celle de co-emploi.

In fine, la plupart des acteurs a souligné la nécessité de circonscrire cette notion, dont l'extension pourrait être préjudiciable sur le plan économique si elle n'est pas précisément définie et maîtrisée.


Lexbase : Au cours de ce colloque, les intervenants ont soulevé que la notion de co-emploi est parfois mal définie et maîtrisée. Ne faudrait-il pas abandonner le critère de la triple confusion au profit de la seule confusion sociale à l'instar de ce que préconise, notamment, le Professeur Paul-Henri Antonmattei (3) ? Comment articuler cette notion avec le droit des sociétés ?

Joël Grangé : La proposition de Paul-Henri Antonmattei ne revient-elle pas à considérer qu'en réalité, lorsqu'il y a confusion sociale, n'est-ce pas finalement que le co-employeur qui donne directement des ordres à une collectivité de salariés qui travaille à son service et donc un retour au lien de subordination ?

La problématique actuelle concernant le co-emploi est qu'il est très difficile de bien cerner la frontière entre la communauté d'intérêt, inhérente à l'existence d'un groupe de société, consacrée depuis longtemps par le législateur et admise par la jurisprudence, de la confusion d'intérêt. Il en est, de même, de la confusion de direction et de la reconnaissance qu'au sein d'un groupe, la société mère exerce une influence dominante. Or, lorsque la question est posée, il est évidemment tentant pour les juges de considérer que l'exercice de l'influence par la société mère, qui se traduit notamment par la désignation des dirigeants, devient une immixtion dans la gestion de la filiale. Quant à l'articulation avec le droit des sociétés, il est vrai que, ni l'action en confusion de patrimoine, ni l'action en comblement de passif ne se confondent avec la notion de co-emploi, ce qui crée des situations curieuses.

Lexbase : Vous énonciez, au cours du colloque, que "le droit du licenciement économique a été le creuset de la question du co-emploi". La profonde modification du licenciement économique instaurée par la loi de sécurisation de l'emploi va t-elle avoir un impact sur la notion de co-emploi (4) ?

Joël Grangé : Sur le plan des principes, il ne devrait pas y avoir de changement majeur. Un salarié pourra toujours tenter de faire reconnaître un co-emploi devant le conseil de prud'hommes.

Dans le cadre de son contrôle des PSE, l'administration et la jurisprudence ont toujours exigé la prise en compte de l'appartenance à un groupe. Sur le contenu du PSE, la qualité de société mère ou de co-employeur ne change pas grand-chose sauf en ce qui concerne le financement direct du PSE en cas de dépôt de bilan. Nous pensons alors que l'administration voudra contrôler précisément l'existence ou non d'un co-emploi avec une société solvable.

Pour le surplus, dans sa circulaire concernant le licenciement des salariés protégés (circulaire DGT n° 07-2012 du 30 juillet 2012 N° Lexbase : L9088ITR), le ministère du Travail invite déjà les inspections, lorsqu'elle contrôle la réalité du motif économique invoqué à l'appui du licenciement d'un salarié protégé, à vérifier, en cas de cessation d'activité de l'entreprise, "qu'il n'existe pas, en réalité, à l'égard des salarié qu'elle occupe, une situation de co-emploi de la filiale concernée par la cessation d'activité du groupe, représenté par sa société mère, auquel elle appartient". C'est donc bien une notion consacrée à la fois par l'administration et les juges.

Lexbase : Ne faudrait-il également pas reconfigurer les institutions représentatives du personnel en cas de co-emploi ?

Joël Grangé : Cela pourrait apparaître une conséquence logique du co-emploi : à partir du moment où il y a confusion d'intérêt, de direction et d'activité, il serait logique d'avoir des instances communes aux co-employeurs.

Cela pose cependant une série de difficultés : que faire des instances en place ? Suffit-il qu'un salarié ait obtenu la reconnaissance de co-employeur pour être opposable aux autres salariés et aux organisations syndicales ?

Il existe déjà une notion d'unité économique et sociale pour considérer que des institutions représentatives du personnel communes à plusieurs sociétés doivent être mises en place. Il serait prudent de conserver l'édifice connu plutôt que d'en construire un autre ; et surtout les juges devraient s'interroger, me semble-t-il, sur la possibilité de reconnaître un co-emploi alors que les partenaires sociaux n'ont même pas voulu consacrer une unité économique et sociale ou n'ont pas saisi le juge de cette question.

Nous sommes ici sur un terrain qui reste à explorer... ou j'espère à stabiliser.


(1) Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-42.551, FS-P+B (N° Lexbase : A8680DWE).
(2) Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2851GQN) ; v. les obs. de G. Auzero, Coemployeurs : qualification et effets sur la validité des licenciements économiques, Lexbase Hebdo n° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3365BR3).
(3) P-H. Antonmattei, Groupe de sociétés : la menace du co-employeur se confirme !, SSL, 21 mars 2011, p. 12 ; v. également sur la question, P. Morvan, Le licenciement des salariés d'une filiale (action Aspocom) entre employeur et co- employeurs, JCP éd. S, 2010, 1407.
(4) Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU) ; v. les obs. de S. Tournaux, Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif, Lexbase Hebdo n° 535 du 11 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7934BTZ).

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