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par Arnaud Chastel, Associé, Landwell et Associés et Alexia Abouth, Master II Fiscalité de l'entreprise, Université Paris Dauphine
le 23 Mai 2013
Selon cette dernière, le phénomène créerait encore chaque année plus de 1 000 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales au niveau européen. Les dirigeants ont donc érigé la lutte contre l'évasion fiscale en fer de lance de leur politique fiscale.
En dépit de l'actualité brûlante de ce phénomène très médiatisé (Google, Amazon, Starbucks), il reste difficile de définir la notion d'évasion fiscale internationale. Aucune définition formelle, ni internationale, ni au niveau des législations internes, n'a été formulée. C'est pourquoi ce phénomène doit nécessairement être appréhendé par comparaison avec des notions existantes, qui ont déjà été définies, telles que l'optimisation et la fraude fiscales.
Alors que l'optimisation fiscale fait appel à l'habileté fiscale des contribuables à tirer le meilleur parti des lois existantes afin de réduire leurs impôts en toute légalité, la fraude fiscale, elle, se caractérise notamment par le détournement illégal d'un système fiscal afin de réduire l'impôt. Si ces pratiques semblent converger vers la recherche d'une réduction de la charge fiscale, elles semblent diverger sur leur légalité.
Dans ce contexte, où se place l'évasion fiscale ? Alors que les contours de la notion d'évasion fiscale internationale semblent se dessiner dans l'espace et le temps (I), c'est le rapport OCDE de février 2013 qui fixe de nouvelles limites aux entreprises (II).
I - Les contours de l'évasion fiscale internationale : positionnement dans l'espace et dans le temps
Les contours de l'évasion fiscale internationale s'analysent par référence à d'autres notions. L'évasion fiscale est une pratique encadrée dans l'espace par l'optimisation fiscale, d'une part, et la fraude fiscale, d'autre part (A). Les concepts relatifs à cette pratique ont été définis dans le temps, successivement par l'Union européenne et par l'OCDE (B).
A - L'évasion fiscale : une pratique encadrée dans l'espace
Avec la libéralisation des échanges, il devient de plus en plus facile pour une entreprise de se développer au-delà des frontières nationales.
L'attrait économique d'un pays dépend de plusieurs facteurs, notamment de la stabilité politique, des compétences adéquates, ou encore des infrastructures adaptées... Afin d'attirer les investissements directs étrangers, les Etats ayant un contexte économique similaire n'ont d'autres choix que de se démarquer en proposant des avantages particuliers, notamment une fiscalité attrayante, et en particulier des taux d'imposition plus bas, et une assiette réduite.
Cette concurrence fiscale entre les Etats est une pratique normale, qui émane de la souveraineté étatique : chaque Etat dispose du pouvoir souverain de prendre les mesures fiscales qu'il juge nécessaires pour dégager des recettes permettant de couvrir ses dépenses publiques, d'une part, et d'améliorer son attractivité, d'autre part.
Dans ce cadre, les entreprises peuvent pratiquer le jeu de la concurrence fiscale par le biais de l'optimisation fiscale. Par une décision datant du 22 novembre 2012 (2), la cour administrative d'appel de Versailles vient confirmer le principe posé par le Conseil d'Etat en 1984, selon lequel le choix de la solution fiscalement la plus avantageuse ne constitue pas, par lui-même, un abus de droit, dès lors que l'opération a une substance économique et juridique, et qu'il n'y a pas eu de dissimulation de l'opération ayant permis au contribuable de bénéficier du régime fiscal favorable. Ainsi, l'optimisation fiscale constitue une pratique légitime des entreprises, dictée par un objectif de compétitivité.
Pour une entreprise, être compétitive implique de vendre les meilleurs produits au meilleur prix, afin d'optimiser ses bénéfices et par conséquent la valeur patrimoniale pour l'actionnaire. Nous comprenons alors que les investissements doivent être réalisés là où les perspectives de rentabilité sont les meilleures. L'impôt étant un des facteurs de rentabilité, il influe sur le choix du pays et des modalités de l'investissement : les multinationales auront alors tendance à exercer leurs activités dans les pays où elles seront les moins taxées, et les pays dans lesquels les possibilités de déduction sont les plus importantes. Des stratégies spécifiques peuvent également être employées pour tirer profit de dispositifs fiscaux locaux existants, comme par exemple les crédits d'impôt, les reports des déficits, les amortissements d'actifs incorporels (marques, brevets...). Plus subtilement, s'est développée depuis plusieurs années la pratique des doubles déductions ("double dip") fiscales, consistant à déduire deux fois la même charge fiscale. Voici la logique des entreprises qui se veulent compétitives.
Cette optimisation fiscale est une pratique fiscale qui va dans le sens de la concurrence fiscale loyale entre les entreprises et entre les Etats, et qui ne va pas à l'encontre de l'esprit des législations fiscales, dans la mesure où le partage des profits entre les différents pays correspond à une réalité économique. En effet, les entreprises multinationales qui ont de tels comportements fiscaux respectent bien les obligations juridiques en vigueur dans leur pays : elles déclarent et paient l'impôt auquel elles sont soumises, mais tentent, par des pratiques licites, de minimiser cette charge fiscale afin de rester dans la concurrence fiscale et avoir un taux effectif d'imposition compétitif. L'optimisation fiscale constituerait alors ce que l'on va appeler la "zone blanche" pour les entreprises, autrement dit une pratique permise.
A l'opposé de cette pratique, la fraude fiscale constitue un comportement illégal, constitutif d'une limite à cette optimisation fiscale, sous peine de sanction pénale. Nous pourrons la qualifier de "zone noire", ou zone interdite. Les pratiques d'optimisation et de fraude fiscales constituent donc des comportements extrêmes.
Les autorités publiques ont, depuis longtemps, admis qu'il existe des limites constitutives d'abus de droit, étant plus l'exception que la règle : la fraude fiscale, mais également la planification fiscale agressive (notion voisine de l'abus de droit fiscal), constituent des limites à ne pas franchir.
L'évasion fiscale ou planification fiscale agressive constitue, elle, un comportement intermédiaire, que l'on pourrait situer dans ce que l'on va appeler la "zone grise". En effet, avec l'ouverture des marchés, les pratiques fiscales des entreprises multinationales se sont faites plus agressives au fil du temps. Les entreprises utilisent désormais des structures de plus en plus sophistiquées, qui peuvent aboutir, dans certains cas seulement, à des montages artificiels mis en place essentiellement dans un but fiscal, et en déconnection avec la réalité économique. Bien que techniquement parlant, ces stratégies puissent être, a priori, licites, elles vont, dans certains cas, à l'encontre de la responsabilité sociale des entreprises, et de l'esprit de la législation nationale. Ce sont principalement les multinationales qui exercent leurs activités à l'international et qui ont accès à des compétences fiscales sophistiquées, qui peuvent mettre ces pratiques de planification fiscale agressive en oeuvre, et jouir d'avantages concurrentiels non négligeables, par rapport aux entreprises exerçant principalement à l'échelle nationale. A terme, ce type de planification fiscale agressive, déconnectée de la réalité économique, porterait atteinte à l'équité du système social. Ainsi, ces structures pourraient contribuer à créer une concurrence fiscale qualifiée de dommageable par l'OCDE et l'Union européenne. L'un des principaux enjeux dans la pratique de l'optimisation fiscale par les entreprises est donc de faire en sorte que l'impôt ne fausse pas la concurrence et l'investissement au sein de chaque pays.
Au regard des difficultés pour tracer précisément la ligne de démarcation entre ce qui est agressif et ce qui ne l'est pas, les dispositions en matière de lutte contre l'évasion fiscale prévues par la législation nationale et les conventions fiscales constituent le critère permettant de décider si une stratégie doit être mise en oeuvre (du point de vue du contribuable), ou doit être contestée (du point de vue des autorités fiscales).
B - Des concepts définis dans le temps
Les travaux relatifs à la concurrence fiscale dommageable ont débuté en 1997, lorsque l'Union européenne a adopté un Code de conduite (3) destiné aux entreprises industrielles et commerciales, afin d'identifier les régimes fiscaux dommageables. Les Etats de l'Union européenne se sont engagés à mettre fin aux régimes fiscaux dommageables qui existaient (démantèlement) et à ne pas en créer de nouveaux (gel). De son côté, l'OCDE a publié un rapport sur la concurrence fiscale dommageable en 1998 (4), dans lequel elle traite des pratiques fiscales dommageables qui prennent la forme soit de paradis fiscaux, soit de régimes fiscaux préférentiels dommageables.
En effet, une grande partie des pratiques d'évasion fiscale passe par l'usage de paradis fiscaux, ou du moins de pays à fiscalité privilégiée. L'OCDE définit les paradis fiscaux comme étant des régimes ayant un taux d'imposition minime ou inexistant, une faiblesse des activités économiques locales, une opacité des règles fiscales, ainsi qu'une absence d'échange d'informations avec les autres administrations fiscales. Ainsi, très tôt, l'OCDE a mis l'accent sur l'importance de la coopération entre les différents Etats, et donc sur l'échange d'informations.
A partir de 2000, l'OCDE a établi des listes de paradis fiscaux : une première liste comprenait 35 juridictions. La méthode préconisée reposait sur une démarche incitative, plutôt que répressive, vis-à-vis des paradis fiscaux, invitant ces derniers à prendre un engagement formel de mettre en oeuvre les standards de l'OCDE, en matière de transparence et d'échange d'informations. N'ayant que partiellement rempli ses objectifs, cette méthode laissait subsister des Etats non coopératifs.
C'est dans ce contexte que la France a agi au sein des instances de l'OCDE, mais aussi du G 20, afin de faire progresser les pays les moins coopératifs. Elle a mis en place des dispositifs internes destinés à prévenir ou sanctionner les abus. L'article L. 13 B du CGI (N° Lexbase : L3346IGZ) en est une illustration. Il créé, notamment, une obligation pour les entreprises d'établir une documentation destinée à l'administration fiscale, en matière de détermination des prix de transfert pratiqués entre parties liées. Une autre mesure, également relative aux prix de transfert, concerne les transactions avec les Etats et territoires non coopératifs (5) (ETNC). Le renforcement des dispositifs anti-évasion, le durcissement du montant des retenues à la source sur dividendes et redevances, la privation du bénéfice du régime mère-fille, tels sont quelques-uns des effets provoqués par l'inscription d'un Etat sur la liste des ETNC.
C'est sous l'effet d'une mondialisation accrue que la priorité a été donnée à l'échange d'informations et la coopération entre les pays. Mais c'est également du fait de cette complexification du marché, du développement de l'économie numérique et des incorporels, que les entreprises ont développé des pratiques de planification fiscale agressive. Profitant de la complexité du marché, les entreprises créent des structures de plus en plus sophistiquées, et profitent des failles existant entre les différents systèmes fiscaux nationaux, pour se créer des opportunités d'évitement de l'impôt.
C'est à partir de 2008 que l'OCDE s'intéresse à ces pratiques, et émet plusieurs rapports (6) destinés à mettre en avant les interactions existant entre les différents systèmes fiscaux nationaux. Ces interactions sont susceptibles d'entraîner des chevauchements qui peuvent soit déboucher sur une double imposition, soit à créer des failles débouchant sur une double exonération. Alors que certaines multinationales pressent les Etats pour élaborer des conventions fiscales internationales permettant de limiter la double imposition, certaines d'entre elles essaient de tirer profit de ces différences quand elles leur donnent la possibilité d'échapper à l'impôt par des doubles exonérations.
Dans un monde où les économies sont de plus en plus intégrées, les systèmes fiscaux conçus isolément sont rarement harmonisés les uns avec les autres, ce qui ouvre des possibilités d'asymétries dont se nourrit la planification fiscale agressive.
II - Les nouvelles limites à ne pas dépasser
La mondialisation et la financiarisation de l'économie ont ouvert la voie à de nouvelles opportunités d'évasion fiscale. C'est dans ce contexte que l'OCDE a publié son rapport du 13 février 2013, pour identifier les pratiques de planification fiscale agressive, et envisager des moyens supplémentaires pour y remédier (A). Face à ces nouveaux points de tension identifiés, les entreprises doivent faire face à de nouvelles règles du jeu (B).
A - De nouvelles opportunités d'évasion fiscale pointées du doigt par l'OCDE...
Il est pris acte dans un premier temps que les règlementations nationales et internationales n'ont pas évolué à la même vitesse que l'environnement économique, en particulier dans le domaine des biens incorporels et de l'économie numérique en développement. Par exemple, il est aujourd'hui possible d'être fortement impliqué dans la vie économique d'un autre pays, c'est-à-dire de traiter avec des clients situés dans ce pays par le biais d'internet, sans y avoir d'implantation imposable, dans la mesure où les principes et les concepts de partage entre les pays des droits à imposer les bénéfices (ex : établissements stables...) ne sont plus adaptés. L'environnement actuel des contribuables se distingue ainsi par l'importance croissante de la propriété intellectuelle en tant que déterminant de la valeur, et par l'évolution constante de l'économie numérique. Dans ce contexte, l'OCDE a pointé du doigt des mécanismes susceptibles de concourir à des méthodes de planification agressive : elle identifie dans son rapport de février 2013 des nouveaux points de tension.
Le premier point de tension concerne la problématique majeure des prix de transfert pratiqués entre les entreprises liées. En effet, la majoration ou la minoration du prix de vente ou d'achat des marchandises, l'instauration d'un circuit artificiel de facturation de marchandises, ou encore le versement de redevances excessives, constituent autant de moyens pour les entreprises de transférer du bénéfice là où il sera le plus favorablement taxé. Ainsi, l'Union européenne détermine une référence en matière de prix de transfert : le prix de pleine concurrence (7). Elle préconise également l'application de méthodes de détermination de prix de transfert plus adaptées à l'environnement économique et numérique.
La législation française, de son côté, a créé et adapté ses dispositifs anti-évasion fiscale. L'article 57 du CGI (N° Lexbase : L3365IGQ) sanctionne les transferts indirects de bénéfices à l'étranger, en réintégrant les bénéfices transférés dans le résultat imposable de la société qui a opéré le transfert. De même, l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9422IT7) sanctionne les transactions avec des pays à fiscalité privilégiée (8), en imposant en France les bénéfices réalisés dans ces pays, lorsque les opérations concernées ont pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un paradis fiscal. Néanmoins, rappelons qu'afin de prévenir tout risque de remise en cause des prix de transfert par l'administration fiscale, les entreprises peuvent conclure un accord préalable de prix de transfert avec les administrations fiscales des pays concernés. C'est donc à l'avocat fiscaliste d'informer l'entreprise de la méthode de détermination des prix de transfert la mieux adaptée à la situation, et de la possibilité de conclure un accord préalable avec l'administration fiscale.
Un deuxième point d'attention a été identifié comme majeur dans le rapport de l'OCDE de février 2013. Il s'agit de la problématique relative aux dispositifs hybrides. Cette question existe dans la mesure où la plupart des pays font une distinction fondamentale entre le traitement fiscal des emprunts et celui des capitaux propres. L'emprunt est rémunéré par des intérêts, qui, sous certaines conditions, sont déductibles. En revanche, la rémunération versée aux actionnaires sous forme de dividendes n'est généralement pas déductible. Néanmoins, les dividendes reçus sont exonérés d'impôt dans le cadre d'un régime mère-fille (sous réserve de la réintégration d'une quote-part de frais et charges égale à 5 % du montant des dividendes). Cela peut contribuer à favoriser les tentatives pour définir certains paiements comme des intérêts déductibles dans le pays du débiteur et comme des dividendes exonérés dans le pays du bénéficiaire.
Tel est le cas dans des schémas d'évasion fiscale utilisant des instruments financiers hybrides. Ceux-ci présentent à la fois des caractéristiques propres à des dettes et à des capitaux propres. Par exemple, une entreprise est située dans le pays A et souscrit des instruments financiers émis par une entreprise située dans le pays B. Selon la législation fiscale du pays A, l'instrument est considéré comme un instrument de capitaux propres, tandis que dans le pays B, il est considéré à des fins fiscales comme un instrument de dette. Les paiements correspondants sont considérés comme des dépenses d'intérêts déductibles pour l'entreprise du pays B, tandis que les recettes correspondantes sont considérées comme des dividendes dans le pays A et sont donc exonérées, en application du régime mère-fille.
Les règles actuelles, dès lors, encouragent les entreprises à privilégier un financement par l'endettement plutôt que sur fonds propres. Dans un groupe, faire porter l'endettement sur les sociétés fortement imposées au moyen d'un financement intragroupe constitue un moyen très simple de réaliser des économies d'impôts.
Face à ces constats, l'OCDE a proposé de mettre en place des règles destinées à lutter contre les montages hybrides, qui lient le traitement fiscal national au traitement fiscal dans un pays étranger, afin de supprimer les possibilités d'asymétries.
B - ...qui conduisent vers de nouvelles règles du jeu pour les entreprises
Face à ces dispositifs restrictifs contre l'évasion fiscale internationale, les entreprises doivent faire face à de nouvelles règles du jeu. Elles doivent agir dans les limites fixées par les instances nationales et internationales. Ces nouvelles règles du jeu restreignent donc le champ d'action des entreprises.
Cependant, il ne faut pas oublier que l'article 209 B du CGI, concernant les bénéfices réalisés dans des pays à fiscalité privilégiée, crée certes une sanction (la réintégration de la part des bénéfices transférés indirectement à l'étranger), mais il prévoit aussi des clauses de sauvegarde communautaires : il est prévu que si le pays à fiscalité privilégiée est établi dans l'Union européenne, l'article 209 B du CGI ne s'applique pas, sous réserve que le contribuable montre que l'opération n'est pas constitutive d'un montage artificiel. Cette notion de montage artificiel doit alors s'apprécier au regard de critères objectifs : réalité de l'opération et substance économique (9). Ainsi, l'avocat fiscaliste qui sera à même de cerner les contours de l'évasion fiscale au regard de ces dispositifs anti-abus devra conseiller le contribuable de manière à ce qu'il n'établisse pas un schéma constitutif d'un montage artificiel créé dans un but exclusivement fiscal.
De même, la clause de sauvegarde non communautaire présume l'inapplicabilité de l'article 209 B du CGI si le contribuable prouve que l'activité réalisée dans le pays à fiscalité privilégiée est une "activité industrielle et commerciale effective".
Enfin, nous ne pouvons nous empêcher de constater qu'il est de plus en plus fréquent pour les grands groupes internationaux de recourir à des schémas faisant intervenir des sociétés de financement belges. Les holdings belges bénéficient en effet d'un régime fiscal attrayant, dans la mesure où il permet, entre autres, la déduction d'intérêts notionnels. Néanmoins, là encore, le schéma pourra être remis en cause par l'administration fiscale s'il est constitutif d'un montage artificiel créé dans un but exclusivement fiscal. La société belge devra donc avoir une substance, c'est-à-dire du personnel compétent et affecté à l'activité, des moyens en matériel... Le recours aux sociétés belges, ou encore luxembourgeoises et néerlandaises, qui bénéficient de régimes fiscaux attrayants, doit pouvoir se justifier, non par des objectifs d'évitement de l'impôt, mais par des intérêts économiques, c'est-à-dire par un objet autre que celui de permettre l'optimisation fiscale.
Face à l'évasion fiscale qui s'est développée depuis plusieurs années, nous pouvons comprendre que les Etats, sous l'impulsion de l'OCDE ou de l'Union européenne, cherchent à mettre en place des dispositifs législatifs plus contraignants pour les entreprises.
De leur côté, les entreprises doivent continuer à gérer de façon optimale leurs actifs pour rester compétitive dans un environnement international.
Il nous semble que ces deux positions restent tout à fait compatibles si les décisions des entreprises restent guidées par des choix économiques correspondant à une réalité. En d'autres termes, "l'empreinte fiscale" d'une entreprise, c'est-à-dire sa capacité contributive locale dans un Etat, ne peut dépendre que de son empreinte économique et de la substance juridique dont elle dispose localement. Si le but d'une opération est essentiellement fiscal et purement artificiel, elle devient contestable. Si, au contraire, malgré le gain fiscal (dans certains cas), l'opération correspond à une réalité juridique et économique, elle est alors acceptable.
Dans tous les cas, les entreprises doivent désormais (si elles ne l'ont pas déjà anticipé) intégrer dans leur politique fiscale, la volonté de l'OCDE et du G20 "d'améliorer la discipline fiscale, condition sine que non à l'instauration d'un environnement fiscal équitable". Cela conduira, de notre point de vue, le fiscaliste interne ou externe, à prendre une place plus importante dans l'entreprise, dans la prise de décisions stratégiques et opérationnelles. Son rôle se trouvera ainsi renforcé.
(1) Rapport OCDE (2013), "Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices" (lire N° Lexbase : N5804BT7).
(2) CAA Versailles, 6ème chambre, 22 novembre 2012, n°10VE03850, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6343IZX).
(3) Conclusions du Conseil des ministres de l'économie et des finances (ECOFIN) du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale (98/C, 2/01).
(4) Rapport OCDE, "Concurrence fiscale dommageable - un problème mondial", avril 1998.
(5) Un Etat ou territoire est qualifié de non coopératif au 1er janvier 2010 si trois conditions cumulatives sont réunies : il n'est pas membre de la Communauté européenne, il a fait l'objet d'une évaluation par OCDE en matière d'échange d'informations à des fins fiscales, il n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze autres Etats ou territoires une telle convention.
(6) Rapport OCDE, "Dispositifs Hybrides - Questions de politique et de disciplines fiscales", mars 2012 (lire N° Lexbase : N0760BTC).
Rapport OCDE, "Pertes d'entreprises et planification fiscale agressive", août 2011 (lire N° Lexbase : N7532BSR).
(7) Le prix de pleine concurrence correspond au prix qui aurait été pratiqué par des entreprises indépendantes, dans des conditions comparables, sur la base d'une analyse de comparabilité des éléments économiquement significatifs de la transaction : activités et responsabilités exercées, actifs utilisés, risques assumés par les parties.
(8) "Un régime fiscal est considéré comme privilégié dès lors que le montant des impôts sur les bénéfices ou sur les revenus auxquels est soumise la structure est inférieur de plus de la moitié à celui dont elle aurait été redevable en France dans les conditions de droit commun" (CGI, art. 238 A N° Lexbase : L3230IGQ).
(9) CJCE, Grande chambre, 12 septembre 2006, aff. C-196/04 (N° Lexbase : A9641DQ7).
Les opinions exprimées dans l'article sont les opinions personnelles des auteurs et ne sauraient en aucun cas engager leur employeur.
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