Lexbase Fiscal n°527 du 16 mai 2013 : Fiscalité internationale

[Questions à...] France - Danemark : des relations fiscales pas très conventionnelles - Questions à Maximilien Jazani, Managing Partner, Manswell

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[Questions à...] France - Danemark : des relations fiscales pas très conventionnelles - Questions à Maximilien Jazani, Managing Partner, Manswell. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8209250-questions-a-france-danemark-des-relations-fiscales-pas-tres-conventionnelles-questions-a-maximilien-
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 16 Mai 2013

Le 1er janvier 2009, la dénonciation, opérée par le Danemark, de la Convention fiscale que cet Etat avait signée avec la France, le 8 février 1957 (N° Lexbase : L6684BHZ), a pris effet. Cette Convention, qui était basée sur le modèle mis en place par l'OCDE, n'a donc plus cours aujourd'hui. A notre connaissance, c'est la première fois qu'une telle situation a lieu entre la France et un Etat membre de l'Union européenne. Entre ces deux pays, donc, s'appliquent un échange de lettre datant du 28 février 1930 (N° Lexbase : L7773IT3) et la législation européenne. Chaque Etat applique, en outre, son droit interne. Quelles sont les incidences sur la double imposition entre les deux Etats ? Cette situation est-elle dommageable ? Pour répondre à ces questions, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maximilien Jazani, Managing Partner, Manswell.

Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette dénonciation de la Convention fiscale franco-danoise ?

Maximilien Jazani : La France et le Danemark avaient engagé en 2008 la renégociation de la Convention fiscale qui avait été signée à Paris le 8 février 1957 en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur les revenus et sur la fortune. Le désaccord majeur entre les deux Etats a porté sur le droit exclusif d'imposer les pensions de retraite dans l'Etat de résidence.

En effet, l'article 13 de la Convention stipulait que "Les pensions privées et les rentes viagères provenant d'un des Etats contractants et payées à des personnes ayant leur domicile fiscal [voir l'article 2, paragraphe 4, la définition du 'domicile fiscal'] dans l'autre Etat sont exemptées d'impôt dans le premier Etat".

Or, de nombreux retraités danois du secteur privé choisissaient de venir s'établir en France après être partis à la retraite.

Les autorités danoises se trouvaient face à des cotisations aux régimes de retraite déduites de la base d'impôt sur le revenu des actifs danois qui, une fois partis à la retraite et établis en France en tant que résidents, ne payaient pas d'impôt sur le revenu au Danemark à raison des pensions de retraite de source danoise. C'est la raison pour laquelle le Danemark souhaitait pouvoir imposer à la source les pensions de retraite de source danoise.

Il importe de dire que le principe d'imposition exclusive des pensions de retraite dans l'Etat de résidence du bénéficiaire est celle retenue en tant que principe par le modèle OCDE (N° Lexbase : L6769ITU) des conventions fiscales (art. 18), même si les autres modalités, dont l'imposition à la source, sont également décrites dans les commentaires de l'article 18 du modèle OCDE.

La quasi-totalité des conventions fiscales conclues par la France prévoient l'imposition exclusive des pensions de retraite privée dans l'Etat de résidence et les exceptions, comme par exemple la Convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 (N° Lexbase : L5151IEI), sont rares.

Côté français, un motif de fâcherie, dans une moindre mesure, provenait du régime d'imposition des revenus et plus-values immobilières.

En effet, en raison d'une interprétation divergente par les deux Etats des dispositions de la Convention fiscale franco-danoise relatives à l'Etat d'imposition des revenus de biens immobiliers situés en France, ces derniers, lorsqu'ils étaient perçus par une entreprise danoise ne disposant pas d'établissement stable en France, n'étaient pas imposables en France. De plus, la Convention attribuait le droit d'imposer les plus-values sur cession de biens immobiliers situés en France à l'Etat de résidence.

Lexbase : En termes de fiscalité des particuliers, quelle est l'incidence de la dénonciation de la Convention sur la double imposition ?

Maximilien Jazani : La dénonciation de la Convention fiscale ne change pas le régime d'imposition en France des revenus dont l'imposition était déjà attribuée à la France, mais qui pouvaient également être imposés au Danemark ou en France en vertu de la Convention.

En revanche, pour les revenus pour lesquels la Convention fiscale prévoyait une exonération dans l'Etat de source, les non-résidents de chaque Etat vont subir une imposition dans l'Etat de source.

L'administration fiscale française a publié, le 7 août 2010, une instruction destinée à préciser les conséquences de la dénonciation de la convention et a apporté des atténuations aux effets de cette dénonciation (BOI 14-B-2-10 du 29 juillet 2010, repris dans le BoFip - Impôts BOI-INT-CVB-DNK-20120912 N° Lexbase : X6422ALG).

Il convient de préciser au préalable que l'application de certaines dispositions du CGI ou de certains dispositifs doctrinaux est subordonnée à une condition de localisation au sein d'un Etat ayant conclu avec la France une Convention comportant une clause d'assistance administrative permettant de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

L'administration fiscale française a considéré que, "dès lors que la France et le Danemark continuent à se prêter une telle assistance, il est admis de considérer que les conditions requises pour bénéficier de ces dispositions de droit interne sont satisfaites" (BOI-INT-CVB-DNK-20120912, n° 210).

  • Des impositions à la source en France

Un grand nombre de revenus perçus par les non-résidents était exempté de retenue à la source. En l'absence de la Convention, chaque Etat pourra appliquer l'imposition à la source prévue par sa législation.

Il s'agit principalement des revenus suivants :

1. Les redevances versées à des résidents du Danemark vont subir en France la retenue à la source au taux de 33,1/3 %, prévue par l'article 182 B du CGI (N° Lexbase : L0110IWY).

2. Les dividendes versés aux résidents du Danemark vont subir en France la retenue à la source au taux de 21 %.

3. Les revenus des missions temporaires en France d'un salarié d'un établissement situé au Danemark ne comportant qu'un séjour inférieur à douze mois, à la condition, toutefois, que sa rémunération continue à être supportée et payée par ledit établissement danois, jadis exonérés en France, seront soumis aux prélèvements de l'article 182 A du CGI (N° Lexbase : L4651ICA) aux taux de 0 % (s'ils sont inférieurs à 13 170 euros), 12 % (si le montant des revenus se situe entre 13 170 euros et 38 214 euros) et de 20 % (s'ils sont supérieurs à 38 214 euros). Le salarié en question devra également déposer une déclaration de revenus.

4. Les revenus des artistes et sportifs dont la Convention attribuait le droit exclusif d'imposition à l'Etat de résidence sont soumis en France à la retenue à la source de l'article 182 A bis (N° Lexbase : L0112IW3) au taux de 15 %, sur une base constituée par le montant brut des sommes versées après déduction d'un abattement de 10 %.

5. Concernant les plus-values immobilières, alors que la Convention attribuait l'imposition à l'Etat de résidence du cédant, depuis la dénonciation, ces plus-values sur cession de biens immobiliers situés en France sont imposables en France sans restriction, en application des articles 244 bis A du CGI (N° Lexbase : L0108IWW).

6. Enfin, concernant les plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux sur participations dans des sociétés françaises, en l'absence de convention, elles sont imposables en France en vertu de l'article 244 bis B du CGI (N° Lexbase : L0107IWU) (à noter que ce texte s'applique depuis le 1er mars 2010 à l'ensemble des gains de cessions de droits sociaux émis par les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ayant leur siège en France et non plus seulement aux participations supérieures à 25 %).

L'administration fiscale a, toutefois, rappelé que "lorsqu'une personne n'est pas domiciliée fiscalement en France au sens de l'article 4 B du CGI, les revenus de source française qu'elle perçoit ne sont pas soumis aux contributions et prélèvements sociaux sur le territoire français (CSG et CRDS pour les revenus d'activité et de remplacement, CSG, CRDS, prélèvement social de 2 % et contributions additionnelles à ce prélèvement pour les revenus du patrimoine et les produits de placement) [idem voir supra BoFip - Impôts, § 110]". Il convient néanmoins de préciser que, depuis le 18 août 2012, les plus-values sur cession de biens immobiliers situés en France sont soumises auxdits prélèvements sociaux.

  • Crédit d'impôt

Ceci étant dit, afin d'atténuer les effets de la dénonciation, l'administration fiscale française a introduit des possibilités d'imputation de crédit d'impôt qui n'étaient pas prévues par la législation fiscale française.

Pour les revenus de source danoise des résidents de France, l'administration fiscale prévoit que l'impôt prélevé au Danemark sur les revenus de source danoise, autres que les pensions, perçus par les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY) et les personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés en France, soit directement, soit indirectement au prorata des droits détenus dans des sociétés ou groupements relevant des articles 8 (N° Lexbase : L1176ITQ) à 8 ter du CGI et dont le siège social est situé en France, ouvre droit, à compter du 1er janvier 2009, à un crédit d'impôt, sous réserve toutefois que l'impôt danois prélevé à la source soit un impôt comparable à l'impôt dû en France par le contribuable.

Le montant de ce crédit est égal au montant de l'impôt effectivement acquitté au Danemark conformément à la législation danoise sur les revenus concernés. Il est imputable sur l'impôt dû en France au titre desdits revenus majorés du montant de l'impôt prélevé au Danemark, dans la limite de l'impôt français dû au titre de ces revenus.

Dans sa doctrine publiée au BoFip - Impôts précitée, l'administration fiscale française précise les modalités d'application de ce crédit d'impôt dont le mécanisme est dérogatoire du droit commun et plus complexe ; ce qui nécessite de longs développements.

Lexbase : Et pour les entreprises ?

Maximilien Jazani : Pour les entreprises, la première conséquence de la dénonciation est l'absence de protection apportée par l'article 2.3 "Définition de l'établissement stable" et l'article 4 "Bénéfices industriels et commerciaux" de la Convention fiscale.

En effet, en droit interne français, les règles de territorialité de l'impôt sur les sociétés sont fixées par l'article 209-I du CGI (N° Lexbase : L0159IWS), qui dispose que : "Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57, 237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions".

En dehors des cas particuliers de réalisation de plus-value immobilière en France (CGI, art. 164 B N° Lexbase : L3278IGI) et l'attribution à la France du droit d'imposer par une convention fiscale, la disposition susmentionnée, telle qu'interprétée par la jurisprudence fiscale, conduit à soumettre une entreprise à l'impôt sur les sociétés en France en cas d'exploitation en France dans trois cas :

- exploitation dans le cadre d'un établissement autonome ;
- exploitation en l'absence d'un établissement, par l'intermédiaire de représentants sans personnalité professionnelle indépendante ;
- réalisation d'opérations formant un cycle commercial complet.

Les différents critères énumérés ci-dessus ne sont à retenir que dans l'hypothèse, bien entendu, où aucune convention internationale relative aux doubles impositions n'est applicable.

Ainsi, les entreprises danoises qui réalisent en France un cycle commercial complet, même en l'absence d'établissement stable ou d'agent dépendant, peuvent être assujetties à l'impôt sur les sociétés en France.

Par ailleurs, pour les entreprises qui sont propriétaires de biens immobiliers situés en France dont elles retirent des revenus, l'administration fiscale française précise que ces entreprises "entrent dans le champ d'application de l'impôt sur les sociétés français ou qui deviennent pour la première fois redevables de cet impôt doivent établir un bilan fiscal d'ouverture faisant apparaître leurs immeubles pour leur valeur d'origine telle que définie à l'article 38 quinquies de l'Annexe III au CGI. Devront également figurer à ce bilan fiscal les amortissements qui auraient dû être constatés depuis la date d'acquisition de ces immeubles, en application des dispositions du 2° du 1 de l'article 39 du CGI. Enfin, devront également figurer au bilan fiscal d'ouverture les éventuelles provisions afférentes aux biens immobiliers dans les conditions édictées au 5° du 1 de l'article 39 du CGI" (BoFip - Impôts précité, § 100).

Les entreprises françaises qui versent des dividendes et/ou des redevances à des résidents du Danemark devront également s'acquitter des retenues à la source susmentionnées.

Lexbase : Le droit communautaire pallie-t-il certains aspects auparavant traités par la Convention ?

Maximilien Jazani : Tout d'abord, les mesures anti-discriminations et anti-entraves aux libertés d'établissement et de circulation des capitaux et des personnes permettent aux résidents du Danemark de ne pas subir d'entraves à la liberté d'établissement et de circulation des capitaux en France.

Ceci dit, le législateur prend systématiquement des précautions pour éviter que les dispositions du CGI ne soient incompatibles avec les Traités européens.

Ensuite, comme l'administration fiscale française l'a confirmé, les Directives 77/799/CEE, du 19 décembre 1977, relative à l'échange de renseignement (N° Lexbase : L9296AUT), et 76/308/CEE, du 15 mars 1976, relative à l'assistance au recouvrement (N° Lexbase : L9235AUL), restent applicables entre les deux Etats. A compter du 1er janvier 2009, les demandes d'assistance administrative adressées à l'administration danoise seront formulées sur ces fondements.

De même, en matière de correction des bénéfices d'entreprises associées, la Convention européenne d'arbitrage du 23 juillet 1990 (Convention 90/436/CEE), relative aux doubles impositions en cas de corrections des bénéfices des entreprises associées, reste applicable, offrant aux entreprises concernées la garantie d'une élimination des éventuelles doubles impositions.

Lexbase : Selon vous, cette situation démontre-t-elle la nécessité d'une convention fiscale ?

Maximilien Jazani : Oui, ne serait- ce qu'en raison de tous les frottements fiscaux que nous avons vus ci-dessus et surtout dans l'intérêt des entreprises et particulièrement des entreprises danoises qui souhaiteraient investir en France.

L'existence d'une convention fiscale est toujours l'un des critères de choix par les entreprises dans leur plan d'investissement dans un pays étranger et l'absence de convention fiscale avec le Danemark préjudicie à la France de ce point de vue.

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