Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 8 avril 2013, n° 350709, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7205KBH)
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
le 16 Mai 2013
Conformément à son objet, un GEIE réalise, pour le compte de ses membres constitués d'associations et d'organismes à but non lucratif, des travaux de saisie, routage, publipostage, mise sous pli, ce qui leur permet d'optimiser les charges inhérentes à leur exploitation et de réduire leurs coûts. Pour réaliser cette activité, le groupement dispose de moyens d'exploitation et de personnel importants. Il a été assujetti à la taxe professionnelle au titre des années 2005 et 2006.
Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ayant rejeté sa demande de décharge de ces cotisations, le groupement a fait appel de cette décision.
Selon la cour administrative d'appel de Nancy, les opérations réalisées par le groupement caractérisent l'exercice d'une activité professionnelle non salariée au sens de l'article 1447 du CGI (N° Lexbase : L0048HMQ), le rendant passible de la taxe professionnelle, sans qu'y fassent obstacle les circonstances qu'en l'espèce, ses membres ne soient eux-mêmes pas assujettis aux impôts commerciaux et que le groupement facture les prestations de services rendues à ses adhérents à prix coûtant (CAA Nancy, 2ème ch., 12 mai 2011, n° 10NC00417, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4841HS4).
Pour sa part, le Conseil d'Etat considère qu'il se déduit des termes de l'article 1447 du CGI que :
La cour administrative d'appel de Nancy a donc commis une erreur de droit en jugeant que la circonstance que les membres du groupement ne seraient pas eux-mêmes assujettis aux impôts commerciaux du fait du caractère non lucratif de leur activité était sans incidence pour caractériser l'exercice à titre habituel par ce groupement d'une activité professionnelle non salariée. L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
II - Commentaires
A - Les principes
On rappelle, s'il en était besoin, que la taxe professionnelle a été supprimé à compter du 1er janvier 2010 et remplacée par la contribution économique territoriale (CET). La CET est composée d'une cotisation foncière des entreprises (CFE), assise sur la valeur locative des biens passibles de taxe foncière et, le cas échéant, d'une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). S'agissant de la cotisation foncière des entreprises, il y a lieu de considérer que son champ d'application est très proche, pour ne pas dire identique à celui de la taxe professionnelle.
L'article 1447 du CGI, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, dispose que : "La taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée".
B - La doctrine
La documentation administrative relative au champ d'application de la taxe professionnelle (Doc. adm., 6 E-11) est, en substance, la suivante :
- sur la condition tenant au caractère habituel de l'exercice de l'activité, elle est considérée comme satisfaite lorsque les actes qui caractérisent l'activité sont effectués de manière répétitive. Au cas d'espèce, le caractère habituel de l'activité n'est pas contesté ;
- sur le caractère professionnel de l'activité, une activité, même effectuée à titre habituel, ne peut revêtir un caractère professionnel que si elle est exercée dans un but lucratif. Par voie de conséquence, sont placées hors du champ d'application de la taxe, notamment, les activités sans but lucratif ;
- s'agissant des personnes imposables
C - La jurisprudence
La jurisprudence antérieure ou contemporaine aux années 2005 et 2006, qui sont celles des années d'imposition en litige, concerne le plus souvent des groupements qui ont pour objet d'apporter un soutien ou une expertise aux entreprises qui en sont membres.
Le Conseil d'Etat a jugé que devait être assujettie à la taxe professionnelle une association dont les adhérents sont des fédérations professionnelles et syndicales représentatives des entreprises et des salariés du bâtiment et des travaux publics, et qui a pour principale activité de mettre à la disposition des entreprises relevant de ce secteur des programmes audiovisuels destinés à la formation des salariés, des films techniques, des véhicules, dits "unités mobiles de formation", spécialement conçus pour la réalisation de stages de formation près des lieux de travail. Les magistrats ont considéré, en effet, que, par la location, la vente ou le prêt, selon le cas, de ces matériels, l'association offre des prestations de même nature que celles qui pourraient être fournies par des entreprises commerciales ; que, tant en raison de sa nature que de celle des entreprises auxquelles elle s'adresse, qui utilisent ses services pour les besoins de leur exploitation, l'activité de ladite association revêt un caractère lucratif, alors même qu'elle ne ferait aucune publicité, qu'elle n'aurait pas pour objet propre de réaliser des excédents et que ses dirigeants ne bénéficiaient d'aucune rémunération (CE 9° et 8° s-s-r., 15 avril 1991, n° 77075 et n° 77076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8956AQR).
A également été jugé passible de la taxe professionnelle, un organisme constitué sous la forme d'une "association-loi 1901" :
Dans le même sens, exerce une activité à caractère professionnel et donc passible de la taxe professionnelle, une association qui a pour objet de mettre en commun tous moyens de traitement automatisé de l'information, de procéder à toutes études préalables et de réaliser à la demande des caisses mutuelles de réassurances agricoles qui en sont les membres tous travaux informatiques nécessaires à l'accomplissement de leur mission.
En effet, l'association poursuit une activité qui peut être regardée comme s'intégrant à celle de ses membres. Par ailleurs, elle satisfait à des besoins qui ne sont pas insuffisamment couverts par des entreprises ou établissements privés ayant la même activité. Enfin, la circonstance que le centre informatique ne s'adresse qu'à une clientèle uniquement constituée d'organismes à but non lucratif n'est pas de nature à le rendre non imposable à la taxe professionnelle (CAA Nantes, 25 avril 1990, n° 89NT01258, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8030A8W).
A également été jugé imposable à la taxe professionnelle, un GIE dont la gestion présente un caractère désintéressé, et qui a pour objet la commercialisation de produits courants fabriqués par des personnes handicapées travaillant dans des centres d'aide par le travail gérés par des organismes membres du groupement.
Le GIE doit être regardé comme exerçant une activité professionnelle lucrative dès lors qu'il :
et même si :
La circonstance que les acheteurs des produits seraient motivés par la nécessité, faute d'employer des handicapés, de s'acquitter de leur obligation légale en passant des contrats de fournitures avec des ateliers protégés ou des centres d'aide par le travail, ne suffit pas pour considérer que le groupement n'entrerait pas en concurrence avec des entreprises ordinaires commercialisant des produits comparables (CAA Nantes, 1ère ch., 10 avril 2002, n° 98NT00310, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5235AZW).
Par une décision du 17 avril 2008, le Conseil d'Etat a jugé que le groupement d'intérêt économique qui gère un parc de matériels informatiques mis à la disposition de ses membres, ne peut être regardé comme exerçant une activité sans but lucratif placée hors du champ d'application des dispositions de l'article 1447 du CGI, dès lors que ce GIE fournit ainsi aux organismes qui le constituent des prestations qui leur donnent la possibilité de réduire les charges inhérentes à leur exploitation. Cette position a été prise bien que le GIE ait fait valoir que les membres qui le constituent sont principalement des organismes à but non lucratif (CE 9° et 10° s-s-r., 17 avril 2008, n° 294359, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6511D8N).
Ces deux dernières décisions sont particulièrement intéressantes dans la mesure où elles sont postérieures à l'instruction de l'administration fiscale du 15 septembre 1998 (BOI 4 H-5-98 N° Lexbase : X0387AAL), définissant les nouveaux critères à prendre en compte pour apprécier si une association, et plus généralement un organisme sans but lucratif, peut ne pas être soumise aux impôts commerciaux, étant observé que cette nouvelle doctrine a été consacrée par la jurisprudence.
D - Conjectures
La décision du Conseil d'Etat concernant le GEIE marque-t-elle un revirement par rapport à celle de l'arrêt GIE évoqué supra, à moins que cette différence de traitement tienne simplement au fait que les membres du GIE étaient principalement des organismes à but non lucratif, autrement dit que certains d'entre eux avaient un but lucratif ?
Faut-il considérer que le régime fiscal d'un groupement doit être apprécié uniquement au regard de celui de ses membres et non en raison de sa situation intrinsèque ? Il n'est pas certain qu'une telle manière de voir puisse être envisagée en matière de TVA.
Si cette position du Conseil d'Etat devait être confirmée, elle impliquerait donc que la situation de chacun des membres du GEIE soit examinée de manière approfondie au regard du caractère désintéressé ou non de sa gestion et de la nature lucrative ou non de son activité.
Il est à noter que, selon la doctrine actuellement applicable, le régime fiscal des services rendus aux membres pour les besoins de leur activité non lucrative doit être déterminé en considération des critères généraux d'appréciation de la non-lucrativité (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20-20120912 N° Lexbase : X4023ALL).
Selon cette doctrine, la question de l'assujettissement du GEIE à la taxe professionnelle devrait donc, semble-t-il, être examinée selon les critères définies par la doctrine et validée par la jurisprudence.
Dès lors, il conviendrait, en premier lieu, de rechercher si la gestion de ce groupement présente ou non un caractère désintéressé selon les règles définies par le d de l'article 261-7-1° du CGI (N° Lexbase : L0402IWS), ce qui nécessiterait d'examiner si :
Ensuite, il faudrait appliquer les critères permettant d'apprécier la lucrativité ou la non-lucrativité du groupement selon la grille d'analyse développée par la doctrine et synthétisée ainsi par la jurisprudence : les associations sont exonérées de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle dès lors, d'une part, que leur gestion présente un caractère désintéressé et, d'autre part, que les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ; que, toutefois, même dans le cas où l'association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, l'exonération de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle lui reste acquise si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales.
A ce stade, on ne peut que se borner à considérer que les travaux de saisie, routage, publipostage, mise sous pli exécutés par le GEIE sont, sans conteste, des travaux proposés par des entreprises commerciales. Mais le fait qu'une association intervienne dans un domaine d'activité où il existe aussi des entreprises commerciales ne conduit pas ipso facto à la soumettre aux impôts commerciaux. Il convient en effet d'apprécier :
C'est, sans doute, sous cet angle que la situation fiscale du GEIE doit être examinée.
Cela étant, il est vrai que, le plus souvent, il doit y avoir une corrélation entre le champ d'application de l'impôt sur les sociétés, celui de la taxe professionnelle (désormais CET) et celui de la TVA (les impôts commerciaux), sauf dans la situation où l'un de ces impôts bénéficie d'une exonération expresse. C'est précisément le cas s'agissant des GEIE qui sont exonérés d'IS en vertu des dispositions de l'article 239 quater C du CGI (N° Lexbase : L4974HLS). Mais cette exonération expresse d'IS ne doit pas influer sur l'assujettissement du GEIE à la taxe professionnelle (CET), qui doit être uniquement fondé sur l'appréciation du caractère professionnel de son activité et, les décisions à venir nous le diront, indépendamment ou non du régime fiscal de ses membres.
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