Lexbase Droit privé - Archive n°526 du 1 mai 2013 : Baux d'habitation

[Jurisprudence] Transfert du bail au conjoint survivant : encore faut-il le vouloir !

Réf. : Cass. civ. 3, 10 avril 2013, n° 12-13.225, FS-P+B (N° Lexbase : A0844KCA)

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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 03 Mai 2013

Au décès du preneur le bail est transféré au conjoint survivant qui n'habite pas dans les lieux "à condition qu'il en fasse la demande". La précision ainsi apportée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux dispositions de l'article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH) permet de trancher la question, qui restait en suspens, du caractère automatique, ou non, du transfert du bail en cas de décès du locataire, et qui divisait les juridictions du fond. Alors que la cour d'appel de Rennes avait opté pour l'automaticité du transfert (CA Rennes, 4ème ch., 6 mai 1999, n° 97/08855 N° Lexbase : A6269KC8 (1)), la cour d'appel de Paris avait pu exiger une demande formelle du concubin notoire de se prévaloir de son droit (CA Paris, 6ème ch., sect. B, 14 décembre 2006, 6ème ch., sect. B, n° 05/20529 N° Lexbase : A0103DUD (2)). C'est à cette seconde interprétation qu'a décidé de se rallier la cour d'appel de Dijon (CA Dijon, 29 novembre 2011, n° 11/00169 [LXB=LA1188H3E]), finalement approuvée par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 avril 2013. La mesure, ici visée, de transfert du bail au conjoint a pour fondement l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, qui prévoit notamment que :

"lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré :
- au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du Code civil ;
- aux descendants qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès ;
- au partenaire lié au locataire par un pacte civil de solidarité ;
- aux ascendants, au concubin notoire ou aux personnes à charge, qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès.
En cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence.
A défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présent article, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire ou par l'abandon du domicile par ce dernier
".

Il convient alors de rappeler que, selon l'article 1751, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1873ABY), "en cas de décès d'un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément", sachant que l'article 1751 vise le bail relatif au local servant effectivement à l'habitation de deux époux.

Il apparaît ainsi que coexistent deux régimes distincts octroyant au conjoint survivant un droit sur le bail relatif au logement du défunt ; ces deux régimes ne sont pas concurrents, puisque leur application diffère selon que les époux habitent ensemble (régime de cotitularité du bail de l'article 1751 du Code civil) ou non (régime de transfert du bail de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989), lors du décès de l'époux.

La comparaison des deux régimes laisse apparaître que l'article 1751 du Code civil est plus favorable au conjoint survivant que l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 en ce qu'il lui confère un droit exclusif sur le bail. Il est ainsi titulaire de plein droit de celui-ci et n'entre pas en concurrence avec les autres bénéficiaires d'un droit au transfert du bail, notamment en application de l'article 14 de la loi de 1989.

Par ailleurs, en vertu de l'article 1751, le conjoint survivant dispose d'un droit sur le logement, applicable de plein droit, puisqu'il en dispose "sauf s'il y renonce expressément". Au contraire, dans le cadre de l'article 14 de la loi de 1989, il est prévu que le bail est transféré au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du Code civil, ce "à condition qu'il en fasse la demande" ; cette condition d'une demande expresse du conjoint, autrement dit, l'absence d'automaticité du transfert de bail, constitue l'apport de la décision rendue le 10 avril 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. S'agit-il d'une condition résultant du pouvoir prétorien des juges, ou d'une condition implicite contenue dans la loi et résultant de l'esprit de la loi du 7 juillet 1989 ?

En tout état de cause, la condition est dorénavant posée par la Cour de cassation. Il convient de revenir sur les conditions de l'espèce afin d'apprécier l'opportunité de cette solution.

Rappel des faits. Dans cette affaire, M. F., qui était séparé de son épouse depuis 1974, avait pris à bail, le 26 juin 1995, un logement appartenant à une SCI. Il était décédé le 7 mars 2006. Me L. avait été chargé du règlement de sa succession. Par courrier du 10 juillet 2007, Me L. avait indiqué à la SCI qu'il convenait de résilier le bail et de remettre l'appartement en location. Par acte du 25 mars 2009, la SCI avait fait délivrer à Mme F. un commandement de payer visant la clause résolutoire en sa qualité de conjoint titulaire du bail tendant au paiement des arriérés de loyers depuis avril 2006 s'élevant à 15 223,16 euros. Par courrier du 27 mars 2009, Madame F. avait indiqué à la SCI ne pas avoir l'intention de continuer la location. Par acte du 7 juillet 2009, la SCI avait assigné Mme F. aux fins de voir dire et juger qu'en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 elle avait bénéficié du transfert du bail en cours, et que la clause résolutoire du 25 mars 2009 était acquise avec toutes conséquences de droit. Un premier jugement avait fait droit aux demandes du bailleur et ainsi condamné la veuve à payer à la SCI 15 028,15 euros au titre des loyers impayés du 1er avril 2006 au 25 mai 2009 outre 439,09 euros d'indemnité mensuelle d'occupation à compter du 1er juin 2009 et jusqu'à la libération complète des lieux et 100 euros à titre de clause pénale. Ce jugement a été infirmé par la cour d'appel de Dijon qui a, au contraire, considéré que la résiliation du bail était établie et qu'il y avait lieu de débouter le bailleur de l'intégralité de ses demandes. La décision des juges d'appel est approuvée par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 avril 2013.

La lettre du texte de l'article 14 de la loi de 1989. A l'appui de son pourvoi, le bailleur faisait valoir les dispositions de l'article 14 de la loi de 1989. Il rappelait, ainsi, à juste titre, que dans le cas où le droit au bail ne sert pas effectivement à l'habitation des deux époux, c'est la règle qu'énonce l'article 14, alinéa 2, 1er tiret, de la loi du 6 juillet 1989, qui s'applique.

Selon le requérant, suivant cette règle, le bail souscrit par l'époux prédécédé est transféré "de plein droit" (il s'agit là d'un ajout par rapport à la lettre du texte) au conjoint survivant qui ne peut pas se prévaloir de l'article 1751 du Code civil ; toujours selon le requérant, "il appartient donc à ce conjoint survivant, s'il ne veut pas continuer le bail souscrit par l'époux prédécédé, de délivrer au bailleur un congé conforme aux dispositions de l'article 15, § I, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989".

Toute la question est de savoir si le transfert a lieu "de plein droit", ou sur la demande du bénéficiaire. Il est évident que l'emploi du présent de l'indicatif ("lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré"), sans autre condition, peut laisser sous-entendre l'automaticité du transfert. Par ailleurs, ainsi que le relèvent certains, la résiliation ayant lieu "de plein droit" (selon les termes de l'article 14, dernier alinéa), à défaut de personnes remplissant les conditions pour bénéficier du transfert, "on aurait pu imaginer, par un raisonnement a contrario, que la même automaticité devait nécessairement prévaloir en cas de bénéficiaire éligible" (3).

Cela étant, dans cette quête d'indices textuels, nous relèverons, en faveur d'une interprétation visant à retenir l'absence d'automaticité du transfert, que l'avant-dernier alinéa dispose qu'"en cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence" (nous soulignons) ; le texte de l'article 14 évoque donc lui-même la présentation d'une "demande" à l'initiative de celui voulant se prévaloir d'un transfert. La pluralité des bénéficiaires potentiels justifie parfaitement cette exigence de présenter une demande ; comment imaginer un transfert automatique du bail, qui conduirait alors à une pluralité de preneurs ?

Finalité de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989. Dans son arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel de Dijon avait énoncé que la finalité de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 "est de protéger les proches qui vivaient avec le locataire au moment de son décès ou de l'abandon de domicile ainsi que le conjoint survivant qui ne vivait pas avec le titulaire du bail mais qui souhaite occuper le logement et non de pénaliser le conjoint survivant n'ayant jamais occupé les lieux loués et ne souhaitant pas les occuper en lui conférant contre sa volonté un droit exclusif au bail". Ainsi donc, les juges d'appel s'en étaient référés à la finalité du texte, et donc à l'esprit de la loi, pour interpréter les dispositions de l'article 14.

Manifestation de la volonté de bénéficier du transfert. Dans son arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel de Dijon s'était, par ailleurs, fondée sur les courriers adressés au notaire ("je viens vous demander de bien vouloir autoriser M. L. [gérant de la SCI] à procéder au déménagement et/ou à la mise au rebut de tout ce que contient encore actuellement cet appartement afin qu'il puisse procéder à sa remise en état"), ainsi qu'à la SCI ("Je vous renouvelle cette autorisation et adresse un courrier de confirmation à Me L., notaire à Vénarey, afin qu'il vous autorise à débarrasser l'appartement de tout ce qu'il contient encore actuellement"), à la suite du décès de son époux pour apprécier la volonté de l'épouse de se voir transférer le bail. Ces courriers démontraient, selon la cour, "la volonté non équivoque" de la veuve de ne pas occuper le logement litigieux.

On relèvera que, dans l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2006, qui avait retenu que "le transfert du bail ne peut s'opérer au profit du concubin notoire survivant qu'à la condition que celui-ci le requierre et entende formellement se prévaloir du droit qui lui est consenti par le Législateur", les juges parisiens avaient relevé, s'agissant de la manifestation de la volonté de bénéficier du transfert, que "le fait que le concubin se maintienne dans le logement après le décès de l'autre concubin n'emporte à soi seul ni revendication du transfert du droit au bail ni souscription d'un bail oral, le concubin étant alors seulement réputé occupant sans droit ni titre" (CA Paris, 6ème ch., sect. B, 14 décembre 2006, n° 05/20529 N° Lexbase : A0103DUD). Au vu de ce dernier arrêt, il semblerait qu'alors même que le bénéficiaire manifesterait sa volonté de bénéficier du transfert du bail, seule une demande expresse lui permettrait de se voir transférer le contrat de location.

Comportement du bailleur. Dans l'arrêt du 29 novembre 2011, la cour d'appel s'est également référée au comportement du bailleur pour apprécier, en quelque sorte, sa bonne foi ; les juges ont, en effet, recherché s'il s'était comporté en tant que bailleur vis-à-vis du nouveau locataire, bénéficiaire du transfert. Or, la cour a constaté que le bailleur n'avait jamais remis à Mme F. d'exemplaire du bail et ne lui avait donc pas fait connaître les dispositions contractuelles relatives au logement occupé jusqu'à son décès par M. F.. Il n'était pas non plus contesté qu'il ne lui avait jamais remis les clés.

A noter que, dans un autre arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 14 décembre 2006, les juges ont également pu se fonder sur le comportement du bailleur (encaissement des loyers et délivrance de quittances de loyer) pour retenir que la concubine abandonnée devait se voir reconnaître, ici, la qualité de locataire en application de l'article 14 (première partie, relative à la continuation du bail en cas d'abandon du domicile par le locataire) de la loi du 6 juillet 1989 (CA Paris, 6ème ch., sect. B, 14 décembre 2006, n° 05/20860 N° Lexbase : A0106DUH).

Résiliation du bail. La cour d'appel avait déduit de ces éléments que "la résiliation du bail est établie", sans préciser la date à compter de laquelle cette résiliation était établie ; il fallait comprendre que cette résiliation prenait effet à compter du décès du locataire initial, dès lors que le bailleur est débouté de l'intégralité de ses prétentions, à savoir notamment le paiement des arriérés de loyer depuis le 1er avril 2006 (soit le 1er jour du mois suivant le décès du locataire). C'est d'ailleurs, ce que retient la Cour de cassation en retenant que "la cour d'appel, en a exactement déduit que le bail avait été résilié par le décès de M. F.".

On peut ici se demander sur quel fondement les juges ont retenu la résiliation du bail. En effet, le dernier alinéa de l'article 14 de la loi prévoit qu'"à défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présent article, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire ou par l'abandon du domicile par ce dernier". Or, l'analyse littérale du texte conduirait à considérer que ces dispositions n'étaient pas applicables dans cette affaire, puisqu'il existait bien une personne, Mme F., conjoint survivante, remplissant les conditions pour bénéficier d'un transfert. Sauf à considérer qu'il faille entendre ces dispositions ainsi : "A défaut de personnes remplissant les conditions prévues au présente article, [et, le cas échéant, ayant demandé le transfert du bail]" (nous ajoutons). Si la Cour de cassation n'est pas allée jusque-là dans les précisions apportées aux dispositions législatives, c'est néanmoins ce qu'il faut comprendre, nous semble-t-il.

Mais l'on peut encore considérer que les juges d'appel se sont fondés sur une résiliation implicite du bail, résultant de la "volonté non équivoque" du conjoint survivant de ne pas occuper le logement, ainsi que sur le manquement du bailleur à ses obligations vis-à-vis du nouveau locataire.

La solution est opportune. A l'évidence, il pouvait difficilement être admis que les dispositions ainsi en cause de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, insérées, rappelons-le, par la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral (N° Lexbase : L0288A33), et donc destinées à la protection du conjoint survivant, puissent se retourner contre ce dernier, au profit d'un bailleur de mauvaise foi.


(1) Loyers et copr., 2000, comm. n° 37, obs. B. Vial-Pedrolleti.
(2) Loyers et copr., mars 2007, comm. n° 49, note B. Vial-Pedroletti.
(3) Y. Rouquet, Pas de transfert de bail automatique au conjoint survivant, Dalloz actualité, 22 avril 2013.

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