Lexbase Droit privé - Archive n°526 du 1 mai 2013 : Divorce

[Chronique] Chronique de droit du divorce - Mai 2013

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N6893BTH

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

le 03 Mai 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique mensuelle droit du divorce, réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Pour cette nouvelle chronique, deux arrêts, rendus les 12 et 14 mars 2013, respectivement par les cours d'appel de Lyon et Douai, ont retenu l'attention de l'auteur. Les magistrats ont eu à répondre aux deux questions suivantes : le harcèlement téléphonique peut-il constituer une faute, cause de divorce ? (CA Lyon, 12 mars 2013, n° 12/02690) ; la prise en charge du passif commun par un époux a-t-elle une incidence sur l'attribution de la prestation compensatoire à l'autre ? (CA Douai, 14 mars 2013, n° 12/00214).
  • Le harcèlement téléphonique peut-il constituer une faute, cause de divorce ? (CA Lyon, 12 mars 2013, n° 12/02690 N° Lexbase : A5029I97)

Le divorce pour faute peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. Nous avons vu, dans une précédente chronique (Chronique de droit du divorce - Mars 2013 - Divorce pour faute : quelques récents exemples originaux N° Lexbase : N6138BTI), que le fait susceptible de constituer une faute, cause de divorce, au sens de l'article 242 du Code civil (N° Lexbase : L2795DZK), n'est pas limité à la violation d'un des devoirs du mariage prévus à l'article 212 du Code civil (N° Lexbase : L1362HIB) : le respect, la fidélité, le secours et l'assistance. La faute peut aussi résulter de la violation d'un devoir ou d'une obligation innomés. Il peut s'agir d'une action, d'une abstention, d'un geste, d'un écrit, d'une parole... selon l'évolution de la société et des moeurs ainsi que du vécu conjugal.

En pratique, les faits le plus souvent invoqués sont l'adultère, les violences physiques et l'abandon du domicile. Cependant, ont également été retenus, par exemple, le fait de confiner sa femme dans un rôle de subalterne et d'en faire la victime d'excès aussi bien physiques que verbaux (1) ou le fait de rendre le domicile conjugal inhabitable par la prolifération d'animaux (2). Ces derniers mois, les juges du fond ont admis qu'un divorce pour faute pouvait être prononcé contre l'époux qui avait contracté des prêts disproportionnés et inutiles, en imitant la signature de son conjoint (3) ; contre l'époux qui avait organisé le partage de ses biens avant de partir avec sa maîtresse (4) ; contre l'époux qui entretenait de mauvaises relations avec ses beaux-parents et dévalorisait son conjoint (5) et même contre l'époux particulièrement désordonné (6). Dans tous les cas, les juges ne peuvent retenir un fait qui n'a pas de lien avec le mariage, telle une faute professionnelle (7), ou antérieur à l'union à moins, dans ce dernier cas, qu'il n'ait été dissimulé (8).

Dans l'affaire jugée le 12 mars 2013, la cour d'appel de Lyon a retenu que le harcèlement téléphonique du mari, subi par son épouse, était constitutif d'une faute cause de divorce.

En l'espèce, un couple s'était marié en 1970, sans contrat de mariage, et avait eu quatre enfants. En février 2012, un JAF avait prononcé le divorce des époux, aux torts exclusifs du mari, et condamné ce dernier à verser à son épouse une prestation compensatoire.

Pour conclure que le divorce devait effectivement être prononcé aux torts exclusifs de l'époux, la cour d'appel a retenu que la femme démontrait, par la communication de plusieurs attestations, émanant tant de ses proches que de son ancien employeur, que son époux la harcelait régulièrement au téléphone, n'hésitant pas pour cela à l'appeler sur le poste de son employeur, et que ce comportement avait des incidences sur son humeur et son état de santé, la rendant triste, abattue, voire désespérée. Le couple avait entrepris une démarche thérapeutique à deux reprises, en 2002 et entre juillet 2004 et juillet 2005. La situation était donc ancienne. Selon l'épouse, elle aurait empiré depuis que son mari avait fait valoir ses droits à la retraite. Les magistrats lyonnais ont ainsi admis que les agissements du conjoint constituaient une violation renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendaient intolérable le maintien de la vie commune.

La solution n'est pas nouvelle. En 2009, une cour d'appel a également retenu que le fait, pour une épouse, d'adresser de nombreux appels téléphoniques, agressifs ou injurieux pour son mari, à des tiers en relation avec lui, constituait une faute, au sens de l'article 242 du Code civil (9).

Et la solution est parfaitement justifiée. D'une part, les caractères de la violation des devoirs et obligations du mariage sont alternatifs : soit la faute est grave mais non renouvelée, soit elle n'est pas grave mais renouvelée, soit elle est grave et renouvelée. Ainsi, l'époux ayant un comportement agressif en paroles et bourru tout au long de la vie conjugale commet une faute, au sens de l'article 242 du Code civil (10). Il en est de même pour l'épouse qui insiste, sur le plan procédurier, devant le juge des tutelles, afin de placer son mari sous un régime de protection (11). En revanche, un fait isolé, comme se promener main dans la main avec un homme (12) ne constitue pas une faute, cause de divorce. Dans l'affaire commentée, les appels téléphoniques, du fait de leur répétition, ont été considérés comme une violation renouvelée des devoirs et obligations du mariage. Cela suffisait pour que l'article 242 du Code civil trouve application. Il n'était pas nécessaire que ces agissements fussent qualifiés de comportement grave.

D'autre part, il ne suffit pas que l'un des conjoints ait commis un fait constitutif d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage pour que le divorce soit prononcé aux torts de celui-ci. Il faut, également, que ce fait rende intolérable le maintien de la vie commune. Lorsque, par exemple, des époux vivent séparément depuis plusieurs années, le mari est malvenu de soutenir que le refus de sa femme de toute vie commune rend intolérable le maintien de la vie commune puisque, justement, il n'y a plus de vie commune depuis longtemps (13). De même, l'adultère d'un des époux, faute grave, peut ne pas rendre intolérable le maintien de la vie commune et entraîner un divorce pour faute (14). Cela relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. En l'espèce, l'épouse démontrait que le comportement de son époux avait des incidences sur son humeur et son état de santé, la rendant triste, abattue, voire désespérée. Elle justifiait également avoir fait preuve de bonne volonté en entreprenant, à deux reprises, des démarches thérapeutiques. La situation, ancienne, était donc suffisamment pénible pour rendre intolérable le maintien de la vie commune.

Voilà donc une décision qui s'inscrit parfaitement dans la tendance jurisprudentielle qui conçoit la faute de l'article 242 du Code civil assez souplement et qui a peu de chances d'être cassée, en tous cas sur ce point, si un pourvoi est formé.

  • L'incidence de la prise en charge du passif commun par un époux sur l'attribution de la prestation compensatoire à l'autre (CA Douai, 14 mars 2013, n° 12/00214 N° Lexbase : A7775I9T)

En principe, la prestation compensatoire est destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prise en charge par un époux du passif commun a-t-elle une incidence sur l'existence de cette disparité ? Telle fut la question posée à la cour d'appel de Douai, en mars 2013.

En l'espèce, un couple, marié depuis 1985, avait eu quatre enfants, désormais majeurs. En 2011, un JAF avait prononcé le divorce des époux sur le fondement de l'article 233 du code civil. Devant la cour d'appel, l'épouse avait souhaité que le paiement de la prestation compensatoire, d'un montant de 17 500 euros, prenne la forme d'un engagement de l'époux de ne pas lui réclamer sa participation au règlement des dettes communes, évaluées à 35 000 euros, et, par conséquent, d'abandonner définitivement ses droits de ce chef dans la limite de la prestation compensatoire, et ce, par l'effet d'une compensation entre ces sommes. De même, l'époux avait sollicité, notamment, de pouvoir s'acquitter de ladite prestation compensatoire par compensation avec les sommes dont il avait fait lui-même l'avance, au titre du règlement des dettes de communauté.

Dans son arrêt du 14 mars 2013, la cour d'appel de Douai a estimé qu'il allait exister, au détriment de l'épouse, une disparité en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite. Cependant, la prise en charge de l'endettement commun pesait exclusivement sur l'époux qui pouvait, seul, en raison du montant de ses revenus salariaux, faire l'objet d'une saisie des rémunérations. L'épouse ne disposait pas des revenus suffisants pour lui permettre de rembourser à son époux sa participation dans le règlement des dettes communes et celui-ci ne pourrait pas l'y contraindre compte tenu du montant desdits revenus. Ainsi, les magistrats ont constaté que la disparité créée par la rupture du mariage, au détriment de l'épouse, dans les conditions de vie respectives des conjoints, en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite, était compensée par la prise en charge totale, depuis la séparation du couple, par l'époux, seul, du règlement du passif commun, en ce compris la part incombant à son épouse. Ils ont donc conclu que, en contrepartie de l'abandon définitif, par l'époux, de tout recours à l'encontre de l'épouse pour le recouvrement de la part incombant à celle-ci dans le règlement du passif commun, il n'y avait pas lieu à prestation compensatoire en capital au profit de cette dernière.

Chacun sait que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Le juge prend en considération, notamment : la durée du mariage ; l'âge et l'état de santé des époux ; leur qualification et leur situation professionnelles ; les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ; le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ; leurs droits existants et prévisibles ; leur situation respective en matière de pensions de retraite... (C. civ., art. 271 N° Lexbase : L3212INB). Selon l'article 274 du Code civil (N° Lexbase : L2840DZ9), lorsqu'elle est fixée en capital, la prestation compensatoire peut prendre la forme du versement d'une somme d'argent ou de l'attribution de biens en propriété ou d'un droit temporaire ou viager d'usage, d'habitation ou d'usufruit.

En l'espèce, les conjoints ne possédaient aucun bien immobilier dépendant de la communauté et l'époux s'acquittait seul du règlement du passif du couple, d'un montant non négligeable de 35 000 euros, sans perspective de recouvrement pour la moitié contre son épouse. Les époux n'avaient pas estimé nécessaire de faire les comptes entre eux. Ils n'avaient pas eu recours à un notaire pour les opérations de liquidation de leurs intérêts patrimoniaux. Le mari ne contestait pas que la séparation allait créer une disparité dans les conditions de vie des conjoints, au détriment de l'épouse, et proposait de s'acquitter de ladite prestation par compensation avec les sommes dont il avait fait lui-même l'avance, au titre du règlement des dettes de communauté. L'épouse était d'accord.

Certes, d'un point de vue pratique, si le mari verse une somme à l'épouse et que celle-ci doit la lui rendre, autant qu'il y ait compensation. Cependant, étant donné la nature de la prestation compensatoire, aucune compensation ne peut avoir lieu avec une quelconque créance de l'époux débiteur contre l'époux créancier. L'abandon de créance d'un des époux, au titre du passif de communauté dont il se serait acquitté, ne figure pas parmi les modalités légales d'exécution d'une prestation compensatoire. Alors, pour éviter une probable cassation en cas de pourvoi devant la Haute juridiction, les magistrats de Douai n'ont pas déclaré qu'il y avait compensation mais que la disparité, incontestable, créée au détriment de l'épouse par la rupture du mariage, dans les conditions de vie respectives des conjoints, en termes de revenus et de droits prévisibles à la retraite, s'estomperait à la condition que la prise en charge par l'époux, seul, de la quote-part incombant à l'époux dans le règlement du passif commun le soit de manière définitive.

Ainsi, l'époux ayant expressément accepté l'abandon, définitif, de tout recours à l'encontre de l'épouse pour le recouvrement de la part incombant à celle-ci dans le règlement du passif commun, il n'y avait pas lieu à prestation compensatoire en capital au profit de cette dernière

Cette décision doit être approuvée, tant d'un point de vue pratique que d'un point de vue juridique. Elle contribue également à faire application, certes indirectement, de l'alinéa 1er de l'article 265-2 du Code civil (N° Lexbase : L2831DZU) selon lequel, "les époux peuvent, pendant l'instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial".


(1) CA Bourges, 19 février 1997, Dr. fam., 1997, comm. n° 138.
(2) Cass. civ. 2, 23 février 2011, n° 09-72.079, F-D (N° Lexbase : A7366GZT).
(3) CA Douai, 26 janvier 2012, n° 10/08793 (N° Lexbase : A9169IB9).
(4) CA Nîmes, 12 septembre 2012, n° 11/01090 (N° Lexbase : A5409IS7).
(5) CA Bourges, 11 octobre 2012, n° 11/01187 (N° Lexbase : A2343IUC).
(6) CA Paris, 17 janvier 2013, Pôle 3, 3ème ch., n° 11/09931 (N° Lexbase : A3417I3X).
(7) Cass. civ. 2, 23 avril 1971, n° 70-11.438 (N° Lexbase : A6829CIR).
(8) Cass. civ. 2, 12 décembre 1979, n° 78-15.613 (N° Lexbase : A7382HY3), Bull. civ. II, n° 287.
(9) Cass. civ. 2, 7 octobre 1999, n° 96-17.928 (N° Lexbase : A3534CPL).
(10) Cass. civ. 2, 12 octobre 2000, n° 98-14.463 (N° Lexbase : A1752CSP).
(11) Cass. civ. 2, 14 novembre 2002, n° 01-03.217, F-P+B (N° Lexbase : A7182A3E), Bull. civ. II, n° 256.
(12) Cass. civ. 2, 21 octobre 1999, n° 98-11.298 (N° Lexbase : A3039CY9).
(13) Cass. civ. 2, 25 novembre 1999, n° 98-12.704 (N° Lexbase : A3600C3Q).
(14) Cass. civ. 2, 8 février 2001, n° 99-11.319 (N° Lexbase : A3762ARR).

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