Lexbase Droit privé - Archive n°525 du 25 avril 2013 : Consommation

[Jurisprudence] Un bien de consommation personnalisé ne peut être qu'un bien strictement adapté aux besoins d'un client individualisé

Réf. : Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-15.052, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5790KAP)

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par Malo Depincé, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Montpellier, Directeur du Master II consommation et concurrence (MC2), Directeur adjoint de l'UMR 5815 Dynamiques du droit, Avocat au barreau de Montpellier

le 25 Avril 2013

Un bien individualisé ne peut être considéré comme tel que si sa nature ou sa destination a été modifiée. Dès lors que ces conditions ne sont pas remplies, le consommateur peut parfaitement exercer son droit de rétractation sur ce bien de consommation qui lui a été vendu à distance. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mars 2013. L'article L. 120-20 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2522IBZ) énonce que "le consommateur dispose d'un délai de sept jours francs pour exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités, à l'exception, le cas échéant, des frais de retour. Le consommateur peut déroger à ce délai au cas où il ne pourrait se déplacer et où simultanément il aurait besoin de faire appel à une prestation immédiate et nécessaire à ses conditions d'existence. Dans ce cas, il continuerait à exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités". Voilà une disposition particulièrement dérogatoire au droit commun, qui implique, pour simplifier, que si le contrat à distance engage le professionnel dès lors que les consentements ont été échangés, le consommateur n'est, quant à lui, engagé que pour autant qu'il ne se rétracte pas dans les sept jours (quatorze jours, rappelons-le à compter de la transposition en France de la Directive 2011/83 du 25 octobre 2011 N° Lexbase : L2807IRE, soit le 13 juin 2014 au plus tard). Le droit du consommateur est d'autant plus singulier qu'il n'a pas à justifier de sa rétractation.

Ce mécanisme a été institué par la loi française (lois n° 88-21 du 6 janvier 1988 N° Lexbase : L6708IWD et n° 89-421 du 23 juin 1989 N° Lexbase : L7752A8M) pour protéger le consommateur qui, contractant à distance, ne peut véritablement apprécier le caractère satisfaisant ou non du produit qu'il commande que lorsqu'il l'a entre les mains (mais le régime est bien plus protecteur, prévoyant au bénéfice du consommateurs d'autres droits tel qu'une information considérablement renforcée par rapport au droit commun de la consommation). Le droit de l'Union a harmonisé la matière sur l'ensemble du territoire des Etats membres, la dernière révision datant de 2011. Le droit de l'Union reconnaît cette même prérogative au consommateur que le droit interne lui avait accordé dès la fin des années 1980 : un pouvoir discrétionnaire de rétractation, dans un délai de sept jours entraînant la restitution de la chose contre la restitution du prix (le mécanisme est bien évidemment plus complexe dans le cas de prestations de services commandées à distance, C. consom., art. L. 121-20, al. 2 N° Lexbase : L1037HBZ), mais avec quelques exceptions dont celle qui a nécessité l'interprétation de la Cour de cassation dans l'arrêt ici commenté.

Le régime de la vente à distance peut être particulièrement contraignant pour un professionnel, essentiellement lorsque la valeur du bien proposé à la vente est élevée, et il peut être tentant dans de telles hypothèses de tenter d'y échapper. Sur ce point, seul l'article L. 121-20-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6447G9N) limite le champ d'application de ce droit discrétionnaire : "Le droit de rétractation ne peut être exercé, sauf si les parties en sont convenues autrement, pour les contrats : [...] 3° de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ou qui, du fait de leur nature, ne peuvent être réexpédiés ou sont susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement". Dans le cas d'espèce ici soumis aux juges de la première chambre civile de la Cour de cassation, un professionnel avait vendu par correspondance à des consommateurs des motocyclettes. Celles-ci avaient dû faire l'objet d'une immatriculation obtenue par le professionnel au bénéfice de son client consommateur qui s'était par la suite rétracté. Le vendeur avait pourtant refusé de récupérer les motocyclettes et d'en restituer le prix. Le consommateur a dû pour faire respecter ses droits assigner son cocontractant en restitution du prix. Celui-ci, à titre de défense, refusait de voir appliquer l'article L. 121-20 du Code de la consommation au motif, tiré des dispositions de l'article L. 121-20-2, que ces biens, des motocyclettes avec certificat d'immatriculation, auraient été "nettement personnalisés".

La question soumise à la Cour était dès lors un problème de qualification : la motocyclette pour laquelle le professionnel obtenait un certificat d'immatriculation doit-elle être considérée comme un bien "nettement personnalisé" ? Dans l'affirmative, le professionnel n'aura pas à restituer le prix. Dans la négative, le régime protecteur du consommateur s'appliquera et le prix devra être restitué par le professionnel.

C'est, à notre connaissance, le premier arrêt rendu par la Cour de cassation en la matière, et il est tout aussi difficile de trouver dans les décisions d'autres juridictions une illustration préalable à nos propos. La jurisprudence, malgré le peu de décisions rendues, semblerait néanmoins restrictive quant à la notion de bien personnalisé : ainsi une perruque n'est pas a priori un bien nettement personnalisé, ou à tout le moins dans cette précédente affaire le professionnel n'avait pas été en mesure de prouver le caractère personnalisé du produit (car la charge de la preuve de cette exception pèse effectivement sur le professionnel, CA Nancy, 30 novembre 2005, n° 05/00785 N° Lexbase : A4202KCM). Si une perruque n'est pas un bien nettement personnalisé, il y a peu de chances pour qu'une motocyclette se voie reconnaître cette qualité. C'est en tout cas ce qu'a jugé le juge de proximité saisi de cette affaire et dont la décision a fait l'objet du présent pourvoi. Selon le premier juge, le consommateur pouvait exercer son droit de rétractation et l'exception du bien nettement personnalisé ne trouvait pas à s'appliquer. Le pourvoi contre sa décision a été rejeté par la Cour de cassation : "ayant relevé que les motocyclettes vendues aux termes d'un contrat conclu à distance avaient uniquement fait l'objet d'une immatriculation qui n'avait pu modifier leur nature ou leur destination, la juridiction de proximité en a exactement déduit que les biens vendus n'étaient pas nettement personnalisés, de sorte que l'exclusion du droit de rétractation prévue par l'article L. 121-20-2 du Code de la consommation ne pouvait être opposée aux acquéreurs".

Ce droit de rétractation, pour quelques mois encore contraint dans un délai de sept jours à compter de la livraison du bien comme ici (lorsque le délai de sept jours expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant), ne peut être exercé pour certains contrats dont l'article L. 121-20-2 du Code de la consommation dresse une liste exhaustive (ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 N° Lexbase : L2527ATR, transposant, notamment, pour la matière qui nous intéresse ici, l'article 6, § 3, de la Directive 97/7/CE du 20 mai 1997, relative aux contrats négociés à distance N° Lexbase : L7888AUP)

Ces dérogations sont les suivantes : fourniture de services dont l'exécution a commencé, avec l'accord du consommateur, avant la fin du délai de sept jours francs ; fourniture de biens ou de services dont le prix est fonction de fluctuations des taux du marché financier ; fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés (ce qui serait notre cas d'espèce) ou qui, du fait de leur nature, ne peuvent être réexpédiés ou sont susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement ; fourniture d'enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques lorsqu'ils ont été descellés par le consommateur (par exemple un DVD qui une fois acheté ne peut être retourné si le filme plastique qui l'emballe a été retiré) ; fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines ; service de paris ou de loteries autorisés. En de telles hypothèses, le consommateur perd son droit de rétractation et il ne pourrait imposer au professionnel de reprendre le bien que dans les conditions du droit commun de la consommation. Ainsi, alors que les articles L. 121-20 et suivants du Code de la consommation lui accordent un droit discrétionnaire en cas de vente à distance, le régime commun du code ne l'autorise à exiger la restitution du prix qu'en cas, exemple le plus fréquent, de défaut de conformité qu'il lui appartient d'ailleurs de prouver (encore qu'il ne pourra l'obtenir que si le remplacement n'est pas possible et si le défaut n'est pas mineur, C. consom., art. L. 211-8 et s. N° Lexbase : L9652G8Y). L'article L. 121-20 dispose, en outre, que si les parties en sont convenues, le droit de rétractation peut être maintenu (mais était-il utile de le préciser dans un système juridique où prévaut le principe de liberté contractuelle ?). Ce n'était pas le cas en l'espèce.

Dans l'arrêt ici commenté était donc invoqué le caractère nettement personnalisé du bien (C. consom., art. L. 121-20-2, 2°). L'exception se justifie aisément mais encore faut-il au professionnel prouver qu'il satisfait aux conditions de dérogation au régime institué par l'article L. 121-20. En opportunité, cette exception se justifie parfaitement. Le droit de rétractation a été institué au motif qu'il était peu préjudiciable au professionnel, à la fois parce que ce dernier peut faire supporter le surcoût du droit de rétractation à l'ensemble de ses clients et parce que, mais peut-être surtout, parce qu'il pourra trouver un autre consommateur à qui attribuer un bien dont le premier acquéreur n'a pas été satisfait. Cette exigence explique que, dans l'hypothèse où le bien ne pourrait être confié à un autre consommateur, le coût pour le professionnel serait disproportionné. Si, en effet, l'acheteur souhaite renoncer à l'acquisition, il n'est pas du tout certain dans cette hypothèse que le vendeur, tenu de récupérer le bien, trouvera alors un nouvel acquéreur, moins exigeant. Un bien nettement personnalisé, par définition, ne peut satisfaire que l'attente spécifique de celui qui l'a commandé.

Qu'en est-il alors de l'achat de motocyclettes qui auraient "fait l'objet au moment de la vente d'une immatriculation administrative au nom de l'acquéreur, le certificat d'immatriculation constituant un accessoire indispensable de la chose vendue" pour reprendre les arguments du pourvoi ? Selon l'argumentaire du vendeur, ces motocyclettes deviendraient du seul fait de cette immatriculation, "personnalisées". L'argument n'a été retenu ni par la juridiction de proximité, ni par la première chambre civile de la Cour de cassation. Il convient pour mieux comprendre la décision de rappeler ce qu'est un certificat d'immatriculation : une "carte grise", c'est-à-dire un document administratif autorisant la circulation du véhicule et permettant à son propriétaire ou à ses conducteurs alternatifs de circuler avec le véhicule. Plus encore, le certificat d'immatriculation a pour objet d'individualiser le véhicule à la fois pour des raisons fiscales (qui ne sont jamais à négliger) et d'autres de police judiciaire. Ceci étant, l'individualisation administrative n'est aucunement une personnalisation. La preuve en étant que tout au long de leur vie, les véhicules conservent entre les différents exemplaires les mêmes qualités, quand bien même changeraient-ils de certificat d'immatriculation. Seule une personnalisation, c'est-à-dire une singularisation ou une modification substantielle, peut justifier une dérogation au droit de rétractation du consommateur. Ainsi, le même véhicule peut faire l'objet de cessions successives, avec le cas échéant de nouveaux certificats d'immatriculation, sans que la substance du véhicule en soit modifiée. Or, seule l'hypothèse où le professionnel aurait à la demande du client procédé à la modification technique du véhicule (pour, par exemple, modifier sa cylindrée, sa couleur, retirer des pièces etc.) justifierait que le bien soit qualifié de bien "nettement personnalisé".

Dans la présente affaire donc, à défaut de toute individualisation, le professionnel était logiquement tenu de respecter l'ensemble des dispositions des articles L. 121-16 et suivants du Code de la consommation (N° Lexbase : L6441G9G). Il en résulte que cet acheteur qui exerce son droit de rétractation obtiendra en contrepartie de la restitution des motocyclettes, restitution du prix, le cas échéant diminué des seuls frais de réexpédition du produit au professionnel (C. consom., art. L. 121-20).

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