Lexbase Social n°525 du 25 avril 2013 : Santé

[Jurisprudence] L'incapacité du salarié déclenche des obligations spécifiques de l'employeur, en application de l'article 5 de la Directive 2000/78

Réf. : CJUE, 11 avril 2013, aff. C-335/11 et C-337/11 (N° Lexbase : A1362KCG)

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N6776BT7

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"

le 25 Avril 2013

La CJUE a rendu le 11 avril 2013 un arrêt très intéressant portant sur la qualité de travailleur atteint d'une incapacité professionnelle, et les conséquences que l'employeur doit tirer de cette qualité (1). Cet arrêt a pour objet des demandes de décision préjudicielle, introduites par le Sø-og Handelsretten (Danemark) le 29 juin 2011. Ces demandes de décision préjudicielle (2) portent sur l'interprétation des articles 1er, 2 et 5 de la Directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4). L'intérêt essentiel de cette décision tient à la perception renouvelée de la Directive 2000/78, envisagée habituellement dans son volet "discrimination" et sanction des comportements discriminatoire des employeurs. Les termes en sont bien connus : ils sont fixés par l'article 1er de Directive 2000/78, dont l'objet est d'établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en oeuvre, dans les Etats membres, le principe de l'égalité de traitement (3). La jurisprudence, assez abondante, montre une grande variété de situations, de qualifications, de caractérisations de la discrimination (directe, indirecte) ou enfin, de sanctions ; mais les affaires portant sur le handicap sont plus rares (4). Dans les deux affaires (arrêt rapporté), l'employeur n'a pas eu de comportement à proprement parler discriminatoire à l'égard de ses salariés. Il n'a pas fait de discrimination fondée sur le handicap, c'est-à-dire, la maladie. L'arrêt rapporté illustre, au contraire, la dimension "discrimination positive" que recèle la Directive 2000/78 par l'obligation, pour l'employeur, de prendre un certain nombre de mesures, dès lors qu'un salarié, en raison de sa maladie, rentre dans un certain cadre et bénéficie d'une qualité particulière, en l'espèce, celle de handicapé.
Résumé

La notion de "handicap", visée par la Directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000, inclut un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable ou incurable dès lors que cette maladie entraîne une limitation, résultant notamment d'atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l'égalité avec les autres travailleurs, et que cette limitation est de longue durée. La nature des mesures que doit prendre l'employeur n'est pas déterminante pour considérer que l'état de santé d'une personne relève de cette notion.

La réduction du temps de travail peut constituer l'une des mesures d'aménagement (au sens de l'article 5 de la Directive 2000/78). Il incombe au juge national d'apprécier si la réduction du temps de travail en tant que mesure d'aménagement représente une charge disproportionnée pour l'employeur.

N'est pas conforme au droit européen, la disposition nationale prévoyant qu'un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit si le travailleur handicapé a été absent pour cause de maladie, avec maintien de la rémunération pendant 120 jours au cours des douze derniers mois, lorsque ces absences sont la conséquence de l'omission, par l'employeur, de prendre les mesures appropriées conformément à l'obligation de prévoir des aménagements raisonnables. Ces absences sont la conséquence de son handicap, si cette disposition, tout en poursuivant un objectif légitime, n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier.


I - Les obligations à la charge de l'employeur, nées de l'état d'incapacité du salarié

A titre introductif, il est, peut-être, nécessaire de rappeler le fondement de l'obligation en droit communautaire.

Les textes n'exigent pas qu'une personne qui n'est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée, soit recrutée, promue ou reste employée ou qu'une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l'obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées (Directive 2000/78, cons. 17).

Un régime spécifique dédié aux personnes handicapées doit être mis en place, afin de garantir le respect du principe de l'égalité de traitement à l'égard des personnes handicapées. Ces aménagements "raisonnables" s'entendent comme les mesures appropriées que l'employeur doit prendre, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d'accéder à un emploi, de l'exercer ou d'y progresser, ou pour qu'une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l'employeur une charge disproportionnée. Cette charge n'est pas disproportionnée lorsqu'elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée dans un Etat membre en faveur des personnes handicapées (Directive 2000/78 art. 5).

En d'autres termes, pour la CJUE (cons. 20 et 21), il découle de la Directive 2000/78 que des mesures appropriées doivent être mises en place ; elles doivent être efficaces et pratiques ; elles doivent permettent d'aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple, en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l'offre de moyens de formation ou d'encadrement. Afin de déterminer si ces mesures donnent lieu à une charge disproportionnée, il convient de tenir compte, notamment, des coûts financiers et autres qu'elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l'organisation ou de l'entreprise et de la possibilité d'obtenir des fonds publics.

Le principe d'égalité de traitement ne fait pas obstacle au droit des Etats membres de maintenir ou d'adopter des dispositions concernant la protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail des personnes handicapées, ni aux mesures visant à créer ou à maintenir des dispositions ou des facilités en vue de sauvegarder ou d'encourager leur insertion dans le monde du travail (Directive 2000/78, art. 7, "Action positive et mesures spécifiques ").

En présence de personnes handicapées dans l'entreprise, l'employeur doit prévoir des mesures appropriées, c'est-à-dire, des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l'offre de moyens de formation ou d'encadrement (Directive 2000/78, cons. 20).

A - La réduction du temps de travail, mesure d'aménagement du handicap

En présence de personnes handicapées dans l'entreprise, la Directive 200/78 impose que l'employeur mette en place des mesures appropriées, destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à une adaptation des rythmes de travail (Directive 2000/78, cons. 20).

1 - L'aménagement du temps de travail, en tant qu'élément compris dans la notion de "rythme de travail"

La CJUE s'est prononcée sur la question de savoir si la réduction du temps de travail peut constituer l'une des mesures d'aménagement visées à cet article.

L'employeur est tenu de prendre des mesures appropriées, notamment, pour permettre à une personne handicapée d'accéder à un emploi, de l'exercer ou d'y progresser. Le considérant 20 de la Directive 2000/78 procède à une énumération non exhaustive de telles mesures, ces dernières pouvant être d'ordre physique, organisationnel et/ou éducatif. La CJUE (cons. 50) relève que ni l'article 5 de la Directive 2000/78, ni le considérant 20 de la Directive 2000/78 ne mentionnent la réduction du temps de travail. La notion de "rythmes de travail", qui figure au considérant 20, relève-t-elle de cette notion ?

Les employeurs faisaient valoir que la notion vise des éléments tels que l'organisation du rythme et des cadences du travail, par exemple dans le cadre d'un processus de production, ainsi que des pauses, de manière à soulager la charge du travailleur handicapé. Mais pour la CJUE (cons. 52), il ne ressort ni du considérant 20, ni d'aucune autre disposition de la Directive 2000/78 que le législateur de l'Union ait entendu limiter la notion de "rythmes de travail" à de tels éléments et en exclure l'aménagement des horaires, en particulier la possibilité, pour les personnes handicapées qui ne sont pas ou plus dans la capacité de travailler à temps plein, d'effectuer leur travail à temps partiel. Cette notion doit être entendue comme visant l'élimination des diverses barrières qui entravent la pleine et effective participation des personnes handicapées à la vie professionnelle sur la base de l'égalité avec les autres travailleurs.

L'énumération de mesures appropriées destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, contenue au considérant 20 de la Directive 2000/78, n'est pas exhaustive : pour la CJUE (cons. 57), la réduction du temps de travail, même si elle ne relève pas de la notion de "rythmes de travail", peut être considérée comme une mesure d'aménagement visée à l'article 5 de la Directive 2000/78 dans des cas où la réduction du temps de travail permet au travailleur de pouvoir continuer à exercer son emploi.

2 - Une obligation à la charge de l'employeur, sous condition

L'article 5 de la Directive 2000/78 encadre les obligations à la charge de l'employeur, dans la mesure où les aménagements auxquels les personnes handicapées peuvent prétendre doivent être raisonnables, et ne pas constituer une charge disproportionnée pour l'employeur.

C'est au juge national d'apprécier si la réduction du temps de travail en tant que mesure d'aménagement représente une charge disproportionnée pour les employeurs (cons. 59) ; il doit tenir compte des coûts financiers qu'une telle mesure implique ; de la taille et des ressources financières de l'entreprise ; de la possibilité d'obtenir des fonds publics (cons. 60).

Or, en l'espèce, il apparaît qu'immédiatement après le licenciement de sa salariée, l'employeur de la première affaire a fait passer une annonce d'offre d'emploi pour un(e) employé(e) de bureau à temps partiel (22 heures par semaine) dans son agence de Lyngby. Or, rien ne permet d'établir que la salariée n'était pas capable d'occuper ce poste à temps partiel ou de comprendre les raisons justifiant qu'il ne lui a pas été proposé. En outre, l'intéressée a commencé, peu de temps après son licenciement, un nouveau travail en qualité d'hôtesse d'accueil auprès d'une autre société et que la durée réelle du temps de travail était de 20 heures par semaine.

C - Droit de licencier un travailleur handicapé

La juridiction de renvoi demandait si la Directive 2000/78 s'oppose à une disposition nationale prévoyant qu'un employeur peut mettre fin au contrat de travail avec un préavis réduit (un mois) si le travailleur handicapé a été absent pour cause de maladie (avec maintien de la rémunération) pendant 120 jours au cours des douze derniers mois lorsque ces absences sont la conséquence de son handicap.

1 - Qualification de différence de traitement

La CJUE (cons. 72) relève que le droit danois (art. 5 § 2 de la FL, relatif aux absences pour cause de maladie), s'applique de manière identique aux personnes handicapées et aux personnes non handicapées ayant été absentes plus de 120 jours pour ce motif. Aussi, la CJUE rejette la qualification de différence de traitement directement fondée sur le handicap, au sens des dispositions des articles 1er et 2 § 2-a de la Directive 2000/78. L'article 5 § 2 de la FL ne contient pas de discrimination directe fondée sur le handicap dans la mesure où il se fonde sur un critère qui n'est pas indissociablement lié au handicap.

En revanche, la CJUE admet que cette disposition est susceptible d'entraîner une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap (cons. 75). La prise en compte des jours d'absence pour cause de maladie liée au handicap dans le calcul des jours d'absence pour cause de maladie revient à assimiler une maladie liée à un handicap à la notion générale de maladie. Or, la CJCE s'était déjà prononcée sur l'assimilation de la notion de "handicap" à celle de "maladie", qu'elle avait exclue (5).

En l'espèce, la CJUE reconnaît (cons. 76) qu'un travailleur handicapé est plus exposé au risque de se voir appliquer le délai de préavis réduit d'un mois (FL, art. 5 § 2) qu'un travailleur valide. En comparaison avec un travailleur valide, un travailleur handicapé est exposé au risque supplémentaire d'une maladie liée à son handicap. Il est ainsi exposé à un risque accru de cumuler les jours d'absence pour cause de maladie et donc, d'atteindre la limite de 120 jours (FL, art. 5 § 2). Bref, la règle des 120 jours est susceptible de désavantager les travailleurs handicapés et d'entraîner, ainsi, une différence de traitement indirectement fondée sur le handicap au sens de l'article 2 § 2-b, de la Directive 2000/78.

2 - Justification de la différence de traitement

La justification d'une différence de traitement est définie par le droit européen selon différents critères : la différence de traitement doit objectivement justifiée par un objectif légitime ; les moyens mis en oeuvre pour réaliser celui-ci doivent être appropriés ; ils ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur danois.

  • Un objectif légitime

Le Gouvernement danois a précisé que l'objectif poursuivi était d'inciter les employeurs à embaucher et à maintenir dans leur emploi des travailleurs présentant un risque particulier d'absences répétées pour cause de maladie en leur permettant de procéder plus tard au licenciement de ces derniers avec un préavis réduit, si l'absence tend à être de très longue durée (120 jours). En contrepartie, ces travailleurs pourraient garder leur emploi pendant la durée de leur maladie. Cette règle ménage donc les intérêts de l'employeur et du travailleur et s'inscrit dans la droite ligne de la régulation générale du marché du travail danois, qui repose sur une combinaison entre la flexibilité et la liberté contractuelle et la protection des travailleurs.

Les employeurs vont dans le même sens : la règle des 120 jours est considérée comme protectrice pour les travailleurs malades, car un employeur ayant consenti à son applicabilité serait généralement enclin à attendre plus longtemps avant de procéder au licenciement d'un tel travailleur.

La CJUE admet que cette première condition est remplie (cons. 81). La CJCE avait déjà admis que la promotion de l'embauche constitue un objectif légitime de politique sociale ou de l'emploi des Etats membres ; cette appréciation doit s'appliquer à des instruments de politique du marché du travail national visant à améliorer les chances d'insertion dans la vie active de certaines catégories de travailleurs . De même, une mesure prise afin de favoriser la flexibilité du marché du travail peut être considérée comme une mesure relevant de la politique de l'emploi.

  • Des moyens appropriés et nécessaires

Le Gouvernement danois considère que le régime du licenciement des salariés handicapés (tel que fixé par l'article 5 § 2 de la FL) permet d'atteindre de la manière la plus appropriée l'objectif de permettre l'embauche et le maintien dans l'emploi de personnes ayant, au moins potentiellement, une capacité de travail réduite ainsi que l'objectif supérieur d'un marché du travail flexible, conventionnel et sûr.

Les employeurs vont dans le même sens : selon la réglementation danoise sur les indemnités en cas de maladie, l'employeur qui verse la rémunération au travailleur en arrêt maladie a droit au remboursement des indemnités de maladie de la part des autorités municipales du lieu de résidence du travailleur. Toutefois, le droit à ces indemnités serait limité à cinquante-deux semaines et leur montant serait inférieur à la rémunération réelle. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 5 § 2 de la FL assureraient un équilibre raisonnable entre les intérêts opposés de l'employé et de l'employeur, en ce qui concerne les absences pour cause de maladie.

La CJUE a été convaincue par ces arguments (cons. 87) : une mesure telle que la règle des 120 jours (art. 5 § 2, de la FL) paraît appropriée pour atteindre les objectifs (supra). En effet, en prévoyant le droit de recourir à un préavis d'une durée réduite pour procéder au licenciement des travailleurs absents pour cause de maladie pendant plus de 120 jours, cette règle a, à l'égard des employeurs, un effet incitatif à l'embauche et au maintien en fonction.

  • Des moyens qui ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif

Il est utile de replacer la règle des "120 jours" dans le contexte dans lequel elle s'inscrit et de prendre en considération le préjudice qu'elle est susceptible d'occasionner aux personnes visées. La CJUE souligne qu'il ne faut pas méconnaître le risque encouru par les personnes atteintes d'un handicap, lesquelles rencontrent en général davantage de difficultés que les travailleurs valides pour réintégrer le marché de l'emploi et ont des besoins spécifiques liés à la protection que requiert leur état (cons. 91). Au final, il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier si la condition (moyens qui ne doivent excéder ce qui est nécessaire...) est remplie.

II - Le fait déclencheur : la qualité de personne "handicapée"

Dans les deux affaires, les employeurs ont contesté que l'état de santé des requérantes relève de la notion de "handicap" au sens de la Directive 2000/78 : la seule incapacité qui les affecte est qu'elles ne sont pas en mesure d'exercer un emploi à temps plein. Dans ces conditions, le Sø-og Handelsretten a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont formulées dans des termes identiques dans les affaires C-335/11 et C-337/11: La notion de "handicap", au sens de la Directive 2000/78, est-elle applicable à toute personne qui, en raison d'atteintes physiques, mentales ou psychiques, ne peut accomplir son travail pendant une période satisfaisant à la condition de durée visée au point 45 de l'arrêt CJCE du 11 juillet 2006 (préc.), ou ne peut le faire que de façon limitée ? Un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme incurable peut-il relever de la notion de handicap au sens de cette Directive ? Un état pathologique causé par une maladie médicalement constatée comme curable peut-il relever de la notion de handicap au sens de ladite Directive? Une incapacité permanente ne nécessitant pas l'utilisation d'équipements spéciaux ou autres et qui se traduit pour l'essentiel par le fait que la personne qui en est atteinte n'est pas en mesure de travailler à plein temps, relève-t-elle de la notion de handicap au sens de la Directive 2000/78?

A - Définition

La notion de "handicap" n'est pas définie par la Directive 2000/78. La CJCE (11 juillet 2006, aff. C-13/045, préc.) a jugé que cette notion doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d'atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle.

La Convention de l'ONU relative au droit des personnes handicapées (ratifiée par l'Union par décision du 26 novembre 2009), reconnaît (cons. e) que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l'interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres. L'article 1er, second alinéa de cette convention stipule que sont des personnes handicapées celles qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres.

En l'espèce, la CJUE (cons. 38) a proposé que la notion de "handicap" soit entendue comme visant une limitation, résultant notamment d'atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l'égalité avec les autres travailleurs.

B - Caractères

  • Caractère durable

S'appuyant sur l'article 1er, second alinéa, de la Convention de l'ONU, la CJUE décide que les incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles doivent être "durables" (arrêt rapporté, cons. 40).

  • Caractère originel

De même, la CJUE entend la Directive 2000/78 en des termes très larges, car cette Directive ne vise à couvrir seulement les handicaps de naissance ou d'origine accidentelle en excluant ceux causés par une maladie. En effet, il irait à l'encontre de l'objectif même de cette Directive, qui est de mettre en oeuvre l'égalité de traitement, d'admettre que celle-ci puisse s'appliquer en fonction de l'origine du handicap.

Dès lors, si une maladie curable ou incurable entraîne une limitation, résultant notamment d'atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l'égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, une telle maladie peut relever de la notion de "handicap" au sens de la Directive 2000/78.

  • Effets de la maladie

Une maladie n'entraînant pas de limitation ne relève pas de la notion de "handicap" au sens de la Directive 2000/78. En effet, la maladie en tant que telle ne peut être considérée comme un motif venant s'ajouter à ceux au titre desquels la Directive 2000/78 interdit toute discrimination (7).

La circonstance que la personne concernée ne puisse accomplir son travail que de façon limitée ne constitue pas un obstacle à ce que l'état de santé de cette personne relève de la notion de "handicap". Contrairement à ce que font valoir les employeurs, un handicap n'implique pas nécessairement l'exclusion totale du travail ou de la vie professionnelle.

Aussi, la notion de "handicap" doit être entendue comme visant une gêne à l'exercice d'une activité professionnelle et non comme une impossibilité d'exercer une telle activité (argument invoqué par les employeurs, en l'espèce). L'état de santé d'une personne handicapée apte à travailler, même à temps partiel, est donc susceptible de relever de la notion de "handicap". Une interprétation telle que celle proposée par les employeurs serait incompatible avec l'objectif de la Directive 2000/78 qui vise notamment à ce qu'une personne handicapée puisse accéder à un emploi ou l'exercer.

Enfin, le constat de l'existence d'un handicap ne dépend pas de la nature des mesures d'aménagement, telles que l'utilisation d'équipements spéciaux. La définition de la notion de "handicap" (au sens de l'article 1er de la Directive 2000/78) précède la détermination et l'appréciation des mesures d'aménagement appropriées envisagées à l'article 5 de celle-ci. De telles mesures visent à tenir compte des besoins des personnes handicapées : elles sont la conséquence et non l'élément constitutif de la notion de handicap. Les mesures ou les aménagements (Dir. 2000/78, cons. 20) permettent de respecter l'obligation qui découle de l'article 5 de la Directive 2000/78, mais ne sont applicables qu'à la condition d'être en présence d'un handicap.


(1) Liaisons sociales Europe, n° 327, 18 avril 2013 ; Juliane Kokott, avocate générale, conclusions 6 décembre 2012, Liaisons sociales Europe, n° 320, 10 janvier 2013.
(2) La salariée a été absente à plusieurs reprises entre le 6 juin 2005 et le 24 novembre 2005. Les certificats médicaux indiquent qu'elle souffre de douleurs permanentes au niveau de la colonne dorsolombaire qui ne peuvent être traitées. Par lettre de son employeur du 24 novembre 2005, elle a été informée de son licenciement, conformément à l'article 5 § 2 de la FL. Le 1er février 2006, l'intéressé a commencé un nouveau travail en qualité d'hôtesse d'accueil, à concurrence de 20 heures par semaine. La deuxième salariée a été embauchée en 1998 par une autre société en qualité de secrétaire assistante de direction. Le 19 décembre 2003, elle a été victime d'un accident de la circulation et a souffert du "coup du lapin". Le 4 novembre 2004, elle a été placée en arrêt maladie à temps partiel pendant quatre semaines, période où elle travaillait environ quatre heures par jour. Le 10 janvier 2005, l'intéressée a été placée en arrêt maladie à temps plein. Par lettre du 21 avril 2005, elle a été informée de son licenciement avec un préavis d'un mois prenant fin le 31 mai 2005. La salariée a suivi une procédure d'évaluation auprès de l'administration de l'emploi, qui a conclu qu'elle était capable de travailler environ huit heures par semaine à un rythme lent. Elle a été placée, au mois de juin 2006, en invalidité en raison de son incapacité de travail. En 2007, l'Office national d'accidents du travail et des maladies professionnelles a fixé le taux de lésion de l'intéressée à 10 % et le taux d'incapacité à 50 %, réévalué ensuite à 65 %. Agissant au nom et pour le compte des deux requérantes, un syndicat de travailleurs a saisi le Sø-og Handelsretten d'une action en réparation contre les employeurs de celles-ci sur la base de la loi anti-discrimination : ces deux employées étaient atteintes d'un handicap et leurs employeurs respectifs étaient tenus de leur proposer une réduction du temps de travail, en vertu de l'obligation de procéder à des aménagements prévue à l'article 5 de la directive 2000/78 ; l'article 5 § 2 de la FL ne peut trouver application envers ces deux travailleurs car leurs absences pour cause de maladie résultent de leurs handicaps.
(3) S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2010, coll. Thémis, p. 337 à 352 ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 469 ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenneDroit du travail de l'Union européenne, Larcier, coll. Manuels, 2012, p. 211 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant, 2011, n° 195 à 251 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 5ème éd. 2013, n° 683 à 699. Bibliographie spécifique : L. Potvins-Solis (dir.), Le principe de non discrimination face aux inégalités de traitement entre les personnes dans l'Union européen, 7ème journée d'étude du pôle européen J. Monet, Bruylant, 2010.
(4) CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-152/11 (N° Lexbase : A3975IYU) ; Prise en compte de l'âge et du handicap pour le calcul d'indemnités de rupture du contrat de travail, Europe, février 2013, comm. 98 ; CJCE, 17 juillet 2008, aff. C-303/06, (N° Lexbase : A7107D94) ; Lutte contre la discrimination en raison du handicap, Europe, octobre 2008, comm. 320 ; CJUE, 5 mai 2011, aff. C-537/09 (N° Lexbase : A7691HPK) et aff. C-206/10 (N° Lexbase : A7683HPA) ; Liaisons sociales Europe, n° 278, 19 mai 2011 (à propos de l'exportation de prestations sociales liées au handicap).
(5) CJCE, 11 juillet 2006, C-13/05, (N° Lexbase : A4750DQY) ; v. les obs. de Nicolas Mingant, Droit communautaire : absence de discrimination fondée sur le handicap en cas de licenciement pour cause de maladie, Lexbase Hebdo n° 228 du 21 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2779ALI) ; F. Kessler, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS 2006, p.757-759 ; L. Idot, Discrimination pour cause de handicap et de maladie, Europe octobre 2006, nº 275, p. 17 ; J. Savatier, Etat de santé et travail: jurisprudence récente, Dr. Soc., 2006, p. 1117-1120 ; O. Cotte, Jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de droits de l'Homme, L'Europe des libertés, revue d'actualité juridique, 2006, nº 21, p. 61-62 ; A. Boujeka, La définition du handicap en droit communautaire (à propos de CJCE, 11 juillet 2006, aff. C-13/05, préc.), RDSS, 2007, p. 75-85 : la salariée travaillait pour une société de restauration collective. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie le 14 octobre 2003 et bénéficie depuis d'une indemnité d'incapacité temporaire de travail. Le 28 mai 2004, la société lui a notifié son licenciement au 31 mai 2004 sans en donner de motifs. Refusant le licenciement, la salariée l'a contesté devant le juge. Dans sa requête du 29 juin 2004, elle expose que le licenciement est nul, car constitutif d'une inégalité de traitement et d'une discrimination en ce qu'elle était en arrêt de travail pour maladie depuis huit mois et en incapacité temporaire de travail. Au final, la CJUE a décidé qu'en tant que cause d'un éventuel handicap futur, une maladie ne peut en principe pas être assimilée à un handicap. Elle ne comporte, en tant que telle, aucun élément permettant de faire jouer le principe de non-discrimination en raison d'un handicap, tel que visé à l'article 13 CE (recod. art. 19 TFUE N° Lexbase : L2495IP4) lu conjointement avec la Directive 2000/78/CE. Cela ne souffre d'exception que si des limitations de longue durée ou permanentes se manifestent au cours de la maladie, qui doivent être assimilées à des handicaps. Il appartiendra alors à la personne concernée, qui invoque le principe de non discrimination en raison d'un handicap, d'établir que le licenciement trouve sa véritable cause non pas dans la maladie elle-même, mais dans les limitations de longue durée ou permanentes en résultant.
(6) CJCE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05, point 65 ; v. nos obs., La mise à la retraite d'office n'est pas nécessairement discriminatoire au nom des politiques de l'emploi, Lexbase Hebdo n°284 du 6 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3667BD8) ; E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert, Chronique de jurisprudence communautaire. Egalité de traitement - discrimination liée à l'âge, AJDA, 2007, p. 2249-2250 ; L. Idot, Clauses de mise à la retraite d'office et égalité de traitement, Europe, décembre 2007, p. 25-26 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2008, p. 97-99 ; J. Cavallini, Mise à la retraite d'office et non-discrimination fondée sur l'âge, JCP éd S, 2008, nº 1152, p. 29-30 ; F. Donnat, Chronique annuelle 2007 de jurisprudence communautaire, Revue juridique de l'Economie publique, 2008, nº 655, p.17 ; C. Canazza, Arrêt Palacios : la Cour tempère l'interdiction des discriminations fondées sur l'âge, Journal des tribunaux / droit européen, 2008, nº 147, p. 79-81.
(7) CJCE, 11 juillet 2006, aff. C-13/045 préc., point 57 : la notion de "handicap" est une notion juridique floue susceptible de recevoir de nombreuses interprétations dans son application pratique. La circonstance que la notion figure à l'article 13 CE, qui vise le principe de non discrimination en raison d'un handicap, principe activé et affiné ensuite par la Directive 2000/78, impose de donner une définition de droit communautaire à cette notion.

Décision

CJUE, 11 avril 2013, aff. C-335/11 et C-337/11 (N° Lexbase : A1362KCG)

Textes concernés : Directive 2000/78/CE (N° Lexbase : L3822AU4).

Mots-clés : politique sociale, Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, Directive 2000/78/CE, égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, différence de traitement fondée sur le handicap, licenciement, existence d'un handicap, absences du salarié en raison de son handicap, obligation d'aménagement, travail à temps partiel, durée du délai de préavis.

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