Lexbase Social n°525 du 25 avril 2013 : Sécurité sociale

[Questions à...] Complément de libre choix d'activité : l'ouverture sans condition de ressource aux travailleurs non salariés Questions à Maître Yannic Flynn, avocat au cabinet Eoche-Duval Morand Rousseau et associés

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 13 mars 2013, n° 360815 (N° Lexbase : A9909I9U)

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[Questions à...] Complément de libre choix d'activité : l'ouverture sans condition de ressource aux travailleurs non salariés Questions à Maître Yannic Flynn, avocat au cabinet Eoche-Duval Morand Rousseau et associés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8198041-questionsacomplementdelibrechoixdactivitelouverturesansconditionderessourceauxtravaille
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par Elise Rossi, SGR Protection sociale

le 25 Avril 2013

Le Conseil d'Etat a rendu un arrêt, le 13 mars 2013, qui a fait peu de bruit mais qui pourrait avoir des répercutions financières conséquentes dans les comptes de la Sécurité sociale. Le Gouvernement a, d'ailleurs, pris soin d'alerter, de manière discrète mais rapide, les caisses d'allocations familiales sur le sujet. Le Conseil d'Etat a estimé qu'en imposant, uniquement, aux travailleurs non salariés un plafond de ressources, les dispositions du II de l'article D. 531-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3497IMH), relatif aux conditions d'attribution du complément de libre choix d'activité, instituent une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation. Rappelons les faits de cette affaire, une avocate, ayant fait le choix de travailler à temps partiel (80 %) pour s'occuper de son enfant, s'est vue opposer un refus par une caisse d'allocations familiales de lui accorder le complément de libre choix d'activité. La cause de ce refus résidant dans le fait que l'avocate non salariée avait perçu un revenu dépassant le plafond prévu à l'article D. 531-9 précité. L'assurée sociale a alors demandé au Conseil d'Etat d'apprécier la légalité des dispositions du II de l'article D. 531-9. L'ouverture, par le Conseil d'Etat aux travailleurs non salariés, au bénéfice du complément de libre choix d'activité, sans condition de ressources, élargit sensiblement le champ d'application de ladite prestation. Or, en ces temps de crise, il ne fait pas bon perdre de l'argent pour l'Etat, un texte réglementaire aura, sans doute, tôt fait de remédier à cette situation. On comprend, alors, la discrétion des autorités ne voulant pas voir déferler les demandes des travailleurs non salariés. Mais toute la question sera de savoir quelle solution adoptera le Gouvernement ? En effet, l'instauration d'une différence entre travailleurs salariés et non-salariés devra évidemment éviter l'aspect discriminatoire. Pour nous éclairer sur cet arrêt Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Yannic Flynn, avocat au cabinet Eoche-Duval Morand Rousseau et associés, qui a plaidé l'affaire. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler la législation applicable pour pouvoir ouvrir droit au bénéfice du complément de libre choix d'activité ?

Yannic Flynn : Lorsqu'un travailleur décide de réduire son temps de travail à l'occasion de l'arrivée d'un enfant dans son foyer, la caisse d'allocations familiales (CAF) lui verse, sous certaines conditions, un complément de libre choix d'activité (CLCA). L'article L. 531-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3537IMX) dispose à cet effet que : "le complément est attribué à taux partiel à la personne qui exerce une activité ou poursuit une formation professionnelle rémunérée, à temps partiel. Son montant est fonction de la quotité de l'activité exercée ou de la formation suivie. Les quotités minimale et maximale de l'activité ou de la formation sont définies par décret. Les modalités selon lesquelles ce complément à taux partiel est attribué aux personnes mentionnées aux articles L. 751-1 (N° Lexbase : L4516ADM ; recod. art. L. 7313-1 N° Lexbase : L3426H9R) et L. 772-1 (N° Lexbase : L6669HNC ; recod. art. L7221-1 N° Lexbase : L3379H9Z) du Code du travail, aux 1°, 4° et 5° de l'article L. 615-1 (N° Lexbase : L7756DKH) et à l'article L. 722-1 (N° Lexbase : L1621GUL) du présent code, aux articles L. 722-4 (N° Lexbase : L3117IGK), L. 722-9 (N° Lexbase : L1401AN9), L. 722-22 (N° Lexbase : L1414ANP) et L. 722-28 (N° Lexbase : L1420ANW) du Code rural et de la pêche maritime ainsi qu'aux élus locaux sont adaptées par décret".

D'une manière générale, pour ceux qui décident de baisser leur temps de travail à 80 %, l'article D. 531-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0341HPC) dispose que "les taux du complément de libre choix d'activité à taux partiel mentionné à l'article L. 531-4 sont égaux (...) lorsque l'activité à temps partiel exercée ou la formation professionnelle rémunérée suivie est supérieure à 50 % et au plus égale à 80 % de la durée légale du travail ou de la durée considérée comme équivalente, à 36, 03 % de la base mensuelle de calcul des allocations familiales fixée en application de l'article L. 551-1 (N° Lexbase : L4511IRI)". Il suffit donc de justifier uniquement d'une réduction de son temps de travail pour bénéficier du CLCA. 

Toutefois, ainsi que l'alinéa 2 de l'article L. 531-4 le précise, les travailleurs non-salariés sont soumis à des modalités particulières d'octroi du complément. Pour ces catégories de travailleurs, l'article D. 531-9, II du Code de la Sécurité sociale précise les dispositions suivantes : "le bénéfice du complément de libre choix d'activité à taux partiel mentionné au 2° du II de l'article D. 531-4 est ouvert aux catégories mentionnées au I, lorsque le nombre d'heures de travail mensuel à temps partiel déclaré sur l'honneur par le demandeur est supérieur à 50 % et au plus égal à 80 % de la durée légale du travail et que cette activité à temps partiel ne lui procure pas une rémunération mensuelle nette ou un revenu professionnel divisé par douze supérieur à 170 % du salaire minimum de croissance multiplié par 169".

Il ne suffisait donc pas au travailleur non salarié de justifier, uniquement, d'une réduction de son temps de travail puisque l'article D. 531-9 II du Code de la Sécurité sociale lui imposait d'établir au surplus que sa rémunération mensuelle nette demeure en deçà d'un certain seuil fixé par le texte. Tel a été l'objet de la contestation menée devant le Conseil d'Etat.

Lexbase : La solution de l'arrêt, de considérer l'imposition d'un plafond de ressources, à certaines catégories, comme une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation, vous paraît-elle justifiée ?

Yannic Flynn : La solution de l'arrêt est, bien évidemment, justifiée. Je suis parti d'un simple constat : prenons l'exemple d'un cadre travailleur salarié avec un revenu mensuel net de 3 500 euros. En réduisant la durée de son temps de travail à 80 %, son salaire sera également réduit d'1/5ème, soit un revenu mensuel ramené à la somme de 2 800 euros. Du seul fait que ce cadre soit un salarié, il pourra bénéficier du CLCA, sans condition de ressources, alors qu'en pratique son revenu mensuel, après réduction de son temps de travail, sera supérieur au seuil appliqué aux travailleurs non-salariés. Cette situation était particulièrement injuste. Sur ce point le Conseil d'Etat a, par conséquent, estimé que le plafond de ressources institue une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation entre les travailleurs salariés et non-salariés.

Le fait de fixer un plafond de ressources en valeur absolue, sans qu'à aucun moment une quelconque comparaison ne soit faite entre les revenus perçus après la réduction du temps de travail et ceux perçus antérieurement, revenait à exclure, de facto, bon nombre de travailleurs non-salariés du bénéfice de la prestation, quand bien même ceux-ci avaient, effectivement, réduit leur temps de travail. En effet, le critère du plafond de revenus privait bel et bien, par principe, tous les travailleurs non-salariés qui diminuaient effectivement leur temps de travail, mais sans que leurs revenus ne diminuent sous le seuil du plafond fixé par le décret, du bénéfice de la prestation.

En outre, à la date de la contestation dans cette affaire, le plafond de ressources était fixé à la somme de 2 502,38 euros de salaire mensuel sans justifier que ce montant soit utile à la vérification de la diminution d'un temps de travail. Ce montant aurait pu être fixé à 1500 euros comme à 4000 euros sans que l'on puisse objectivement en comprendre les motifs.

L'ensemble de ces arguments a convaincu le Conseil d'Etat de déclarer le décret attaqué comme illégal.

Lexbase : En quoi les dispositions du II de l'article D. 531-9 du Code de la Sécurité sociale sont-elles entachées d'incompétence ?

Yannic Flynn : Au terme de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), la loi détermine les principes fondamentaux de la Sécurité sociale. S'agissant du CLCA, l'article L. 531-4 permettait seulement au pouvoir règlementaire "d'adapter les modalités d'attribution" de la prestation, notamment aux travailleurs non-salariés. Le Conseil d'Etat a estimé que le pouvoir règlementaire était seulement habilité par la loi à déterminer des conditions particulières d'attribution de la prestation sans pour autant avoir la possibilité d'exclure une partie des travailleurs non-salariés du bénéfice de celle-ci.

Alors que la loi ne fixe aucune restriction au bénéfice de la prestation sous réserve de la seule condition de réduction du temps de travail, le pouvoir règlementaire a excédé, en matière de CLCA, sa compétence en fixant un critère de limitation de l'attribution en fonction des revenus.

Lexbase : Selon vous, quelles vont être les conséquences de cet arrêt, notamment, en terme d'ouverture de l'aide aux travailleurs non salariés?

Yannic Flynn : Dans l'immédiat, et dans l'attente d'un nouveau décret, les travailleurs non-salariés peuvent tous solliciter un CLCA en déclarant sur l'honneur qu'ils réduisent leur temps de travail sans aucune condition de ressources.

Les conséquences en terme de finances publiques sont très importantes et il semblerait que le gouvernement ait communiqué, assez rapidement, auprès de l'ensemble des CAF pour les alerter du risque de recrudescence des demandes de prestation de la part des travailleurs non-salariés.

En outre, tous les contentieux actuellement en cours devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale contre les décisions des CAF sollicitant le remboursement du CLCA pour dépassement du plafond de ressources peuvent aboutir favorablement si la question de l'illégalité du décret est soulevé devant le juge.

J'ignore quelle piste de travail le Gouvernement va explorer pour déterminer un critère pertinent permettant de vérifier l'effectivité de la réduction du temps de travail par les travailleurs non-salariés. A mon avis, pour éviter l'écueil du critère discriminatoire, je ne vois pas comment le Gouvernement pourra faire l'économie d'une méthode comparative entre les revenus perçus l'année du travail à temps plein et ceux de l'année du travail à temps partiel.

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