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par Anne-Lise Lonné-Clément, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
le 11 Avril 2013
Ali Chellat : L'article 11 de la Convention précitée énonce que : "la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux Etats sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun. Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, les juridictions de cet Etat peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire".
Tout d'abord, il ressort de cet article que la juridiction compétente est celle du lieu où les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun. Ensuite, lorsque les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, la juridiction de cet Etat peut être compétente.
En fait, pour les époux franco-marocains, mariés en France ou au Maroc, il y a des situations où le tribunal français est compétent et d'autres où la compétence relève du tribunal marocain.
Premier cas : les époux sont domiciliés en France et de nationalité franco-marocaine. Ils ont contracté mariage devant les autorités marocaines. Ils doivent saisir le juge aux affaires familiales français d'une requête de divorce en se fondant sur les dispositions de l'article ci-dessus. En effet, le tribunal français est compétent lorsque les époux, quelle que soit leur nationalité, ont leur domicile en France.
Deuxième cas : les époux sont domiciliés en France et de nationalité franco-marocaine. Ils ont leur domicile commun en France. L'époux de nationalité marocaine a saisi la juridiction marocaine d'une demande en divorce. En cas de désaccord entre les époux sur la juridiction saisie, le juge marocain ne pourra prononcer le divorce dont il est saisi. L'autre époux défendeur peut refuser le divorce à l'étranger et invoquer le privilège de la juridiction française fondée sur son lieu de domicile commun en France et sur sa nationalité française.
Dans ce cas, il est recommandé de comparaître tout de même devant le tribunal marocain saisi et de soulever son incompétence dès le début de la procédure. Si l'époux est déterminé à refuser la compétence de la juridiction étrangère, il faut le faire par écrit afin d'éviter par la suite que le tribunal marocain n'oppose pas sa renonciation tacite à la compétence du tribunal français. Dès lors, le juge saisi devra vérifier sa compétence au regard de la convention précitée.
Le conjoint français a le droit de refuser le divorce prononcé par un tribunal marocain même si celui-ci s'est déclaré compétent et de revendiquer la compétence du juge français pour prononcer le divorce, quel que soit le lieu où a été célébré le mariage, et ceci en application des articles 14 (N° Lexbase : L3308AB7) et 15 (N° Lexbase : L3310AB9) du Code civil : "la compétence des tribunaux français est fondée sur la nationalité française du demandeur, même s'il n'est pas domicilié en France" et de l'article 1070 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1457H4Q).
Récemment, la Cour de cassation a déclaré inopposable la décision marocaine prononçant le divorce des époux, au seul motif que l'époux qui avait saisi le juge marocain avait frauduleusement déclaré que le domicile conjugal était situé au Maroc (Cass. civ. 1, 15 décembre 2012, n° 11-26.964, F-D N° Lexbase : A5700IYR).
Troisième cas : si l'un des époux est domicilié en France, l'autre au Maroc, le tribunal français se déclarera compétent mais la loi qui s'appliquera au divorce dépendra de la nationalité des époux.
Quatrième cas : si les époux ont tous les deux une double nationalité (française et marocaine) et leur domicile habituel en France, les juridictions de l'Etat français et de l'Etat marocain dont les époux ont tous deux la nationalité sont compétentes pour connaître les demandes en divorce des deux époux, quel que soit le lieu de leur domicile au moment de l'introduction de leur action (CA Rennes, 6ème ch., 29 mars 2011, n° 10/03649 N° Lexbase : A1758HM3).
Cinquième cas : si les époux sont de nationalité marocaine et d'accord pour saisir le tribunal marocain et avaient leur domicile commun ou leur dernier domicile commun en France, le juge marocain pourra prononcer le divorce dont il est saisi en se fondant sur les dispositions de l'article 11, alinéa 2, de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 : "Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, les juridictions de cet Etat peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire".
Lexbase : Comment est déterminée la loi applicable au divorce franco-marocain ?
Ali Chellat : L'article 309 du Code civil (N° Lexbase : L8850G9N), qui pose la règle de conflit de lois en matière de divorce, dispose que : "le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :
- lorsque l'un et l'autre des époux sont de nationalité française ;
- lorsque les époux ont, l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français ;
- lorsqu'aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux sont compétents pour connaître de la procédure de divorce ou de séparation de corps".
Selon cet article, la loi française est applicable aux époux :
- de nationalité française ;
- domiciliés en France de nationalité étrangère ;
- à qui aucune autre loi ne peut s'appliquer alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce.
Néanmoins, cet article a laissé la place à la Convention franco-marocaine précitée en permettant à des époux marocains et domiciliés en France de se voir appliquer leur loi nationale, plutôt que la loi française de leur domicile commun désignée par la règle de conflit de lois prévue à l'article 309, alinéa 2.
L'article 9 de cette Convention dispose que : "La dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux Etats dont les époux ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande. Si à la date de la présentation de la demande, l'un des époux a la nationalité de l'un des deux Etats et le second celle de l'autre, la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l'Etat sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun".
Il ressort de l'article 9, alinéa 1er, de la Convention précitée que lorsque les époux sont domiciliés en France, de nationalité marocaine et avaient leur domicile ou dernier domicile commun en France, le juge français est compétent et a pour obligation d'appliquer d'office sa règle de conflit de lois, car il sera en présence d'un élément d'extranéité : la nationalité marocaine des époux.
Dans ce cas, la prudence s'impose sur l'application du bon article au divorce demandé lors de la présentation de la demande. La loi marocaine devra être appliquée aux époux et ne peut être écartée que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public international.
Dans le même sens, les époux sont domiciliés en France et de nationalité marocaine. L'un des époux a saisi la juridiction marocaine et l'autre a saisi la juridiction française. La réponse se trouve dans l'article 11, alinéa 3, de la Convention précitée qui prévoit que, si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l'un des deux Etats, et si une nouvelle action entre les mêmes parties est portée devant le tribunal de l'autre Etat, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir à statuer à la condition que les deux actions aient le même objet (Cass. civ. 1, 28 mars 2006, n° 04-20362, FS-P+B+I N° Lexbase : A8282DN3).
Le conflit de compétence entre juridictions se règle au profit de la juridiction saisie en premier lieu, le juge français saisi d'une procédure de divorce doit apprécier sa propre compétence internationale. Cette compétence s'apprécie à la date du dépôt de la requête en divorce. Le juge saisi en second devra se dessaisir au profit du juge saisi en premier (Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 09-66.717, FS-D N° Lexbase : A0716EWG).
L'examen de cette Convention va dans le sens de l'application de la législation de l'Etat de résidence habituelle des époux franco-marocains ou marocains d'une part, et, d'autre part, de leur nationalité pour déterminer le tribunal et la loi compétents en cas d'un divorce.
Lexbase : Dans quelles conditions les décisions de divorce prononcées au Maroc sont-elles applicables en France ?
Ali Chellat : Lorsque l'on souhaite exécuter un jugement définitif marocain en France, il faut suivre une procédure particulière d'exécution des décisions de justice appelée procédure en exequatur.
L'exequatur est une notion spécifique au droit international privé. C'est une procédure visant à donner, dans un Etat, l'exécution forcée d'une décision rendue à l'étranger.
Les décisions de divorce rendues à l'étranger sont transcrites sur les registres de l'état civil français, après un contrôle effectué par le Procureur de la République.
Toutefois, les conditions de l'exequatur des décisions étrangères peuvent être soumises à une convention judiciaire signée par la France avec l'Etat dans lequel la décision de divorce a été prononcée. Tel est le cas, en l'espèce, entre le Maroc et la France.
L'article 16 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire et d'exequatur du 5 octobre 1957 (N° Lexbase : L5989IWQ) ordonne, dans cette optique, qu'"en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou au Maroc ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre pays si elles réunissent les conditions suivantes :
- la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles de droit international privé admises dans le pays où la décision est exécutée, sauf renonciation certaine de l'intéressé ;
- les parties ont été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes ;
- la décision est, d'après la loi du pays où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ;
- la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public du pays où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans ce pays. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans ce pays et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée".
Le 8 juillet 2010, la Cour de cassation avait refusé l'autorité de la chose jugée d'un jugement de divorce marocain prononcé. L'épouse n'avait pas été légalement citée au sens de la Convention judiciaire entre la France et le Maroc du 5 octobre 1957. Dès lors, le jugement marocain ne pouvait être reconnu en France (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-66.479, F-D N° Lexbase : A2410E4Z).
Dans un autre arrêt, en date du 7 novembre 2012, la Haute Cour avait refusé la reconnaissance du jugement étranger au motif que l'époux qui avait saisi la juridiction marocaine a obtenu en fraude un jugement financièrement favorable (Cass. civ. 1, 7 novembre 2012, n° 11-14.220, F-D N° Lexbase : A6763IWE).
Cet arrêt démontre bien que la Cour de cassation n'hésite pas non plus à sanctionner simultanément sur le terrain de la fraude et de l'ordre public.
Enfin, le 12 septembre 2012, la Cour de Cassation avait indiqué que la dispense d'exequatur, prévue à l'article 14 de la Convention du 10 août 1981 signée entre ces mêmes Etats, est sans effet lorsqu'est demandée l'exécution de la décision en France. Dès lors, il incombe au juge, saisi d'une demande d'exequatur d'un jugement de divorce rendu au Maroc, de contrôler les conditions de régularité internationale du jugement énumérées à l'article 16 de la Convention du 5 octobre 1957 signée entre la France et le Maroc (Cass. civ. 1, 12 septembre 2012, n° 11-17.023, F-P+B+I N° Lexbase : A5540ISY).
Lexbase : Jugez-vous satisfaisantes les solutions ainsi exposées applicables aux couples franco-marocains résultant de la Convention franco-marocaine ?
Ali Chellat : J'estime que la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 devrait être modifiée, surtout après les réformes effectuées dans le Code civil et dans le Code de la famille marocain. Ce dernier doit évoluer afin de parvenir à des résultats rayonnants en droit international privé. Certaines situations ne soulèvent pas de véritables difficultés, d'autres ont donné lieu à diverses interprétations et les solutions retenues ne sont pas toujours satisfaisantes.
Les conséquences de la dissolution d'un lien conjugal ne sont pas de mettre fin à la situation juridique antérieure, mais de créer une situation juridique nouvelle. Pourquoi pas une nouvelle convention donnant aux époux la possibilité de choisir le tribunal et la loi applicable à leur divorce, évitant ainsi de saisir différents tribunaux ?
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