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par Xavier Chiloux, Avocat à la Cour, Ancien Membre du Conseil National des Barreaux, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre
le 02 Février 2022
Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Loi du 31 décembre 1971, 50 ans après » et publié dans l’édition n° 322 du 3 février 2022 de la revue Lexbase Avocats. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N0147BZH.
Le conseil de l’Ordre des avocats est un peu ce qu’est un parlement à une monarchie constitutionnelle, la plupart du temps, et à une monarchie absolue trop souvent.
Ne nous leurrons pas, le pouvoir surtout dans les barreaux importants, comme Paris, appartient plus au Bâtonnier qu’au conseil de l’Ordre et ce malgré les textes en vigueur.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas très bien la profession d’avocat, l’accession au conseil de l’Ordre pour un avocat est l’une des marches d’un cursus honorum assez court.
En effet, il y a assez peu de distinction chez les avocats entre un débutant de 25 ans et un avocat aspirant à devenir Honoraire.
Au cours de sa carrière, l’avocat pourra prétendre à être secrétaire, puis ancien secrétaire de la conférence du stage, et ce dans les premières années d’exercice, puis par la suite, membre et ancien membre du conseil de l’Ordre, membre et ancien membre du conseil national des barreaux et outre la présidence de quelques organismes techniques ou autonomes de la profession, Bâtonnier de l’Ordre.
Comme on le voit, il y a assez peu de promotion dans une profession qui se veut farouchement libérale et indépendante.
C’est pourquoi, chaque année, l’accession à la qualité de membre du conseil de l’Ordre via une élection par ses pairs, est recherchée.
Peut-être d’ailleurs devrions-nous dire était recherchée.
De fait, alors qu’il y a encore quelques années, à tout le moins en ce qui concerne le barreau de Paris, il y avait parfois 45 candidats pour 12 postes, nous sommes plus aujourd’hui sur un ratio de 24 candidats pour 14 postes.
Quelles sont les raisons de cette relative désaffection ?
Peut-être un désintérêt qui est un peu dans l’air du temps tendant à une promotion de l’individualisme et d’un manque d’appétence pour l’autre et les affaires publiques.
Peut-être aussi, car il faut le souligner le mandat de trois ans du membre du conseil de l’Ordre n’est pas rémunéré, ni d’ailleurs indemnisé pour les frais, une volonté de plutôt se consacrer au développement de son cabinet.
C’est bien dommage assurément, car outre le mandat passionnant de trois ans, les élections au conseil de l’Ordre ne manquent pas de piment ni d’intérêt.
Certains s’en sont fait l’écho [1].
Reprenons si vous le voulez bien un cours plus linéaire et académique du propos.
Les textes qui régissent le conseil de l’Ordre sont la loi portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, du 31 décembre 1971N° Lexbase : L6343AGZ et le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID, années importantes pour les avocats car il s’agit pour la première de la fusion avec les avoués de première instance et pour la seconde de celle avec les conseils juridiques.
De par, ces textes, le conseil de l’Ordre dispose de trois grandes missions :
En pratique, de quoi s’agit-il ?
Pour résumer, on parle ici de la gestion du tableau des avocats, des modifications du règlement intérieur (RIBP à Paris), de l’autorisation des structures d’exercice et des bureaux secondaires, de la déontologie, de la discipline, de la gestion des biens de l’Ordre, et tout ceci en autorégulation.
I. L’Élection
Les membres du conseil de l’Ordre sont renouvelés par tiers chaque année pour former cet organe délibérant qui administre l’Ordre et qui est présidé par un Bâtonnier élu lui, tous les deux ans et qui paradoxalement n’en est pas membre.
Depuis 2016, il n’existe quasiment plus de conseil de l’Ordre en nombre impair sauf dans les barreaux entre 8 et 15 avocats (trois membres du conseil de l’Ordre).
En dessous de huit avocats, les attributions du conseil de l’Ordre sont dévolues à l’assemblée générale du tribunal de grande instance.
Nous voilà donc avec des conseils de l’Ordre en nombre impair dont le plus grand est celui de Paris avec 42 membres.
Cette caractéristique, pair/impair pourrait sembler totalement anecdotique si cependant elle n’avait pas conditionné en 2016 le mode d’élection actuel des membres du barreau
En effet, dans le but d’ériger en principe la parité, qui rappelons-le, n’est pas de 50/50, mais de 60/40 ou 40/60, il avait donc été prévu des élections paritaires de membre du conseil de l’Ordre, en deux collèges : masculin et féminin, étant précisé qu’il y aurait tirage au sort entre candidats de sexe opposé dans les barreaux impairs.
Il aurait semblé évident et rationnel de pratiquer, comme dans de nombreuses assemblées paritaires, avec un collège féminin d’un côté et un collège masculin de l’autre, chacun présentant des membres dans chaque catégorie.
Néanmoins, et alors qu’à l’époque les conseils de l’Ordre impair étaient plus nombreux qu’aujourd’hui, un statisticien de la chancellerie a mis en évidence que si, en cas d’égalité dans tous les conseils de l’Ordre impair, il y avait au tirage au sort le même sexe qui apparaissait, la parité ne serait plus alors de 40/60 mais de 38/62…
Ceci a amené à mettre en place un système assez peu naturel et contesté par plusieurs avocats, de présentation en binôme : féminin/masculin.
Ce mode de fonctionnement favorise les syndicats qui sont légitimes à présenter des binômes parmi leurs membres et pénalise les candidats indépendants, si tant est qu’il en reste d’ailleurs, qui doivent trouver un alliage qui ne plaît pas forcément à leur électorat naturel.
On remarque ainsi depuis quelques années que ce système amène à une surreprésentation des syndicats qui arrivent à faire élire systématiquement un, mais.
II. Le Fonctionnement
Une fois tout ce petit monde élu, il va falloir envisager le fonctionnement de ce conseil de l’Ordre lors de séances qui sont habituellement hebdomadaires, mais que certains Bâtonniers ont parfois voulues bimensuelles, le conseil de l’Ordre n’ayant aucun pouvoir quant à sa convocation.
Il convient que la moitié de ses membres soit présents, et s’il y a bien un Ordre du jour, toute autre question qui n’en serait pas issue peut faire l’objet d’un vote, à tout le moins en théorie.
Celui-ci n’est soumis à aucun formalisme et peut même être dorénavant électronique dans certain conseil de l’Ordre.
Pas plus de formalisme d’ailleurs concernant les délibérations de l’Ordre dans les textes.
Néanmoins à la fameuse formule de l’ancien régime : « l’Ordre n’a pas de registre » l’ère moderne a répondu par des PV de séance rédigés par le secrétaire du conseil de l’Ordre et validés de réunion en réunion.
Si le conseil de l’Ordre dispose du pouvoir d’affecter certains de ses membres à certaines fonctions, en fait c’est le Bâtonnier qui préside notamment à l’établissement de l’organigramme.
Certains postes prestigieux sont recherchés qui parfois dans certains barreaux, dont Paris étaient rémunérés.
À la tradition du plus jeune des membres pour devenir secrétaire du conseil s’est substitué celui de véritable bras droit du Bâtonnier en exercice.
D’autres nominations sont particulièrement prestigieuses comme celle de secrétaire de la commission de déontologie, secrétaire de la commission de l’exercice et enfin secrétaire de la commission financière.
Ces « patrons » vont chapeauter plusieurs sous-services composant une structure particulièrement élaborée dans les grands barreaux.
Ainsi, la déontologie contrôlera plusieurs commissions elles-mêmes dirigées par d’autres membres du conseil de l’Ordre.
Il s’agit de celles : de la commission du secret de la confidentialité, du conflit d’intérêts et des incompatibilités, de la réglementation de l’exercice du droit, du respect du contradictoire, de la succession entre avocats, des honoraires et du ducroire.
Le ducroire est d’ailleurs une notion que l’on apprend pendant ses études pour immédiatement l’oublier et qui revient à l’esprit une fois membre du conseil de l’Ordre.
Son principe en est simple : lorsqu’un avocat fait travailler un prestataire pour le compte de son client, il doit en garantir le paiement des prestations sauf à préciser dans la lettre de mission qu’il ne le fera pas et donc qu’il ne sera pas ducroire.
Ainsi, si vous n’avez pas précisé que vous n’étiez pas ducroire… vous l’êtes…
Traditionnellement, le deuxième pôle majeur est celui de l’exercice.
On y retrouve ainsi les commissions suivantes : accès dérogatoire, interprofessionnalité, structure professionnelle, recouvrement des cotisations et omissions financières.
Dépendent aussi de l’exercice les deux grandes commissions préalables de conciliation avant la saisine de l’arbitrage du Bâtonnier que sont la commission des difficultés d’exercice en groupe, et la commission de la collaboration.
Enfin, il reste la commission financière centrale et stratégique comme chacun le sait.
Comme chaque Bâtonnier adore marquer, ou tenter de marquer de son empreinte le fonctionnement de l’Ordre, au fil du temps de nombreuses commissions se sont rajoutées.
On peut parler ici des relations avec les justiciables, des relations avec les juridictions, de la responsabilité sociale de l’avocat : qualité de vie et handicap, de la commission égalité, de la commission harcèlement et lutte contre les discriminations, de la commission internationale, de celle des affaires publiques, de celle encore de la médiation et des modes alternatifs de règlement des différends, de la commission culture et pour finir de la commission sport !
Toutes ces commissions travaillent sous l’égide de leur secrétaire et rapportent de leurs travaux suivant l’Ordre du jour établi par le Bâtonnier au conseil de l’Ordre.
III. Les Fonctions
Le règlement intérieur
Il s’agit là d’une mission primordiale du conseil de l’Ordre consacrée dès l’origine, mais renforcée encore par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L7957DNZ.
Si ce pouvoir est cependant subsidiaire par rapport à celui du Conseil national des barreaux (CNB), il n’en reste pas moins important.
Le règlement intérieur, RIBP à Paris, est en effet l’ensemble des textes qui doivent régler la vie quotidienne des membres des barreaux.
Ainsi seront définies les modalités d’élection des membres du conseil de l’Ordre ainsi que du Bâtonnier et du vice-Bâtonnier le cas échéant, les dates d’élections, les conditions dans lesquelles les délibérations de l’assemblée générale sont prises, les droits et devoirs des collaborateurs, ceux de ceux qui les emploient, les rétrocessions minimales d’honoraires…
Toute modification du règlement intérieur doit être notifiée au procureur général, au premier président de la cour, au président du tribunal de grande instance dont dépend le barreau, aux avocats inscrits et enfin doit être déposée au greffe.
Le budget de l’Ordre
Le conseil de l’Ordre vote le budget qui néanmoins est présenté, et donc organisé et préparé par le bâtonnier.
Il agit ainsi plus en qualité de chambre d’enregistrement qu’autre chose.
Néanmoins, et cela fut le cas il y a peu à Paris, avec un projet à près de 100 millions d’euros, le conseil de l’Ordre vote les acquisitions et aliénations immobilières.
Les visas
Les membres du conseil de l’Ordre, le plus souvent par roulement, doivent lire et apprécier tous les actes judiciaires mettant en cause un professionnel du droit : huissier, notaire, magistrat, greffier, et avocat entre autres.
Si les documents soumis semblent respecter les principes essentiels, dont notamment ceux de délicatesse, de courtoisie et de dignité, le membre en charge octroiera son visa préalable à l’acte.
Dans le cas contraire, il invitera l’avocat à modifier son projet en fonction de ces fameux principes essentiels de la profession.
Le Tableau
Le conseil de l’Ordre statue sur les inscriptions des avocats au tableau, sur les différentes omissions, qu’elles soient financières, à la demande du protagoniste ou à celle du procureur.
Il autorise les mentions de spécialisation revendiquée par les avocats, il autorise les avocats ayant quitté provisoirement la profession à la rejoindre de nouveau et enfin il autorise les ouvertures de bureau secondaire.
Les commissions
Le travail le plus prégnant du membre du conseil de l’Ordre est cependant celui de siéger dans les différentes commissions dont il relève.
Celles-ci peuvent être fort nombreuses et solliciter de ce fait une implication que l’on dit de un jour la première année du mandat, puis de deux la seconde pour finir à trois lors de dernière année.
Ceci est bien évidemment une moyenne à mettre en perspective avec l’adage fort connu qu’un tiers des membres du conseil de l’Ordre travaille, un autre tiers sur-travaille et le dernier… ne fait pas grand-chose…
Pour une illustration de la quantité et bien évidemment de la qualité de travail à fournir dans les commissions, l’on prendra l’exemple d’un membre du conseil de l’Ordre de Paris avec ses différentes fonctions :
IV. La discipline
Dans tous les barreaux de France sauf celui de Paris, la procédure disciplinaire est dévolue au conseil de discipline et non au conseil de l’Ordre.
Paris est donc une exception notable et l’investissement, tant des membres du conseil de l’Ordre, des anciens membres du conseil de l’Ordre que des anciens Bâtonniers dans cette procédure disciplinaire particulière, est importante.
La production de Paris en matière disciplinaire, toutes proportions gardées, est beaucoup plus importante qu’en province et il est rare que les formations ne siègent pas, pour à chaque fois plusieurs affaires, chaque mois.
La procédure est engagée après une plainte d’un tiers, d’un avocat ou par saisine du ministère public, le plus souvent après une condamnation pénale d’un avocat.
Il y a bien une autorité de poursuite, souvent dirigée par un ancien membre du conseil de l’Ordre, mais le Bâtonnier reste partie prenante dans la procédure disciplinaire, ayant l’opportunité des poursuites.
Certains s’en émeuvent et il n’est pas totalement impossible d’imaginer que le Bâtonnier puisse renoncer à cette fonction, lui qui doit aussi être le garant des secrets de ses confrères, transmettant l’opportunité des poursuites à la seule autorité de poursuite.
Au cours de l’année 2021, deux décisions de la cour d’appel statuant en second degré du conseil de discipline de Paris ont ébranlé celui-ci et l’indépendance des parties prenantes disciplinaires a été contestée.
Il s’agit des décisions Vermeille et Bourdeaut dont les bénéficiaires ont assuré la publicité sur les réseaux sociaux.
La stigmatisation de l’instrumentalisation de la procédure disciplinaire par certains cabinets d’avocats est une accusation qui revient fréquemment dorénavant.
Le tout nouveau membre du conseil de l’Ordre de paris a le choix entre siéger en formation disciplinaire ou devenir instructeur aux pouvoirs assez comparables à ceux d’un juge d’instruction.
Néanmoins, et a contrario de celui-ci, l’instructeur ne dispose pas du pouvoir de non-lieu.
Ceci implique qu’une fois que la procédure disciplinaire a été lancée… elle doit aller à son terme jusqu’à la décision du conseil de discipline.
Là encore, cette procédure gagnerait à être amendée tant la comparution des avocats lors de la phase d’instruction permet souvent de dégonfler totalement la prétendue faute disciplinaire, à l’origine de la poursuite.
Les formations disciplinaires parisiennes, au nombre de cinq dorénavant, siègent la plupart du temps le mardi matin lors de procédures contradictoires dans lesquelles si le mis en cause est entendu, le plaignant pour l’heure ne l’est pas.
Après un exposé du rapporteur, qui par la suite rédigera l’arrêté, le mis en cause s’exprime avant les réquisitions de l’autorité de poursuite et la défense qui doit avoir la parole en dernier.
Les formations disciplinaires sont présidées par des anciens Bâtonniers.
Il est à noter une réforme qui risque de changer éminemment la donne, issue de la loi confiance dans les institutions judiciaires.
En effet, dorénavant lorsqu’un tiers sera plaignant ou lorsque le mis en cause le sollicitera, les formations disciplinaires ne seront plus présidées par un ancien Bâtonnier mais par un magistrat de l’Ordre judiciaire.
Comme on a pu le voir, le conseil de l’Ordre de par ses membres, est une cheville ouvrière indispensable du fonctionnement d’un barreau, organe de décision quelquefois et surtout de consultation, gardien des principes essentiels de la profession qui sont les socles de la déontologie donc de la raison d’être des avocats.
[1] X. Chiloux, Petit guide Chiloux des élections au conseil de l’Ordre des avocats, L'Empyrée, 2013.
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