Lexbase Social n°505 du 15 novembre 2012 : Rémunération

[Jurisprudence] Le paiement du salaire du travail temporaire

Réf. : Cass. soc., 31 octobre 2012, n° 11-21.293, FS-P+B (N° Lexbase : A3368IWN)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 15 Novembre 2012

Le travail temporaire, comme toutes les mises à disposition, à ceci de particulier qu'il revêt un caractère triangulaire et que l'on peut parfois avoir le sentiment que le pouvoir de direction est diffus ou, tout du moins, est ventilé entre l'employeur de droit qu'est l'agence de travail temporaire et l'employeur de fait qu'est l'entreprise utilisatrice. S'il est vrai qu'un certain nombre d'obligations est mis à la charge de l'entreprise utilisatrice par le Code du travail, il convient pour autant de ne pas oublier que cette décharge de l'entreprise de travail temporaire n'est qu'exceptionnelle. D'une manière générale, comme le juge la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 31 octobre 2012, l'entreprise de travail temporaire demeure l'employeur du salarié et assume, à ce titre, la charge du paiement du salaire du travailleur (I). Le rappel de cette règle, au demeurant fort logique, a cependant pour effet de mettre en exergue les différences de traitement qui existent selon les obligations mises en cause (II).
Résumé

L'obligation de verser au travailleur temporaire mis à la disposition d'une entreprise des salaires conformes aux dispositions légales ou conventionnelles ou aux stipulations contractuelles qui lui sont applicables, pèse sur l'entreprise de travail temporaire laquelle demeure l'employeur, à charge pour elle, en cas de manquement à cette obligation, de se retourner contre l'entreprise utilisatrice dès lors qu'une faute a été commise par cette dernière.

Commentaire

I - Le paiement du salaire, une obligation à la charge de l'entreprise de travail temporaire

  • Caractère triangulaire de la relation de travail temporaire

Comme l'est l'ensemble des mises à disposition de travailleurs d'une entreprise à une autre, la relation de travail temporaire connaît la particularité d'impliquer trois acteurs (1). En effet, l'article L. 1251-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1519H97) dispose que "le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d'un client utilisateur pour l'exécution d'une mission". Ce texte illustre toutes les spécificités de cette relation.

En effet, d'un point de vue juridique, l'employeur du salarié intérimaire est l'agence de travail temporaire ; en revanche, d'un point de vue plus factuel, c'est à l'employeur de l'entreprise utilisatrice que le salarié est quotidiennement confronté au cours de sa mission. Compte tenu de cette dualité, il était tout à fait essentiel que les textes s'intéressent à la répartition des pouvoirs et des responsabilités entre ces deux entités.

  • Répartition des responsabilités entre les différents intervenants

La mission de travail temporaire est, comme le contrat de travail à durée déterminée, enserrée dans des conditions de fond et de forme bien particulières. Sur le fond, le contrat de mission ne peut être conclu pour pourvoir un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise (2) et doit répondre à l'un des cas de recours prévus par le Code du travail (3). Sur la forme, la relation de travail implique la conclusion de deux contrats, l'un qualifié de contrat de mission conclu entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié (4), l'autre qualifié de contrat de mise à disposition conclu entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice (5).

A ce stade déjà, le non-respect de ces conditions de validité de la relation de travail emporte une répartition des responsabilités entre entreprise de travail temporaire et entreprise utilisatrice. Schématiquement, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge en effet que lorsqu'une irrégularité de forme est constatée, la relation de travail est requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée entre le salarié et l'entreprise de travail temporaire. Au contraire, lorsqu'il est recouru à un travailleur temporaire en dehors des cas de recours prévus par le Code du travail, la relation est requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à l'encontre de l'entreprise utilisatrice (6).

Au cours de la mission, les obligations et responsabilités de chacune des deux entreprises sont précisées par les articles L. 1251-21 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1561H9P). L'entreprise utilisatrice est "responsable des conditions d'exécution du travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail". Elle doit également fournir au salarié les équipements de sécurité nécessaires à l'exercice de ses fonctions. Pour sa part, l'entreprise de travail temporaire assume les obligations liées à la médecine du travail.

Ces textes sont parfois contradictoires, semblant faire peser sur chacun des employeurs des obligations liées à la santé et à la sécurité. Ils demeurent surtout lacunaires puisque l'exécution des conditions de travail invoquée ne recouvre pas l'ensemble des aspects de la relation de travail (le texte vise, de manière limitative, la durée du travail, le travail de nuit, le repos hebdomadaire et les jours fériés, la santé et la sécurité au travail et le travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs). Quid, par exemple, de la rémunération du salarié ?

  • La charge de la rémunération du travailleur temporaire

Nombre de problèmes peuvent être réglés en se rappelant que seule l'agence de travail temporaire a la qualité d'employeur. En particulier, c'est elle qui rémunère le travailleur temporaire, qui lui verse le salaire "que percevrait dans l'entreprise utilisatrice [...] un salarié de qualification professionnelle équivalente occupant le même poste de travail" (7).

Cette rémunération doit recouvrir le salaire mais aussi l'ensemble des accessoires, primes ou avantages tels que, par exemple, le paiement d'une prime de treizième mois (8) ou l'octroi de tickets-restaurant (9). La Chambre sociale va même jusqu'à exiger de l'entreprise de travail temporaire qu'elle mène les recherches nécessaires auprès de l'utilisateur pour déterminer le montant exact de cette rémunération (10).

Si toutefois l'entreprise utilisatrice fournit de fausses informations ou refuse de donner les informations nécessaires, ce comportement permet traditionnellement à l'entreprise de travail temporaire d'intenter un recours récursoire contre l'utilisatrice (11). C'est sur une question similaire que la Chambre sociale était appelée à se prononcer dans la décision sous examen.

  • L'espèce

Un salarié fut engagé par une entreprise de travail temporaire pour une mission de quelques mois en qualité de chauffeur poids-lourds. Reprochant à l'agence de travail temporaire de ne pas rémunérer les heures supplémentaires et le travail de nuit, il rompit le contrat de travail et saisit le juge prud'homal.

La cour d'appel de Bordeaux débouta le salarié de ses demandes sur le fondement de l'article L. 1251-21 du Code du travail et de la règle selon laquelle, durant la mission, c'est l'entreprise utilisatrice qui est responsable de l'exécution des conditions de travail. Les heures supplémentaires et le travail de nuit relevant de la responsabilité de l'entreprise utilisatrice, la responsabilité du non-paiement des salaires et indemnités correspondant à ces temps de travail ne pouvaient incomber à l'entreprise de travail temporaire.

Cette décision est cassée par un arrêt rendu le 31 octobre 2012 par la Chambre sociale de la Cour de cassation au visa des articles L. 1251-2 (N° Lexbase : L1519H97), L. 1251-18 (N° Lexbase : L1556H9I) et L. 3221-3 (N° Lexbase : L0799H9H) du Code du travail. La Chambre sociale motive sa décision en énonçant que "l'obligation de verser au travailleur temporaire mis à la disposition d'une entreprise des salaires conformes aux dispositions légales ou conventionnelles ou aux stipulations contractuelles qui lui sont applicables, pèse sur l'entreprise de travail temporaire laquelle demeure l'employeur, à charge pour elle, en cas de manquement à cette obligation, de se retourner contre l'entreprise utilisatrice dès lors qu'une faute a été commise par cette dernière" si bien que la cour d'appel ne pouvait débouter le salarié en jugeant que seule l'entreprise utilisatrice était responsable.

II - Le paiement du salaire, symbole d'une répartition variable des responsabilités entre entreprise de travail temporaire et entreprise utilisatrice

  • L'entreprise de travail temporaire, première responsable du paiement des salaires

On retrouve, au travers de cette décision, une argumentation relativement classique de la Chambre sociale en matière de répartition des responsabilités entre entreprise de travail temporaire et entreprise utilisatrice s'agissant des salaires. En effet, la formule utilisée diffère peu de celle déjà invoqué dans une décision du 4 décembre 1996 déjà évoquée (12).

Si la solution n'est donc guère étonnante, elle répond également à une logique induite par le Code du travail lui-même. Puisque le législateur qualifie expressément l'entreprise de travail temporaire d'employeur du salarié intérimaire, cette entreprise doit assumer les obligations principales liées au contrat de travail, à savoir, l'obligation de fournir du travail au salarié et l'obligation de le rémunérer pour le travail effectué.

Le raisonnement est encore renforcé par le texte qui, pourtant, avait été invoqué par les juges d'appel au soutien de leur décision. En effet, l'article L. 1251-21 du Code du travail donne le sentiment d'exonérer l'entreprise de travail temporaire de sa responsabilité s'agissant des conditions d'exécution du travail. Une telle décharge ne peut qu'être exceptionnelle et doit, à ce titre, faire l'objet d'une interprétation stricte, cela d'autant que les éléments visés (durée du travail, travail de nuit, etc.) le sont de manière limitative. La rémunération ne ressortit pas de cette catégorie des conditions d'exécution du travail, elle reste donc à la charge de l'entreprise de travail temporaire.

Enfin, il peut être relevé que l'entreprise utilisatrice n'assume pas de solidarité avec l'entreprise de travail temporaire quant aux dettes de salaire (13) comme cela est le cas pour d'autres mises à disposition, par exemple, dans le cadre des groupements d'employeurs (14).

  • La responsabilité indirecte de l'entreprise utilisatrice

Enfin, il convient de constater que la Chambre sociale ne laisse pas l'entreprise de travail temporaire dans une situation inextricable. En effet, si elle lui impose de rémunérer le salarié, y compris pour des indemnités de travail de nuit ou des contreparties d'heures supplémentaires, elle lui donne tout de même un véritable pouvoir d'injonction sur l'entreprise utilisatrice qui peut être littéralement sommée de fournir des informations précises et sincères sur le nombre d'heures de travail réalisé ou sur les avantages perçus par les salariés de l'entreprise.

Si toutefois l'entreprise utilisatrice ne fournissait aucune information ou donnait de fausses informations à l'entreprise de travail temporaire, ce comportement constitutif d'une faute permettrait donc à l'entreprise de travail temporaire de se "retourner" contre l'entreprise utilisatrice. Si la Chambre sociale ne précise pas la nature exacte de cette action, on peut légitimement penser qu'elle prendra appui sur la relation contractuelle qui lie nécessairement les deux entreprises. L'obligation d'information à la charge de l'utilisateur serait en quelque sorte une obligation accessoire au contrat de mise à disposition. Cela n'a, au fond, rien de bien surprenant : le contrat de mise à disposition n'est qu'une forme particulière de contrat d'entreprise, contrat d'entreprise au sein duquel l'obligation de coopération à la charge du maître d'ouvrage n'a cessé de se développer (15).

  • Des obligations à deux vitesses ?

Il reste cependant à constater que les obligations à la charge des employeurs ne font pas toujours l'objet d'une répartition distributive. On se souviendra, notamment, que l'obligation de sécurité a été clairement mise à la charge de chacun des deux employeurs par la Cour de cassation (16). Comme le relevait Christophe Radé, cette position est parfaitement justifiée puisque les textes du Code du travail répartissent la charge des différentes obligations (médecine du travail, équipements de sécurité, etc.) entre les différents employeurs.

Cette position, mise en parallèle avec la décision sous examen, a cependant pour effet d'esquisser une sorte de hiérarchie dans les obligations à la charge des employeurs d'un salarié intérimaire. Alors que l'obligation de sécurité, dont on ne peut plus raisonnablement penser qu'elle soit accessoire au contrat de travail, fait l'objet d'une véritable solidarité entre les deux employeurs, l'obligation de paiement du salaire ne pèse que sur l'entreprise de travail temporaire, que sur le véritable employeur. Cela peut donner le curieux sentiment que la sécurité du travailleur a davantage d'importance que le paiement de son salaire...


(1) Sur les mises à disposition d'une manière générale, v. R. Vatinet, La mise à disposition de salariés, Dr. soc., 2011, p. 656 ; R. Marié, Vers une nécessaire redéfinition du droit de la mise à disposition, JCP éd. S, 2009, 1131.
(2) C. trav., art. L. 1251-5 (N° Lexbase : L1525H9D).
(3) C. trav., art. L. 1251-6 (N° Lexbase : L3211IMU).
(4) C. trav., art. L. 1251-16 (N° Lexbase : L1550H9B).
(5) C. trav., art. L. 1251-43 (N° Lexbase : L1601H98).
(6) Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-40.704, F-P+B (N° Lexbase : A4074EA7) et nos obs., Retour sur les hypothèses de requalification dans le cadre du travail temporaire, Lexbase Hebdo n° 320 du 1er octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3704BHN) ; Cass. soc., 20 mai 2009, n° 07-44.755, FS-P+B (N° Lexbase : A1905EHZ) et nos obs., Cumul de requalifications en matière de travail temporaire : la Cour de cassation persiste et signe !, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6302BKM).
(7) C. trav., art. L. 1251-18 (N° Lexbase : L1556H9I).
(8) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-40.755, FS-P+B (N° Lexbase : A7842DSA).
(9) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-42.853, FS-P+B (N° Lexbase : A7891DS3), JCP éd. S, 2007, 1240, note F. Bousez.
(10) L'entreprise de travail temporaire doit, au besoin, mettre en demeure l'utilisatrice de lui fournir les documents nécessaires à l'évaluation du montant de la rémunération, v. Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 94-18.701, publié (N° Lexbase : A0013ACH).
(11) Pour une situation dans laquelle de fausses informations avaient été fournies par l'utilisatrice, v. Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-42.108, F-D (N° Lexbase : A3499ECL), RJS, 2009, n° 291.
(12) V. note n° 10 ; V. également Cass. soc., 13 janvier 2009, préc..
(13) Sauf en cas de défaillance financière de l'entreprise de travail temporaire et de la caution que les articles L. 1251-49 (N° Lexbase : L1613H9M) et L. 1251-50 (N° Lexbase : L1615H9P) du Code du travail imposent à chaque agence de s'adjoindre, ce qui reste extrêmement rare, v. C. trav., art. L. 1251-52 (N° Lexbase : L1618H9S).
(14) V. le dossier consacré aux groupements d'employeurs, sous la dir. de L. Casaux-Labrunée, par le numéro d'octobre 2012 de la revue Droit social et, en particulier, notre étude, Mise à disposition par un groupement d'employeurs : un prêt de main-d'oeuvre comme les autres ?, Dr. soc., 2012, p. 890.
(15) V. J. Huet, G. Decocq, C. Grimaldi, H. Lécuyer, Les principaux contrats spéciaux, Traité de Droit civil sous la dir. de J. Ghestin, LGDJ, 3ème édition, 2012, p. 1378.
(16) Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 08-70.390, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6258GMQ) et les obs. de Ch. Radé, Les travailleurs temporaires bénéficiaires d'une double obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 422 du 6 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0343BR7).

Décision

Cass. soc., 31 octobre 2012, n° 11-21.293, FS-P+B (N° Lexbase : A3368IWN)

Cassation partielle, CA Bordeaux, 15 juin 2010, n° 08/07561 (N° Lexbase : A4524HSD)

Textes visés : C. trav., art. L. 1251-2 (N° Lexbase : L1519H97), L. 1251-18 (N° Lexbase : L1556H9I) et L. 3221-3 (N° Lexbase : L0799H9H)

Mots-clés : travail temporaire, rémunération, entreprise de travail temporaire

Liens base : (N° Lexbase : E7948ES8)

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