Réf. : Cass. com., 4 janvier 2005, n° 02-10.511, CGEA d'Amiens, Centre de gestion et d'études de l'AGS, Délégation régionale AGS du Nord Est, Unité déconcentrée de l'UNEDIC, en qualité de gestionnaire de l'AGS c/ Banque Scalbert Dupont, FS-P+B (N° Lexbase : A8625DE8)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var
le 01 Octobre 2012
La technique du retrait contre paiement permet au liquidateur de retirer un bien gagé ou retenu. Fondamentalement, il s'agit de vaincre le "droit de gêner" que confère à son titulaire l'exercice du droit de rétention. Dans la législation des procédures collectives, il n'existe pas de voie de dégrèvement du droit de rétention autre que le paiement : continuer à retenir ou être payé, tel est le choix du rétenteur. Observons que l'accord donné par le créancier au liquidateur pour retirer le gage ne vaut pas vente par le créancier. Cet accord reste, en conséquence, sans influence sur le maintien du droit de rétention au profit du créancier (CA Paris, 25ème ch., sect. A, 15 mars 1990, Rev. proc. coll. 1991, 203, obs. B. Soinne).
Peu importe que le rétenteur soit gagiste. Mais seul le gagiste rétenteur peut retenir la chose. Il n'y a pas à distinguer selon que le droit de rétention est réel ou fictif. Le retrait est possible dans les deux cas. En pratique, cependant, le retrait supposera l'existence d'un droit de rétention réel. En effet, s'il y a simplement droit de rétention fictif, il n'y a pas place à retrait, mais à réalisation du bien avec report du droit de rétention sur le prix. Le retrait n'est donc d'aucune utilité, du fait de l'existence d'une disposition concurrente permettant de parvenir au même résultat : le paiement du rétenteur.
Logiquement, la Cour de cassation en tire la conclusion que nous avions, pour notre part, posée (V. Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, 2003/2004, n° 58.62) : le liquidateur ne peut procéder au retrait d'un bien gagé qu'autant que le gage confère à son titulaire un droit de rétention. Or, à l'évidence, le nantissement sur matériel et outillage ne confère à son titulaire aucun droit de rétention. Le retrait contre paiement est donc impossible. Observons, au demeurant, que s'il l'avait été, la technique aurait été inconciliable avec le paiement de créancier de rang prétendument préférable. En effet, le retrait contre paiement est exclusif de l'ordre des privilèges. Il n'est pas, ici, question de se demander qui passe avant qui, il est seulement question d'éteindre un droit de rétention pour appréhender un bien retenu.
Le créancier nanti avait eu, dans un premier temps, raison de faire opposition à l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente des biens nantis. En effet, la distribution du prix de vente par le liquidateur suppose le respect de l'ordre des privilèges et conduit à faire préférer par d'autres le créancier nanti. Tant que l'ordonnance autorisant le liquidateur à vendre les actifs mobiliers n'était pas devenue définitive, la demande d'attribution judiciaire pouvait prospérer. Or, la technique de l'attribution judiciaire est indépendante de l'exercice des droits de préférence, comme le retrait contre paiement. Le créancier nanti aurait donc pu être payé indépendamment de l'existence de créanciers de rang préférable, tels les créanciers superprivilégiés. Le créancier nanti aurait dû camper sur sa position et ne pas négocier avec le mandataire de justice car, à avoir voulu se montrer conciliant, il s'exposait au juste reproche formulé par l'AGS. Faute d'avoir exercé l'attribution judiciaire, le créancier nanti se voit justement opposer par l'AGS, que le retrait contre paiement est ici impossible, faute d'existence du droit de rétention. Le juge-commissaire et, à sa suite, le tribunal, ont donc commis un excès de pouvoir, que la cour d'appel a confirmé. D'ailleurs, le recours à la construction du recours nullité, que suppose la notion d'excès de pouvoir, n'est ici pas nécessaire. Pourquoi ? Parce que l'article L. 623-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7033AIC) (anct L. 25 janv. 1985, art. 173, 2°) indique explicitement que les voies de recours sur les jugements statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire sont fermées, lorsque le juge commissaire reste "dans les limites de ses attributions". A contrario, si le juge-commissaire sort des limites de ses attributions, il y a ouverture des voies de recours. Le raisonnement a contrario s'impose ici puisque, par la mise à l'écart d'un texte d'exception, il y a retour au principe général de recevabilité de l'appel. La solution de la Cour de cassation mérite, donc, pleine approbation.
Les créanciers retiendront qu'à se montrer conciliants, ils peuvent parfois tout perdre au lieu d'être payés de la plus importante partie de leur créance. Le paradoxe n'est pas mince. Mais "dura lex concursus, sed lex concursus".
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