Lexbase Affaires n°158 du 10 mars 2005 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Précisions sur la notion d'excès de pouvoir ouvrant le recours nullité

Réf. : Cass. com., 4 janvier 2005, n° 02-21.504, Société Befec Price Waterhouse c/ Mme Christine de Bois, F-D, n° 13 (N° Lexbase : A8680DE9)

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le 01 Octobre 2012

La législation des procédures collectives est, on le sait, extrêmement restrictive sur l'ouverture des recours à l'encontre des décisions du tribunal de la faillite. La volonté législative d'accélérer le traitement d'une procédure collective justifie la solution. Mais, poussée à l'extrême, la méthode pourrait se révéler dangereuse et conduire à un Etat dominé par l'imperium du juge : celui-ci, sachant sa décision à l'abri de tout recours, serait peut-être tenté de s'ériger en "faiseur de droit", là où il ne devrait être qu'un "diseur de droit" -ce que stigmatise la notion de juridiction-. C'est précisément pour corriger d'éventuels excès que le Nouveau Code de procédure civile ouvre les recours nullité. Il s'agit, par là, alors que les recours réformation ne sont plus ouverts, d'éviter l'arbitraire en la forme. Le recours nullité est, en effet, ouvert, en cas de violation d'un principe fondamental de procédure civile, un des principes directeurs du procès. La forme n'est-elle pas l'ennemi juré de l'arbitraire ? Il est aussi question d'éviter l'arbitraire au fond du droit. La possibilité de faire constater un excès de pouvoir commis par la juridiction constitue, selon l'heureuse formule de notre collègue Georges Bolard, l'antidote à "l'ivresse du pouvoir" (L'appel nullité, D. 1988, chron. p. 177, n° 35). La notion d'excès de pouvoir, apparemment claire, n'est cependant pas si aisée à caractériser. Elle est au centre des préoccupations de l'arrêt rapporté.

En l'espèce, le plan de continuation dont bénéficiait une société est résolu ; la liquidation judiciaire est prononcée. Le mandataire de justice présente au juge-commissaire une requête, sur le fondement de l'article L. 621-55 du Code de commerce ([LXB=L6907AIN ]), pour obtenir communication de certains documents échangés entre le commissaire aux comptes, d'une part, et la société débitrice et ses dirigeants, d'autre part. Le juge-commissaire accueille la demande. Sur opposition, le tribunal confirme l'ordonnance. Un appel nullité est alors formé à l'encontre du jugement statuant sur opposition à l'ordonnance du juge-commissaire. Il est déclaré irrecevable. La question se posait, dès lors, devant la Cour de cassation, de savoir si l'erreur commise par le juge-commissaire, ayant fondé sa décision sur un texte inapplicable aux faits de l'espèce, puis par le tribunal, rendait recevable le recours nullité. La Cour de cassation y apporte une réponse négative, en énonçant que "l'erreur de droit commise par le juge-commissaire puis par le tribunal qui ont examiné la requête sur le fondement erroné de l'article L. 621-55 du Code de commerce n'est pas susceptible de fonder l'appel nullité".

Il est exact, en l'espèce, que le visa de l'article L. 621-55 du Code de commerce était inadapté. Il était sollicité du juge-commissaire, sur le fondement de cet article, qu'il enjoigne au commissaire aux comptes de délivrer certains documents, vraisemblablement -les faits de l'espèce ne l'indiquent pas- en perspective de sanctions contre les dirigeants. Sur le fondement de cette disposition, le juge-commissaire peut demander des renseignements sur la situation économique et financière de l'entreprise, par application des articles L. 621-55 et L. 621-136 (N° Lexbase : L6988AIN) du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 19 et 140, al. 2), et, en liquidation judiciaire, de l'article L. 622-11 du même code (N° Lexbase : L7006AIC) (anct L. 25 janv. 1985, art. 153-1, al. 1). Cette demande d'informations vise les commissaires aux comptes, experts comptables (CA Paris, 3e ch., section A, 29 avr. 1997, Rev. proc. coll. 1998, 68, n° 8, obs. B. Soinne), membres et représentants du personnel, administrations et organismes de prévoyance et de sécurité sociale, établissements de crédit (CA Poitiers, 12 mai 1993, Rev. proc. coll. 1995, 48, n° 5, obs. B. Dureuil), ainsi que les services chargés de centraliser les risques bancaires et incidents de paiement, par exemple la Banque de France. Dans le cadre de ce droit de communication, il ne peut se voir opposer le secret professionnel. Si le juge-commissaire se voit opposer un refus, il peut, par voie d'ordonnance, ordonner la communication des documents sollicités (CA Poitiers, 2e ch. civ., 12 mai 1993, JCP éd. G, 1993, IV, 2967). Ce texte ne semble, toutefois, pas permettre de tenir en échec le droit de rétention de l'expert-comptable en cas de non paiement de sa créance d'honoraires, dès lors, du moins, qu'elle est déclarée au passif (sol. impl., Cass. com., 30 juin 2004, n° 01-14.075, F-D N° Lexbase : A0147DDS). Il est, en tous cas, certain que ce texte n'autorise le juge-commissaire qu'à se faire délivrer les documents. Il ne lui offre pas la possibilité de demander transmission des documents à des tiers.

Au contraire, l'article L. 621-12 du Code commerce (anct L 25 janv. 1985, art. 14), selon lequel "le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence", aurait permis d'enjoindre à des tiers la communication des documents.

Assurément, donc, le juge-commissaire et, à sa suite, le tribunal, avaient commis une erreur de droit, en enjoignant la communication des documents sollicités au visa de l'article L. 621-55 du Code commerce. Fallait-il décider, pour autant, qu'il y avait excès de pouvoir ? Assurément non ! L'erreur ici commise était bien minime. En effet, le pouvoir du juge-commissaire d'obliger des tiers à communiquer des documents aux organes de la procédure existe. Pour cela, il faut s'appuyer sur un autre texte. Il y a donc simple erreur de droit, mais en aucune manière le juge-commissaire ne s'est arrogé un pouvoir qu'il n'avait pas. Il n'y a donc pas excès de pouvoir. D'ailleurs, comme l'avait énoncé la cour d'appel (CA Versailles, 13e ch., 10 octobre 2002, n° 01/04966, Receveur c/ Me De Bois RG n° 01/01054 N° Lexbase : A7679A48), le juge-commissaire, en application de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile, pouvait restituer à la demande son fondement juridique, c'est-à-dire, en l'occurrence, accepter la prétention en visant non l'article L. 621-55 du Code de commerce, mais l'article L. 621-12 du même code.

Ensuite, si la règle de droit dont la violation est invoquée est d'une interprétation exempte de problème, l'excès de pouvoir semble caractérisé. Le juge s'est refusé à appliquer un texte clair. Il y a excès de pouvoir. A l'inverse, si la règle est source d'interprétations multiples, l'excès de pouvoir semble plus difficile à caractériser. Il faut donc, semble-t-il, rechercher l'excès de pouvoir dans la violation délibérée d'un texte d'ordre public. L'excès de pouvoir est, ainsi, plus que la simple méconnaissance de la règle de droit. La simple erreur de droit ou de fait sera, en conséquence, insuffisante, comme l'avait déjà jugé la cour d'appel de Paris (CA Paris, 3e, B, 30 avril 2004, n° 2003/08649, Monsieur le Receveur Principal des Impôts de Vincennes Ville c/ Société Somari, RG n° 2003/08649 N° Lexbase : A4079DC3), ce que réaffirme ici la Cour de cassation .

On est, ici, très loin des situations dans lesquelles l'excès de pouvoir du juge-commissaire a été retenu, et qui démontrent toutes un dépassement très notable et délibéré des attributions de ce magistrat. Citons, pour illustration, et afin de se convaincre de la différence de nature, quelques hypothèses topiques. Il y a excès de pouvoir lorsque le juge-commissaire relève de forclusion un créancier au-delà du délai d'un an (1), impose une cession judiciaire de contrat en liquidation judiciaire (2), ordonne la levée de l'inaliénabilité d'un bien acquis par le débiteur sur donation (3), ou méconnaît une clause d'agrément insérée dans un bail (4).

P.-M. Le Corre,
Professeur des Universités, directeur du Master droit de la banque de la Faculté de droit de Toulon et du Var


(1) Cass. com., 16 novembre 1993, n° 91-15.143, M. Brouard, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sopatra c/ Epoux Desmazières (N° Lexbase : A5713AB9), Bull. civ. IV, n° 409.
(2) Cass. com., 19 décembre 1995, n° 92-18.134, Société Abyssus c / Société Sopromer (N° Lexbase : A0536A7Y), Bull. civ. IV, n° 303 ; D. 1997, somm. p. 3, obs. F. Derrida; Petites affiches, 27 décembre 1996, p. 18, obs. F. Derrida ; JCP éd. E 1996, I, 554, n° 12, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 1er octobre 1997, n° 95-11.737, Mme Huille, ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire des époux Bonnet c/ M. Gougeon (N° Lexbase : A9012AHA), JCP éd. E 1997, II, 1016, rapp. J.-P. Remery ; Cass. com., 4 février 2003, n° 99-10.819, Société anonyme Banque Paribas c/ Société anonyme Alter Finance Gestion, F-D (N° Lexbase : A8996A4X), Act. proc. coll. 2003/7, n° 92 ; Cass. com., 13 mai 2003, n° 00-16.145, Société BWT France c/ Société Computel, F-D (N° Lexbase : A0115B7E).
(3) Cass. com., 28 avril 1998, n° 95-20.245, Mme Hilda Ysvelin c/ M. Bernard Le Dortz, mandataire judiciaire , inédit (N° Lexbase : A5953C4A), RTD com. 1998, p. 691, obs. J.-L. Vallens.
(4) Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-18.029, Société civile immobilière Gajo c/ M. Guillemonat, pris en sa qualité de mandataire-liquidateur (N° Lexbase : A9100A4S), Petites affiches, 15 juillet 1998, n° 8, p. 18, note G. Teilliais.

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