La lettre juridique n°825 du 28 mai 2020 : Assurances

[Brèves] Faute dolosive de l’assuré qui, en se suicidant, crée d’importants dommages collatéraux ? Deux exemples en sens inverse

Réf. : Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-11.538, F-P+B+I (N° Lexbase : A06493MY) ; Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-14.306, F-P+B+I (N° Lexbase : A83323L8)

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[Brèves] Faute dolosive de l’assuré qui, en se suicidant, crée d’importants dommages collatéraux ? Deux exemples en sens inverse. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58202652-breves-faute-dolosive-de-lassure-qui-en-se-suicidant-cree-dimportants-dommages-collateraux-deux-exem
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 27 Mai 2020

► Après avoir relevé que les moyens employés par l’assuré, en installant une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz dans le séjour, qui « dépassaient très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider » et témoignaient de la volonté de provoquer une forte explosion et que si l'incendie n'avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l'immeuble, celle-ci était inévitable et ne pouvait pas être ignorée de l'incendiaire, même s'il était difficile d'en apprécier l'importance réelle et définitive, de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que l’assuré avait commis une faute dolosive excluant la garantie de son assureur et a légalement justifié sa décision ;

► en revanche, ayant relevé dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve, qu'en se jetant sous le train qui arrivait en gare, l'intention de l’assuré était de mettre fin à ses jours et que rien ne permettait de conclure qu'il avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF, ce dont il se déduisait que l'assurance n'avait pas perdu tout caractère aléatoire, la cour d'appel, qui a caractérisé l'absence de faute dolosive, a légalement justifié sa décision.

Telles sont les solutions de deux arrêts rendus le 20 mai 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-11.538, F-P+B+I (N° Lexbase : A06493MY) ; Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-14.306, F-P+B+I N° Lexbase : A83323L8).

Pour rappel, l’article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) prévoit que l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

La jurisprudence de la Cour de cassation est venue définir progressivement la notion de faute dolosive, que l’on peut résumer ainsi (cf. les obs. de Didier Krajeski, in chron., Lexbase, éd. priv., n° 766, 2018 N° Lexbase : N6846BXT ; et plus récemment, in chron., Lexbase, éd. priv., n° 818, 2020 N° Lexbase : N2724BYK) comme suit ; deux caractères sont exigés :

- un comportement ;

- et un effet de ce comportement sur l’aléa.

S’agissant du comportement, il s’agit d’un manquement délibéré de l’assuré à ses obligations, et non d’une simple négligence (Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.696, F-D (N° Lexbase : A1487WXD, et les obs. de Didier Krajeski, in chron, Lexbase, éd. priv., n° 721, 2017 N° Lexbase : N1506BX3 ; RGDA, 2017, 610, obs. L. Mayaux),  ou une conscience de faire courir un risque (Cass. civ. 2, 12 janvier 2017, n° 16-10.042, F-D N° Lexbase : A0860S8D), RGDA, 2017, 169, obs. L. Mayaux).

Quant à l’effet du comportement de l’assuré sur l’aléa, il s’agit d’une disparition totale de l’aléa, et non seulement une diminution (Cass. civ. 2, 25 octobre 2018, n° 16-23.103, F-P+B N° Lexbase : A5373YIT).

Les deux arrêts rendus le 20 mai 2020 s’inscrivent dans la lignée de cette jurisprudence, dans un contexte similaire d’un assuré qui créé d’importants dommages en se suicidant. Dans la première affaire, la faute dolosive est caractérisée, tandis qu’elle ne l’est pas dans la seconde affaire.

♦ Dans la première affaire, les faits étaient les suivants. Dans la nuit du 31 janvier au 1er février 2009, un incendie s'était produit dans un appartement et avait provoqué le décès de son occupant ainsi que d'importants dommages à l'immeuble. L’assureur de la copropriété, après avoir indemnisé les frais de réparations, s'était retourné contre l’assureur de la victime, qui avait refusé sa garantie au motif que ce dernier s'était suicidé et avait cherché à causer le dommage à la copropriété.

Le 30 janvier 2014, l’assureur de la copropriété avait assigné l’assureur responsabilité civile du défunt en garantie. Il n’obtiendra pas gain de cause.

La Cour de cassation approuve les juges d’appel ayant exactement énoncé que la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l'exclusion de garantie dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire.

Tel était le cas en l’espèce, ainsi qu’il a été énoncé plus haut, étant relevé que les moyens employés témoignaient de la volonté de provoquer une forte explosion et que si l'incendie n'avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l'immeuble, celle-ci était inévitable et ne pouvait pas être ignorée de l'incendiaire, même s'il était difficile d'en apprécier l'importance réelle et définitive.

♦ En revanche, dans la seconde affaire, l’assuré s’était suicidé en se jetant sous un train lors de l'arrivée de celui-ci en gare. L’accident provoqué ayant entraîné des dommages matériels et immatériels, la SNCF avait sollicité la réparation de son préjudice auprès de l’assureur de la responsabilité civile du défunt. L'assureur ayant refusé sa garantie, la SNCF l'avait assigné en réparation de ses préjudices.

Elle avait obtenu, devant la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 29 novembre 2018, n° 17/03258 N° Lexbase : A4903YNW), la condamnation de l’assureur à lui payer la somme de 62 039,90 euros avec intérêts au taux légal. L’assureur avait alors formé un pourvoi, invoquant les conditions telles que dégagées par la jurisprudence, puisqu’il reprochait notamment aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si le comportement de l'assuré ne caractérisait pas une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur, dès lors qu'il ne pouvait ignorer que son geste, procédant de la méconnaissance des obligations incombant aux passagers, rendait inéluctable la réalisation du dommage de la SNCF et faisait disparaître le caractère aléatoire du risque garanti.

Mais la Cour de cassation s’en remet ici au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve dont ils disposaient. La cour d’appel a estimé, au contraire de l’assureur requérant, qu'en se jetant sous le train qui arrivait en gare, l'intention de l’assuré était de mettre fin à ses jours et que rien ne permettait de conclure qu'il avait conscience des conséquences dommageables de son acte pour la SNCF, ce dont il se déduisait que l'assurance n'avait pas perdu tout caractère aléatoire. Ce faisant, la cour d'appel, qui a caractérisé l'absence de faute dolosive, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

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