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[Pratique professionnelle] Contrôles de l’activité partielle : ce qui doit être anticipé

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par Juliana Kovac et Emmanuel Raynaud, Avocats Associés, Flichy Grangé Avocats

le 27 Mai 2020

Depuis le mois de mars 2020, les entreprises ont massivement utilisé le dispositif d’activité partielle (communément appelé chômage partiel). Au 12 mai 2020, plus d’un million d’entreprises ont déposé une demande d’autorisation d’activité partielle pour 12,4 millions de salariés (soit six emplois sur dix dans le secteur privé).

Dès le 29 mars 2020, la ministre du Travail a indiqué que des contrôles seraient mis en œuvre en rappelant que la fraude à l’activité partielle constitue du travail illégal (qui, pour mémoire, recouvre six infractions dont la fraude à l’activité partielle et le travail dissimulé).

Le 5 mai 2020, la ministre du Travail a envoyé aux Préfets et aux Direccte une instruction relative au plan de contrôle a posteriori sur l’activité partielle, complétée par une instruction du 14 mai 2020 commune à la Direction générale du travail et à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.

1 - Quels sont les objectifs des contrôles ?

En l’état, deux objectifs sont fixés par l’administration, à savoir la lutte contre la fraude et la régularisation des demandes d’indemnisation mal renseignées. Pour l’heure, le contrôle de l’application des exonérations sociales par les Urssaf n’est pas cité. Il doit néanmoins, lui aussi, être anticipé.

2 - Quelles entreprises vont être prioritairement contrôlées ?

Le ministère du Travail a demandé aux Direccte de contrôler prioritairement les entreprises ayant formulé des demandes d’indemnisation sur la base de taux horaires élevés, celles qui appartiennent à des secteurs d’activité ayant le plus utilisé l’activité partielle (le BTP, les activités de services administratifs, de soutien et de conseil aux entreprises) et celles qui emploient majoritairement des cadres susceptibles de télétravailler.

Les Direccte sont, en outre, invitées à contrôler les entreprises qui leur seront signalées par des salariés, des syndicats ou des CSE.

3 - Quand vont commencer les contrôles ?

Les contrôles par l’Agence de services et de paiement (ASP) et les Direccte ont d’ores et déjà commencé.

En revanche, l’Urssaf dispose de plus de temps.

D’abord, les délais relatifs au contrôle de l’Urssaf sont actuellement suspendus et ce, jusqu’au 30 juin 2020 inclus (sauf en cas de travail dissimulé) (v. ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 N° Lexbase : L5739LWH, modifiée par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 N° Lexbase : L9169LWI).

Ensuite, en application des articles L. 244-3 (N° Lexbase : L0463LC7) et L. 244-11 (N° Lexbase : L0470LCE) du Code de la Sécurité sociale, l’Urssaf dispose d’un délai de trois ans pour procéder à un redressement, voire de cinq ans en cas de procès-verbal de travail illégal. Les modalités de mise en œuvre de l’activité partielle pourraient donc être contrôlées par les Urssaf au moins jusqu’en 2023, voire 2025.

4 - Comment vont se dérouler les contrôles ?

Plusieurs acteurs sont mobilisés au niveau national (création d’un comité ad hoc dédié) et régional.

Les premiers contrôles vont être mis en œuvre par l’ASP. Elle va procéder à un contrôle sur pièces sur la base des demandes d’indemnisation reçues ainsi que l’ensemble des données dont elle dispose. Le ministère du Travail invite les différents acteurs à « croiser » leurs informations. Les Direccte ont à cet égard accès aux éléments transmis à l’ASP. De même, des travaux sont en cours pour permettre de croiser les données qui figurent dans les bases de l’ASP et les Déclarations Sociales Nominatives (DSN).

Si ce premier contrôle révèle des anomalies, un contrôle complémentaire sera mis en œuvre par les Direccte et les inspecteurs du travail, en lien notamment avec les inspecteurs du recouvrement.

5 - En quoi consiste le contrôle initial de l’ASP ?

L’ASP est chargée du « contrôle sur pièces ».

Pour cela, elle dispose d’un grand nombre d’informations telles que les informations relatives à l’identité de l’employeur, les informations relatives à l’identité des salariés (catégorie socioprofessionnelle, mode d’aménagement du temps de travail, nombre d’heures chômées et nombre d’heures ouvrant droit à indemnisation, etc.) et les données inscrites sur les bulletins de paie (classification conventionnelle, nombre d’heures de travail dont les heures supplémentaires, montant de la rémunération brute du salarié, dates des congés et montant de l’indemnité de congés payés, etc.) (C. trav., art. R. 5122-5 N° Lexbase : L6070I39 et R. 5122-21 N° Lexbase : L5814LWA).

Toutes ces informations donnent lieu à un traitement automatisé de la part de l’ASP (C. trav., art. R. 5122-20 N° Lexbase : L6077I3H et R. 5122-21 N° Lexbase : L5814LWA). D’autres acteurs telle que la Direccte y ont accès (C. trav., art. R. 5122-22 N° Lexbase : L6075I3E).

6 - En quoi consiste le contrôle complémentaire de l’inspecteur du travail et quels sont ses pouvoirs ?

Si le contrôle sur pièces par l’ASP révèle une fraude ou nécessite des investigations plus approfondies, un contrôle complémentaire sera mis en œuvre par la Direccte.

L’inspecteur du travail est doté de pouvoirs d’enquête très invasifs en matière de travail illégal. Il peut entrer dans l’entreprise (C. trav., art. L. 8113-1 N° Lexbase : L7449K9R), sans en avertir l’employeur (C. trav., art. R. 8124-25, al. 2 N° Lexbase : L9468LDZ) et demander communication d’un très grand nombre de documents sociaux, administratifs et comptables (C. trav., art. L. 8113-4 N° Lexbase : L7447K9P et L. 8113-5-1 N° Lexbase : L9790LL8).

Il a accès aux logiciels et aux données stockées comme les logiciels de décompte du temps de travail, les boîtes emails, les invitations Outlook, Zoom, l’intranet, etc. (C. trav., art. L. 8113-5-1, al.2 N° Lexbase : L9790LL8). Dans le cadre de l’activité partielle, il peut demander, en plus des documents habituels (contrats de travail, registre du personnel, double des bulletins de salaire), les documents relatifs au temps de travail (aménagements et décomptes), les DSN, les conventions et accords sur l’activité partielle (voire la décision unilatérale de l’employeur), la demande d’activité partielle elle-même, l’avis du CSE, les documents comptables attestant des difficultés économiques rencontrées, les demandes d’indemnisation, les états nominatifs de remboursement et les avis de paiement.

Il peut recueillir des informations directement auprès des salariés, y compris par l’envoi de questionnaire à leur domicile pour ceux qui seraient toujours en télétravail (Cass. civ. 2, 17 février 2011, n° 10-14.388, FS-P+B N° Lexbase : A2252GXP) et leur demander communication de tout élément permettant de démontrer la réalisation d’un travail effectif, comme des plannings, emails, relevés d’appels, SMS, etc. (C. trav., art. L. 8113-1 N° Lexbase : L7449K9R).

L’inspecteur du travail peut enfin procéder à l’audition de toute personne susceptible de fournir des informations utiles, avec son consentement (salariés, responsable RH, responsable de l’activité partielle, employeur ou son représentant etc.) en quelque lieu que ce soit, y compris à son domicile (C. trav., art. L. 8271-6-1 N° Lexbase : L5006K8W). Il peut également entendre toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction dans le cadre de l’audition pénale libre comme il en a désormais la faculté en matière de travail illégal (C. trav., art. L. 8271-6-1, al. 2 N° Lexbase : L5006K8W et CPP, art. 28 N° Lexbase : L5210LRE et 61-1 N° Lexbase : L7470LPD).

L’analyse croisée de ces documents et informations lui permettra, le cas échéant, de relever différents comportements infractionnels et d’en dresser procès-verbal.

7 - En quoi consiste le contrôle complémentaire de l’Urssaf et quelles sont les prérogatives de l’inspecteur du recouvrement ?

L’Urssaf a des prérogatives importantes. Elle peut contrôler le calcul des cotisations sociales et des exonérations afférentes à l’activité partielle ainsi que le travail illégal.

S’agissant du travail illégal, l’Urssaf peut intervenir de trois façons :

  • elle peut procéder à un redressement sur la base du constat de travail dissimulé dressé par l’inspection du travail (C. trav., art. L. 8271-6-4 N° Lexbase : L0188LCX et CSS, art. L. 243-7-5 N° Lexbase : L8842LKP) ;
  • elle peut se présenter en vue de rechercher uniquement des faits de travail dissimulé à l’instar de l’inspection du travail. L’Urssaf dispose, dans ce cadre, de pouvoirs similaires à ceux de l’inspecteur du travail ;
  • elle peut se présenter pour un contrôle classique et, à l’occasion de ses vérifications, constater des faits de travail dissimulé. Le contrôle est alors effectué dans les conditions prévues par le Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 243-7 N° Lexbase : L4623LW7 et R. 243-59 N° Lexbase : L9076LSX).

Lors du contrôle classique, l’Urssaf dispose de nombreuses prérogatives.

Elle peut notamment demander à l’employeur tout document nécessaire à l'exercice de son contrôle ainsi que l’accès à tout support d’information et interroger les personnes rémunérées (CSS, art. R. 243-59 N° Lexbase : L9076LSX).

Elle peut également utiliser le matériel informatique de l’employeur (CSS, art. R. 243-59-1 N° Lexbase : L2869K97).

Elle peut, enfin, utiliser le contrôle par échantillonnage et extrapolation (CSS, art. R. 243-59-2 N° Lexbase : L2868K94). Ce procédé est souvent utilisé lorsque le contrôle sur une base réelle est impossible à réaliser compte tenu du nombre de salariés concernés et de pièces à contrôler (par exemple, frais professionnels, primes de panier). Il pourrait ainsi être particulièrement adapté au contrôle de l’activité partielle.

8 - Quelles sont les issues possibles des contrôles ?

Plusieurs situations peuvent être envisagées.

→ Les demandes d’indemnisations peuvent-elles être régularisées ?

Les demandes d’indemnisation pourront, en premier lieu, être régularisées si le contrôle révèle des erreurs de la part de l’entreprise, voire de l’administration.

Les Direccte sont invitées à encourager les entreprises, en cas d’erreur de leur part, à régulariser la situation d’elles-mêmes et à leur appliquer le droit à l’erreur tel que défini par l’article L. 123-1 du Code des relations entre le public et l’administration (N° Lexbase : Z09224Q3). Rappelons que ce texte ne peut pas être invoqué en cas de mauvaise foi ou de fraude.

Si l’entreprise refuse de régulariser d’elle-même la situation, en particulier, parce que l’analyse de la Direccte lui paraît susceptible d’être contestée, elle recevra une demande de remboursement de la part de l’administration. Cette décision pourra être contestée par la voie du recours hiérarchique ou contentieux.

→ L’administration peut-elle retirer les décisions d’autorisation et d’indemnisation ?

L’instruction du 5 mai 2020 rappelle qu’en application de l’article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l’administration (N° Lexbase : L1853KNX), la Direccte dispose d’un délai de quatre mois pour retirer une décision d’autorisation. Le point de départ de ce délai est reporté, par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5730LW7), au 24 juin 2020. En cas de fraude, l’article L. 241-2 du même code permet à l’administration de retirer sa décision à tout moment.

L’administration a aussi la possibilité, en application de l’article L. 242-2 du Code des relations entre le public et l’administration (N° Lexbase : L1855KNZ), de retirer la décision d’indemnisation « sans condition de délai […] lorsque les conditions mises à son octroi n'ont pas été respectées ».

Ces décisions de retrait doivent être précédées d’une procédure contradictoire (CRPA, art. L. 122-1 N° Lexbase : L1800KNY et L. 121-1 N° Lexbase : L1798KNW). Elles pourront, en outre, être contestées par la voie du recours hiérarchique et du recours contentieux. Un référé en vue d’obtenir la suspension de l’exécution de la décision de retrait pourrait aussi être engagé.

Un retrait remet, en effet, en cause tout le régime de l’activité partielle. L’entreprise doit rembourser les allocations d’activité partielle à l’ASP, payer aux salariés leurs rémunérations, et verser aux organismes sociaux l’ensemble cotisations sociales y afférentes.

9 - Quelles sont les sanctions pénales et administratives encourues ?

La fraude de l’article L. 5124-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9344LNE).

Si l’employeur a effectué des demandes d’indemnisation pour des salariés en réalité placés en télétravail, redéployés à d’autres tâches, ayant posé des congés payés ou encore, en surévaluant les taux horaires, le délit de fraude à l’activité partielle pourrait trouver à s’appliquer (C. trav., art. L. 5124-1 N° Lexbase : L9344LNE).

L’auteur de cette infraction risquerait alors deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende (C. pén. art. 441-6 N° Lexbase : L0848IZG) outre des peines complémentaires et des sanctions administratives telles que le refus d'octroi de certaines aides publiques à l'emploi ou à la formation professionnelle pendant une durée maximale de cinq ans, y compris les allocations d’activité partielle et/ou le remboursement de ces aides pour les douze derniers mois précédant le procès-verbal de constat de travail illégal (C. trav., art. L. 8272-1 N° Lexbase : L5119IQN).

L’escroquerie. Si la déclaration mensongère est accompagnée d’éléments extrinsèques destinés à lui donner force et crédit, le délit d’escroquerie par l’emploi de manœuvres frauduleuses pourrait être envisagé (C. trav., art. L. 5124-1 N° Lexbase : L9344LNE et C. pén., art. 313-1 N° Lexbase : L2012AMH).

A cet égard, la Cour de cassation a pu considérer comme constitutif de manœuvres frauduleuses le fait de formuler des demandes d’indemnisation de chômage partiel en produisant des états nominatifs par salariés non conformes à l’accord de modulation du temps de travail ni à la réalité de l’activité durant la période concernée, confortées par le non-établissement de documents qui auraient permis de contrôler leur régularité (Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-81.980, F-D N° Lexbase : A5807XUM).

Les sanctions encourues seraient alors portées à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende (3 750 000 euros d’amende pour les personnes morales) dès lors que l’infraction serait commise au préjudice d’une personne publique pour l’obtention d’une allocation indue, outre des peines complémentaires (C. pén., art. 313-2, al. 1er N° Lexbase : L0849IZH).

Le travail dissimulé par la dissimulation d’emploi salarié. Le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié est le fait de commettre un des agissements énumérés à l’article L. 8221-5 du Code du travail (N° Lexbase : L7404K94) tels que mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ou éluder les cotisations sociales assises sur les rémunérations.

L’analyse des bulletins de paie, sur lesquels figurent notamment le nombre des heures indemnisées, les taux appliqués et les sommes versées au titre l’activité partielle, pourrait ainsi permettre de relever cette infraction, étant précisé que la Cour de cassation a considéré en la matière que « la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d'une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal » (Cass. crim., 7 mai 2019, n° 17-86.428, FS-D N° Lexbase : A0683ZBW).

L’employeur encourt à ce titre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende outre des peines complémentaires et des sanctions administratives telles que le refus et/ou le remboursement d’aides publiques dans les mêmes conditions que pour la fraude à l’activité partielle, la fermeture temporaire de l'établissement et l’exclusion temporaire des contrats administratifs (C. trav., art. L. 8272-2 N° Lexbase : L0322LMU et L. 8272-4 N° Lexbase : L7804I3G).

10 - Quelles peuvent être les conséquences d’un contrôle sur les cotisations sociales ?

Plusieurs situations peuvent être envisagées.

Si la décision d’autorisation est retirée, tout le dispositif d’activité partielle est remis en cause : les salaires doivent être payés, de même que l’ensemble des cotisations sociales dues.

Si c’est la décision d’indemnisation qui est retirée, tout dépend des motifs de cette décision. Si l’indemnisation est retirée parce que l’entreprise ne pouvait pas bénéficier de l’activité partielle, on se trouve dans la même situation que celle exposée plus haut. Si en revanche l’indemnisation est remise en cause pour des motifs qui lui sont propres, les conséquences pourraient être plus limitées. Il est possible, toutefois, que les erreurs commises dans le calcul des allocations d’activité partielle versées par l’ASP se retrouvent dans celui des indemnités versées aux salariés. Un redressement de la part de l’Urssaf pourrait, ainsi, être possible.

Qu’en est-il, pour finir, en l’absence de retrait des décisions d’autorisation ou d’indemnisation par la Direccte ? Un retrait par l’Urssaf est-il possible ? Non. Le retrait relève de la seule compétence des autorités administratives. L’Urssaf pourrait toutefois contrôler les modalités de mise en œuvre de l’activité partielle et vérifier, par exemple, le calcul des limites d’exonération. Elle pourrait également vérifier que l’entreprise n’a pas versé, à tort, une indemnité d’activité partielle au lieu et place du salaire (jours fériés, congés payés). Les modalités de calcul de la « réduction Fillon » pourraient aussi être contrôlées et donner lieu le cas échéant à un redressement (CA Angers, 18 janvier 2018, n° 15/00475 N° Lexbase : A0986XB7 : sur une mauvaise proratisation du SMIC). Enfin, si à l’occasion de son contrôle, l’inspecteur du recouvrement relève une fraude à l’activité partielle ou un travail illégal, il pourrait alerter la Direccte pour qu’elle en tire toutes les conséquences sur les décisions d’autorisation et d’indemnisation. L’inspecteur du recouvrement pourrait, de son côté, procéder aux redressements consécutifs à une telle infraction.

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