La lettre juridique n°825 du 28 mai 2020 : Covid-19

[Brèves] Prolongation des détentions provisoires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : conventionnalité et renvoi de QPC

Réf. : Cass. crim., 26 mai 2020, deux arrêts, n° 20-81.910 (N° Lexbase : A13833M8) et n° 20-81.971 (N° Lexbase : A13843M9) FS-P+B+I

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[Brèves] Prolongation des détentions provisoires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : conventionnalité et renvoi de QPC. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58202635-brevesprolongationdesdetentionsprovisoiresdanslecadredeletatdurgencesanitaireconventionn
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par June Perot

le 27 Mai 2020

► La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu deux arrêts qui tranchent plusieurs questions de principe concernant l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5740LWI ; v. le commentaire de J.-B. Thierry, La procédure pénale confinée par voie d’ordonnance : commentaire de l’ordonnance « covid-19 », Lexbase Pénal, avril 2020 N° Lexbase : N3033BYY) qui porte sur les prolongations de plein droit de détention provisoire, dans un contexte d’insécurité juridique importante ;

Cet article prévoyant la prolongation de plein droit des détentions provisoires soulevait une difficulté majeure d’interprétation, suscitant des divergences d’analyse par les différentes juridictions de première instance comme d’appel ;

Elle transmet également à cette occasion deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la loi d’habilitation du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5506LWT) sur le fondement de laquelle l’article 16 a été adopté (Cass. crim., 26 mai 2020, deux arrêts, n° 20-81.910 N° Lexbase : A13833M8 et n° 20-81.971 N° Lexbase : A13843M9, FS-P+B+I).

Contexte. La difficulté existante tenait à l’adoption à l’adoption, dans l’ordonnance du 25 mars 2020, de l’article 16, qui prévoyait une prolongation de plein droit des « délais maximums de détention provisoire ». Cet article avait alors soulevé plusieurs interrogations :

  • quelle interprétation devait être donnée à l’expression « délais maximums » et « prolongés de plein droit » ?
  • l’ordonnance avait-elle excédé les limites de l’habilitation législative ?
  • l’article 16 est-il conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles en matière de liberté individuelle ?

Leurs enjeux sont considérables dès lors que l’article 16 a vocation à s’appliquer à toutes les détentions provisoires en cours, qu’elles soient pendant l’information judiciaire ou après règlement de la procédure jusqu’à la condamnation définitive.

S’agissant de l’interprétation de l’article 16 de l’ordonnance

La difficulté était la suivante : l’expression « délais maximums de détention provisoire » désigne-t-elle la durée totale de la détention susceptible d’être subie après l’ultime prolongation permise par le Code de procédure pénale ou la durée au terme de laquelle le titre de détention cesse de produire effet en l’absence de décision de prolongation ?

Pour répondre à cette question, dans une motivation dite enrichie, la Chambre criminelle développe le raisonnement suivant :

  • l’expression « délais maximum de détention provisoire », ne permet pas, à elle seule, de déterminer la portée de l’article 16 ;
  • les autres articles de l’ordonnance ne permettent pas davantage d’interpréter de façon évidente, dans un sens ou dans un autre, les termes de « délais maximums » ;
  • en revanche, l’expression « prolongation de plein droit » des délais maximums de détention provisoire ne peut être interprétée que comme signifiant l’allongement de ces délais, pour la durée mentionnée à l’article 16, sans que ne soit prévue l’intervention d’un juge ;
  • or, il serait paradoxal que l’article 16 ait prévu que l’allongement de la durée totale de la détention s’effectue sans intervention judiciaire tandis que l’allongement d’un titre de détention intermédiaire serait subordonné à une décision judiciaire prise en application de l’article 19 de l’ordonnance.

Elle en déduit que l’article 16 doit être interprété comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu’il prévoit, tout titre de détention venant à expiration, et ce à une reprise au cours de chaque procédure. Par voie de conséquence, dans les deux affaires soumises à son examen, la Chambre criminelle écarte les griefs par lequel les demandeurs aux pourvois reprochaient aux chambres de l’instruction d’avoir interprété l’article 16 dans le même sens.

Sur la conformité de l’article 16 de l’ordonnance à la loi d’habilitation

La Chambre criminelle considère qu’en prévoyant la prolongation de plein droit des titres de détention, pour les durées prévues à l’article 16 de l’ordonnance, le Gouvernement n’a pas excédé les limites de la loi d’habilitation.

La Cour de cassation rappelle que la chambre criminelle n’a que rarement été amenée à examiner la conformité d’une ordonnance à la loi d’habilitation législative (Cass. crim., 17 novembre 2009, n° 09-81.531, F-D N° Lexbase : A4614EPL).

Sur l’examen de la constitutionnalité de la loi d’habilitation et de l’article 16 de l’ordonnance

La Cour de cassation retient que l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, en ce qu’il pourrait ne pas préciser suffisamment les modalités de l’intervention du juge judiciaire lors de l’allongement des délais de détention, pose, au regard de l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), une question sérieuse, justifiant le renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité des demandeurs au Conseil constitutionnel. Le grief pris de la violation de l’article 66 de la Constitution par l’article 16 de l’ordonnance est irrecevable, en application de la théorie de la « loi-écran ».

Dans les deux procédures, les prévenus ont saisi la Chambre criminelle d’une QPC qui peut être résumée en substance ainsi : l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, à supposer qu’il crée une prolongation de plein droit de toute détention sans intervention du juge, est-il contraire à l’article 66 de la Constitution ? 

Sur l’examen de la conventionnalité de l’article 16

La Chambre criminelle considère que l’article 16 de l’ordonnance n’est compatible avec l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4786AQC) et la prolongation qu’il prévoit n’est régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention prend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention. Ce délai ne peut être supérieur à un mois en matière délictuelle et à trois mois en matière criminelle ainsi qu’en cas d’appel d’une décision de condamnation.

Sur ce point, les moyens des demandeurs ont conduit la Chambre criminelle à se pencher sur la question inédite suivante : dans quelle mesure la prolongation, de par l’effet de la loi, sans intervention d’un juge, d’un titre de détention venant à expiration est-il conforme à l’article 5 de la Convention européenne de sauvegardes des droits de l’Homme garantissant « le droit à la liberté et à la sûreté » ?

Pour la motivation détaillée, nous recommandons aux lecteurs de se reporter à la notice explicative disponible sur le site de la Cour de cassation.

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