La lettre juridique n°762 du 22 novembre 2018 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Communauté légale : rappels nécessaires sur le passif définitif de communauté et la preuve du caractère propre des biens

Réf. : Cass. civ. 1, 17 octobre 2018, n° 17-26.713, F-P+B (N° Lexbase : A9891YGG)

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l'Université de Bordeaux

le 21 Novembre 2018

(i) Attendu que la communauté se compose passivement, à titre définitif ou sauf récompense, des dettes nées pendant la communauté et que celles résultant d'un emprunt contracté par un époux sans le consentement exprès de l'autre doivent figurer au passif définitif de la communauté dès lors qu'il n'est pas établi qu'il a souscrit cet engagement dans son intérêt personnel (défaut de base légale au regard de l’article 1409 du Code civil N° Lexbase : L1540ABN) ;

 

(ii) Tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi ; viole l’article 1402 ([LXB=1533ABE]) la cour d’appel qui, pour fixer à la une certaine somme la valeur du mobilier commun et rejeter la demande du mari visant à ce le partage tienne compte des emports de meubles déjà effectués par l’épouse, se borne à constater que l’épouse fait valoir que, si, lors de son départ du domicile conjugal, elle a emporté du mobilier donné par ses grands-parents, elle n'a déplacé aucun meuble commun, et retient que le mari ne rapporte pas la preuve contraire, alors qu’il incombait à l’épouse, qui revendiquait le caractère propre d'un bien, d'en rapporter la preuve.

 

La présente décision, rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 octobre 2018, tranche sans surprise deux questions qui sont importantes au plan pratique. D’une part, où faut-il faire figurer, lors de la liquidation de la communauté, les emprunts souscrits par un époux seul, ce qui invite à réfléchir au traitement de ces dettes au stade de la contribution à la dette (I) ? D’autre part, si l’un des époux prétend n’avoir pris, à son départ du domicile, que des meubles qui lui sont propres, qui supporte la charge de la preuve du caractère propre de ces biens (II) ?

 

I - Emprunts souscrits par un époux seul et contribution à la dette

 

L’arrêt commenté vient réaffirmer une solution qui semble avoir un peu de mal à entrer dans l’oreille des juges du fond, encore qu’elle soit connue de longue date : les emprunts souscrits par un époux seul doivent, par principe, être inscrits au passif définitif de la communauté. 

 

En effet, il s’agit ici de ne pas confondre obligation et contribution à la dette dans le régime de communauté légale pour la détermination de la consistance de la masse passive de la communauté.

 

On rappellera que l'obligation à la dette fixe l'assiette du droit de poursuite des créanciers, c'est-à-dire le patrimoine à l'encontre duquel il pourra exercer ses actions pour recouvrer sa créance. L’obligation à la dette est régie par les articles 1413 (N° Lexbase : L1544ABS) et 1415 (N° Lexbase : L1546ABU) du Code civil. Le premier texte pose en règle que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu pendant la communauté (quelle que soit l’origine de ces dettes) peut être poursuivi sur les biens communs, qu'il s'agisse d'une dette née du chef des deux époux ou du chef d’un seul d’entre eux. Le second texte, l’article 1415, restreint ce droit de gage pour deux dettes que le législateur de 1985 a jugé particulièrement dangereuses, le cautionnement et l’emprunt (et assimilés, par exemple, une garantie autonome ou un découvert bancaire). L'engagement est alors limité aux seuls biens propres et revenus de l’époux caution.

 

La contribution à la dette concerne les seuls époux (et non leurs créanciers), et permet de dire quelle masse de biens (commune ou propre) devra supporter la charge définitive de la dette. Il résulte des articles 1409 (N° Lexbase : L1540ABN), 1416 (N° Lexbase : L1547ABW) et 1417 (N° Lexbase : L1548ABX) du Code civil que la communauté est en principe tenue à titre définitif de toutes dettes nées pendant son cours : chaque époux est censé agir dans l'intérêt de la communauté, qui est donc engagée au titre de la contribution. Cette présomption n'est évidemment pas irréfragable et celui des époux qui n'est pas le solvens peut tout à fait prouver que son conjoint a agi dans son intérêt personnel et que donc la dette n'a pas été contractée dans l'intérêt de la communauté.

 

Telle est la solution rappelée par la Cour de cassation en l'espèce : les dettes nées pendant la communauté et celles résultant des emprunts contractés par un époux sans le consentement de l'autre sont présumées communes et doivent être assumées à titre définitif par la communauté, sauf à démontrer que l'époux souscripteur avait agi dans son intérêt personnel. La cour d’appel avait tenu un autre raisonnement, basé sur l’idée que la communauté ne doit être tenue que des dettes qui lui ont profité et qu’en outre le montant cumulé des emprunts était excessif par rapport aux revenus du ménage (CA Bordeaux, 20 juin 2017, n° 16/03847 N° Lexbase : A4341WIM). L’erreur était manifeste, d’autant que la référence au caractère excessif des emprunts est tirée des dispositions de l’article 220 du Code civil (N° Lexbase : L7843IZI), texte qui est relatif à l’obligation à la dette pour les dettes ménagères, alors que ce texte n’a rien à faire au plan contributif.

 

La censure est donc logique. Elle était hautement prévisible, puisque la solution a déjà été posée à propos du cas spécifique des emprunts, comme en l’espèce (v., Cass. civ. 1, 31 mars 1987, n° 85-14.974, publié au bulletin N° Lexbase : A1280AHU, Bull. civ. I, n° 114, JCP éd. N, 1988, II, 66, obs. Ph. Simler ; Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 05-15.940, FS-P+B N° Lexbase : A4160DYQ, Bull. civ. I, n° 278 ; JCP 2007, I, 208, obs. Ph. Simler ; AJ fam., 2008, 438, obs. P. Hilt ; Gaz. Pal., 22 novembre 2008, p. 47, obs. J. Casey). Elle a été affirmée aussi à propos du cautionnement (Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 09-14.230, FS-P+B+I N° Lexbase : A1241E4Q, Bull. civ. I, n° 166, AJ fam., 2010, p. 443, obs. P. Hilt). Par conséquent, les deux types de dettes visées par l’article 1415 ont un régime bien fixé au plan contributif : c’est du passif définitif de communauté par principe.

 

Cependant, ce principe est immédiatement tempéré, puisque le chapeau de la présente décision réserve expressément le cas de la dette que le solvens aurait souscrit «dans son intérêt personnel». En termes de charge de la preuve, ce sera l’époux non débiteur qui devra prouver que la dette n’a aucune raison de figurer au passif de la communauté lors de la liquidation. Il le fera en prouvant que la dette est étrangère à la masse commune, généralement parce qu’elle ne lui profite en rien (dette de l’article 1417 du Code civil et/ou dettes présentant un caractère personnel étranger au conjoint et au ménage). Tel sera le cas, par exemple, d’un cautionnement donné par un époux au profit d’un tiers (sauf s’il s’agit d’une société commune, bien entendu), ou bien encore d’un emprunt dont les fonds n’ont pas profité à la communauté (financement d’un bien propre à l’époux emprunteur, par exemple). Mais si cet emprunt a financé un acquêt, la cause sera entendue, et l’inscription au passif définitif de la communauté acquise, quand bien même ledit bien n’existerait plus au jour de la liquidation.

 

Cependant, dans l’hypothèse où l’emprunt ou le cautionnement n’aurait pas profité à la communauté, il faudra encore distinguer selon que des deniers communs auront été utilisés pour rembourser les mensualités ou payer le créancier. Si aucun argent commun n’a été utilisé, l’emprunt ou le cautionnement sera alors totalement étranger à la communauté (pas d’inscription au passif, et aucune récompense due à la masse commune). Au contraire, si des deniers communs ont été utilisés pour rembourser le prêteur ou payer le créancier, une récompense au profit de la communauté apparaîtra (le montant de cette récompense est une question à part entière qui ne sera pas traitée ici).

 

Pour le cas spécifique de l’emprunt, on peut résumer son régime en communauté de façon assez simple.

 

- Au plan de l’obligation à la dette, l’emprunt n’engage pas la communauté (C. civ., art. 1415), sauf consentement exprès du conjoint non emprunteur (au sens de l’article 1415), étant précisé que, si l’emprunt peut être qualifié de ménager (C. civ., art. 220), il engagera l’ensemble des biens du ménage, y compris les biens propres de l’époux non emprunteur, puisque la dette sera qualifiée de solidaire.

 

- Au plan de la contribution à la dette, l’emprunt fait partie du passif définitif de la communauté par principe, sauf à l’époux non emprunteur à démontrer qu’il a été souscrit par l’autre époux dans l’intérêt personnel de ce dernier. Si des deniers communs ont servi à régler cet emprunt, une récompense sera due à la communauté.

 

Par conséquent, l’arrêt invite les juristes, qu’ils soient juges, notaires ou avocats (mais aussi les banques), à ne pas confondre obligation et contribution à la dette. C’est pour avoir un peu tout mélangé que les conseillers bordelais sont censurés au cas présent. Il convient donc que tout praticien identifie nettement le domaine dont relève son dossier. S’agit-il d’un problème de droit de gage du créancier ? C’est alors l’obligation à la dette qui est en cause. S’agit-il au contraire d’un problème liquidatif dans les rapports entre époux ? Ce sont alors les règles de la contribution à la dette qui doivent s’appliquer. Rigueur, rigueur...

 

II - Preuve du caractère propre d’un bien

 

L’article 1402 du Code civil (N° Lexbase : L1533ABE) dispose clairement, en son alinéa 1er, que «tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi». Et l’alinéa deux enfonce le clou en précisant que la propriété personnelle d’un époux, si elle est contestée, doit être prouvée par écrit, sauf pour les biens qui portent en eux-mêmes la preuve ou la marque de leur origine. Le second moyen de cassation jouait donc sur du velours. En effet, comme il est fréquent en matière de divorce, les époux se disputaient à propos des meubles, le mari soutenant que sa femme était partie avec des meubles de la communauté, ce que cette dernière niait, affirmant n’avoir pris que des meubles propres, provenant de la succession de ses grands-parents. La cour d’appel a rejeté les demandes de restitution du mari en jugeant que ce dernier ne produisait aucune pièce pour contrer l’affirmation de l’épouse. L’erreur de droit était une fois encore patente, puisque les conseillers d’appel ont inversé la charge de la preuve, la seule lecture de l’article 1402 aurait dû les en convaincre. Il ne pouvait donc faire de doute que c’était à l’épouse de prouver (contre la présomption de communauté) que les meubles qu’elle avait pris relevaient de ses biens propres. La censure était donc inévitable.

 

On précisera enfin que l’époux qui doit prouver contre la présomption de communauté doit rapporter, par principe, une preuve écrite, ce qui est souvent oublié (v., Rep. civ. Dalloz, v° Communauté légale : actif des patrimoines, 2018, par G. Yildrim et A. Chamoulaud-Trapiers, spec., n° 214 et s.). C’est un écrit très souplement entendu, certes, mais cela n’en reste pas moins un écrit. Le code vise «tous écrits, titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banques et factures», ce qui laisse une souplesse appréciable. Quant à l’impossibilité morale ou matérielle de se procurer un écrit, prévue par la dernière phrase du texte, on ne trouve pas trace d’un arrêt l’ayant retenue, ce qui ne saurait surprendre, puisque nul ne voit où serait l’impossibilité d’avoir un écrit dans une donation, une succession, et en quoi il serait impossible de rédiger un contrat de mariage afin de lister les biens présents.

 

L’arrêt remet donc les choses à l’endroit, et il appartiendra à l’épouse de prouver que les biens qu’elle a pris étaient des biens propres provenant de la succession de ses grands-parents, et elle devra le faire par écrit, fût-ce un écrit souplement entendu. Sauf bien sûr, si ces meubles portent «en eux-mêmes» la marque de leur origine (meubles armoriés, chiffrés, nominatifs, signés, etc.) auquel cas, cette seule marque suffira à faire preuve parfaite (mais l’autre époux sera évidemment admis à prouver que la communauté les a acquis d’un membre de la famille, ce qui en ferait des acquêts).

 

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