Réf. : CE Contentieux, 3 octobre 2018, n° 406279 (N° Lexbase : A6611YGX)
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par Guillaume Royer Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
le 21 Novembre 2018
Mots-clefs : Avocat • Publicité • Vitrine du cabinet d'avocat • Plaque professionnelle
Résumé : La «querelle des vitrines» semble avoir trouvé son épilogue devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt en date du 3 octobre 2018, il considère implicitement que la vitrine du cabinet d’avocat n’est pas assimilable à la plaque professionnelle. Il s’ensuit que les mentions apposées sur la vitrine ne constituent pas un support d’information objective, mais un support de publicité personnelle.
Le modèle économique du cabinet d’avocat est en plein bouleversement. Depuis quelques années, la société d’exercice libéral par actions simplifiée «AGN Avocats» ne cesse d’alimenter les chroniques de la presse judiciaire, mais également économique. Depuis sa création en 2012, cette société cherche à bousculer les repères de la Profession : elle se distingue sur le marché du conseil, de l’assistance et de la représentation juridiques par sa volonté de proposer au justiciable une offre décrite comme simplifiée, accessible et transparente. La société «AGN Avocats» a tissé un réseau d’agences franchisées qui sont généralement situées dans des rues fréquentées, en rez-de-chaussée. On ne peut pas les rater : elles exposent sur leurs vitrines les domaines d’intervention des avocats de la société en les représentant par des logos, affichant les tarifs forfaitaires pratiqués et proposant des services en ligne.
Ce sont justement ces vitrines qui ont attiré les foudres de plusieurs autorités ordinales, lesquelles posent plusieurs difficultés. Tout d’abord, la transparence de la devanture qui, située dans une rue très passante, serait de nature à compromettre le respect du secret professionnel posé en principe par l’article 2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8). Ensuite, les pictogrammes présents sur la vitrine ne correspondent généralement pas à des certificats de spécialisation délivrés aux avocats exploitant les agences "AGN", mais plutôt à des domaines d’activité. Sur ce dernier point, certaines autorités ordinales ont considéré que ces vitrines méconnaissaient les dispositions de l’article 10.6.2 du RIN. C’est dans ce contexte de feu nourri que l’Ordre des avocats d’Aix-en-Provence, de Toulouse et de Limoges ont ralenti ou empêché l’ouverture de ces structures franchisées suscitant alors un contentieux devant les juridictions civiles, mais également devant les juridictions administratives. Le raisonnement tenu par ces diverses autorités ordinales est simple : la vitrine du cabinet est assimilée à la plaque professionnelle. S’agissant d’un élément d’information objective de l’avocat, la sobriété est de mise…
Contestant cette assimilation de la vitrine à la plaque professionnelle, la SELAS «AGN» a demandé au Conseil national des barreaux d’abroger, le 6 octobre 2016, les mots «à la plaque professionnelle située à l'entrée de l'immeuble où est exercée l'activité du cabinet et» figurant à l'article 10.6.2 du RIN dans sa rédaction issue de la décision n° 2014-001 du 13 novembre 2014 portant réforme de ce règlement. Puisque la vitrine est assimilée à une plaque professionnelle, il fallait libéraliser l’austère régime juridique de la plaque professionnelle pour en faire un élément de publicité personnelle, et non plus un élément d’information objective. Le Conseil national des barreaux ayant implicitement rejeté cette demande, la SELAS «AGN» a saisi le Conseil d’Etat, lui demandant d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Conseil national des barreaux (CNB) sur la demande qu'elle lui a faite et d’enjoindre au Conseil national des barreaux d'abroger les mots litigieux, dans un délai de deux mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Par une décision en date du 3 octobre 2018, le Conseil d’Etat a rejeté ce recours pour excès de pouvoirs aux termes d’une motivation dont l’interprétation est assez malaisée. Pourtant -et s’il nous est permis de lire entre les lignes sibyllines de l’arrêt- il semble que le Conseil d’Etat refuse d’assimiler la vitrine à une plaque professionnelle (I). La conséquence est très importante : la vitrine devient un support de publicité personnelle dont le régime juridique est nettement plus libéral que celui de l’information objective (II).
I - Nature autonome de la vitrine
La «querelle des vitrines» a peut-être trouvé son épilogue devant le Conseil d’Etat. Mais encore faut-il avancer avec une certaine prudence… L’arrêt relève ainsi que «contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées qu'elles étendent l'application des règles relatives à la correspondance de l'avocat aux plaques professionnelles et non aux vitrines des cabinets d'avocats. Les moyens dirigés contre l'article 10.6.2 en tant qu'il régirait ce type de support ne peuvent, dès lors, qu'être écartés comme inopérants». De prime abord, et comme l’indique Madame Pinat, dans d’autres colonnes, on peut regretter que «cette motivation laisse le commentateur dubitatif puisqu’en déplaçant le problème de la vitrine à la plaque professionnelle, le Conseil d’Etat va dérouler le reste de sa motivation sans jamais répondre clairement à la question de savoir si la société ‘AGN avocats’ peut afficher des domaines de spécialités sur sa vitrine en dépit de cette exigence» [1]. Mais il n’en demeure pas moins qu’une interprétation est possible. En effet, le moyen d’abrogation de l’article 10.6.2 présenté par la société AGN est considéré comme inopérant par le Conseil d’Etat. Or, la référence au mécanisme de l’opérance est fondamentale : est considéré comme inopérant, le moyen qui est non-susceptible d’influer sur la solution du litige.
Or, si la société «AGN» n’est pas en mesure de solliciter efficacement l’abrogation de l’article 10.6.2 du RIN, c’est précisément parce que ce texte… n’aborde pas, explicitement ou implicitement, la question de la vitrine du cabinet ! De la sorte, le Conseil d’Etat considère que l’article 10.6.2 du RIN ne serait d’aucun secours pour aborder la problématique de la vitrine. En cela, le Conseil d’Etat réfuterait -mais le conditionnel doit être de rigueur- l’analogie entre la plaque professionnelle et la vitrine. Par voie de conséquence, cela reviendrait à sceller le sort de deux importants avis rendus par la commission des règles et des usages du Conseil national des barreaux qui, en dates respectives du 16 mars 2015 et du 5 février 2016, ont estimé que les affichages et les vitrines des cabinets devaient être assimilés aux plaques professionnelles [2]. Et à supposer, comme semble le suggérer le Conseil d’Etat, que la vitrine du cabinet ne puisse être assimilée à la plaque professionnelle, c’est un régime juridique différent qui en découle.
II - Régime publicitaire de la vitrine
Il faut bien admettre que le débat portant sur la nature juridique autonome de la vitrine emporte des conséquences juridiques et économiques très importantes sur le modèle économique de la société «AGN» : la vitrine n’est plus considérée comme un support d’information objective, mais comme un support de communication publicitaire. Et c’est d’ailleurs ainsi que l’envisage la SELAS «AGN» avec ses devantures bleues et attractives qui en disent beaucoup plus que ne le permettrait la «plaque professionnelle» au sens de l’article 10.6.2 du RIN. En application de cette disposition, «les dispositions relatives à la correspondance postale ou électronique de l’avocat s’appliquent à la plaque professionnelle située à l’entrée de l’immeuble où est exercée l’activité du cabinet et aux cartes de visite». Autrement dit, on ne peut en inscrire plus sur sa plaque professionnelle que sur son papier à entête. Or, les dispositions de l’article 10.6.1 du RIN sont particulièrement restrictives puisque l’information objective peut «présenter notamment, à la condition que les mentions aient un lien avec l’exercice de la profession d’avocat, l’organisation du cabinet, ses structures, les membres qui le composent ou qui y ont exercé» et aussi faire mention de «sa ou ses spécialisations régulièrement obtenues et non invalidées à l’exclusion de ses domaines d’activité». Très souvent les agences locales de la SELAS «AGN» ne pourraient se prévaloir des pictogrammes litigieux, puisque ceux-ci ne pourraient davantage apparaître sur la correspondance du cabinet… faute de certificat de spécialisation régulièrement obtenus par les franchisés.
En revanche, l’intégration de la vitrine au support publicitaire aboutit à l’application d’un régime nettement plus libéral. En effet, l’article 10.3 du RIN indique simplement que «la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession». Et, pour l’illustrer, le «Vade-mecum de la communication» publié par la commission des règles et usages du Conseil national des barreaux précise que la publicité personnelle de l’avocat peut faire état «des domaines d’activité, juridiques ou judiciaires, réellement pratiquées, l’emploi, à cette occasion, des mots ‘spécialiste’, ‘spécialisé’, ‘spécialité’ ou ‘spécialisation’, ainsi que de tout symbole associé à ces mots, étant exclusivement réservé aux domaines d’activité pour lesquels l’avocat est titulaire d’un certificat de spécialisation régulièrement obtenu et non invalidé» [3]. La publicité personnelle peut rappeler les spécialisations, mais également -plus modestement, les «domaines d’activité»-. Dès lors, les agences locales «AGN AVOCATS» peuvent se prévaloir des pictogrammes litigieux en vitrine : il suffit que ces matières soient pratiquées pour légitimer l’apposition du pictogramme.
Reste à savoir si les Ordres seront sensibles à la part d’implicite procurée par l’arrêt du Conseil d’Etat…
[1] C.-S., Pinat, Affaire AGN avocats : le Conseil d’Etat maintient les dispositions de l’article 10.6.2 du RIN, Dalloz Actualité, 17 octobre 2018.
[2] Sur la position du problème, v., H. Ader et autres, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, Coll. Actions, 15ème éd., 2016/2017, n° 462.35.
[3] Vade-mecum de la communication, p. 21.
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