Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 février 2018, n° 14/16971 (N° Lexbase : A0935XED)
Lecture: 6 min
N3208BX4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS
le 22 Mars 2018
Pendant longtemps on évoquait en effet "l'arbitrage du Bâtonnier", alors pourtant que la rédaction de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, relative à la profession d'avocat (N° Lexbase : L7655AHY) conférait à cette autorité professionnelle le pouvoir de "prévenir ou concilier" les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau.
Prévenir ou concilier : pas arbitrer.
Cela n'empêchait pas la jurisprudence d'y voir parfois un véritable arbitrage (CA Paris, 18 décembre 1985, Rev. arb., 1988, obs.Th. Bernard).
Mais on s'est tout de même demandé s'il s'agissait ou non d'un arbitrage "véritable " (B. Moreau, L'arbitrage du Bâtonnier, Rev. arb., 1993, p. 361 ; G. Flécheux, L'arbitrage du Bâtonnier. Un exemple d'arbitrage forcé, Rev. arb., 1990, p. 101 ; J. Villacèque, La juridiction du Bâtonnier : une charge publique à parachever, D., 1997, Chron., p. 305).
On a aussi eu, logiquement et corrélativement, matière à hésiter sur le domaine de cet arbitrage du Bâtonnier.
Ainsi, le barreau de Paris avait, dans son règlement intérieur, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier "toute difficulté entre avocats relativement ou à l'encontre d'une structure" alors qu'à l'époque, la loi ne soumettait à l'arbitrage du Bâtonnier que le contrat de travail entre avocats.
Or, cette extension ordinale du domaine du recours obligatoire à l'arbitrage du Bâtonnier a été censurée par la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 22 novembre 2005.
Dans une première affaire (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 04-11.384, F-P+B N° Lexbase : A7506DLL, Bull. civ. I, n° 421, D., 2006, Jur. p. 2079, note E. Rosenfeld, et Pan., p. 268, obs. B. Blanchard), il s'agissait d'un conflit entre un avocat et son ancien cabinet à propos d'un solde de rémunération. Fort de son règlement intérieur, le Bâtonnier de Paris se déclara compétent pour apprécier le litige et organiser l'arbitrage. Le cabinet d'avocats fit appel de cette décision estimant qu'il n'était pas tenu de régler son litige par la voie de l'arbitrage. Il fut débouté par la cour d'appel de Paris qui renvoya au règlement intérieur du barreau de Paris. La censure pour violation de la loi intervient au motif que "hors les cas où la loi en dispose autrement, seule la volonté commune des parties peut investir l'arbitre de son pouvoir juridictionnel".
On a notamment estimé que permettre à un règlement ordinal d'étendre le domaine de l'arbitrage du Bâtonnier reviendrait à lui permettre de créer un nouvel ordre de juridiction, ce qui, aux termes de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), est du domaine exclusif de la loi (en ce sens, E. Rosenfeld, note D., 2006, Jur., p. 2079).
C'est d'ailleurs ce que rappelle la Cour de cassation dans le second arrêt du même jour lorsqu'elle a énoncé que "le règlement intérieur d'un barreau ne peut, sans méconnaître cette disposition législative, étendre la compétence du Bâtonnier aux litiges nés à l'occasion de l'exercice de la profession d'avocat en groupement" (Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-12.860, FP-P+B N° Lexbase : A7416DLA ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9233ET7, Bull. civ. I, n° 422, LPA, 2006, n° 133, p. 22, concl. J. Sainte-Rose ; D., 2005, IR, p. 3032).
Cette jurisprudence s'était installée. Ainsi, lorsqu'une cour d'appel a appliqué l'arbitrage du Bâtonnier, sur le fondement du règlement intérieur de barreau de Paris, et en l'absence de clause compromissoire, à une SCP d'avocats qui s'y opposait, la Cour de cassation a de nouveau censuré (Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 04-19.290, F-P+B+I N° Lexbase : A8476DPM, Bull. civ. I, n° 283, D., 2006, IR, p. 1769).
Fort heureusement, l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 dispose désormais que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel "est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier".
La compétence ordinale relative au "règlement de tout différend entre les avocats à l'occasion de leur exercice professionnel" est donc clairement établie.
Sur un plan théorique, on s'est interrogé sur la légitimité d'un tel "arbitrage forcé". Cet arbitrage du Bâtonnier échappe au fondement habituellement conventionnel de l'arbitrage. Certains auteurs en déduisent que pour ce motif ce n'est pas un véritable arbitrage (Ch. Jarrosson, Rev. arb., 1988, 296, n° 5), ce qui peut se comprendre du point de vue des qualifications juridiques. Il est vrai que la notion d'arbitrage forcé semble irrecevable, un arbitrage ne pouvant être "forcé".
Mais il existe d'autres exemples d'arbitrage "forcé", par exemple en droit des investissements internationaux. Et surtout, nous sommes ici en présence d'un texte spécial dont l'impérativité ne fait guère de doute, s'agissant de l'organisation d'une profession d'auxiliaire de justice, et non des moindres. Considérons donc que l'arbitrage du Bâtonnier est un arbitrage, puisque la loi le dit. Mais la question rebondit sur un plan pratique.
Arbitrage forcé par une disposition impérative de la loi, soit. Mais cette compétence arbitrale est-elle exclusive ? Les parties (avocats) ont-elles la possibilité de s'accorder un autre arbitrage ? L'arrêt commenté dit qu'une clause d'arbitrage l'emporte sur l'arbitrage du Bâtonnier.
En l'espèce, un avocat inscrit au barreau de Paris avait conclu un partenariat avec un cabinet membre d'un groupe international installé à Londres, précisément pour exercer au barreau de Paris au sein du cabinet parisien membre de ce groupe, et plus précisément en qualité d'associé de la SCP qui structure ce cabinet. Il quitte le cabinet. Il saisit le Bâtonnier aux fins de faire liquider ses droits au titre de sa participation dans la SCP. Le Bâtonnier se déclare incompétent, et c'est cette décision d'incompétence qui est confirmée par l'arrêt commenté.
La cour met l'accent sur ceci que les sommes réclamées relèvent de l'application du partenariat, à savoir bonus de performance, feuille de route, attribution de points de rémunération, performance pool, et honoraires particuliers à certains dossiers. Or, ce partenariat comporte une clause compromissoire, et c'est cette clause qui doit recevoir application.
La cour ajoute que cette clause n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable en ce qu'elle n'est pas contraire aux dispositions des articles 179 et suivants du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L5731IM9).
La Cour de cassation s'était déjà prononcée en ce sens (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, n° 86-19.462 N° Lexbase : A0461C4T, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ.2, 13 septembre 2012, n° 10-21.144, FS-D N° Lexbase : A7467ISD ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2704E4W, Rev. arb., 2013, 393), décidant par exemple en 2014 (Cass. civ.1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I N° Lexbase : A0579MUY, Rev. arb., 2015, p. 1103, note B. Castellane ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1764E7H), "qu'une clause compromissoire entre avocats est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971".
La compétence de l'arbitrage du Bâtonnier est exclusive de toute compétence judiciaire, mais elle cède devant un arbitrage convenu entre les parties.
Dans une décision du 22 juin 2016 (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-18.701, F -D N° Lexbase : A2476RUA, Rev. arb., 2016, 960) la Cour de cassation admet encore l'application d'une clause compromissoire contenue dans une convention d'exercice en groupe non signée, dès lors que l'exécution de ladite convention équivalait à une acceptation de la clause.
En somme, il faut affiner l'analyse : la clause compromissoire, y inclus par acceptation tacite, prévaut sur l'arbitrage du Bâtonnier.
Reste-t-il une petite interrogation ? La cour poursuit : "puisque le litige oppose d'une part un avocat à la fois inscrit au barreau de Paris et auprès de l'autorité de contrôle britannique et d'autre part une structure britannique". Le mot "puisque" intrigue. La primauté de l'arbitre choisi par les parties serait-elle réservée aux situations de droit international ?
Ce serait dommage, du point de vue de la liberté patrimoniale des avocats et de la cohérence du droit de l'arbitrage. D'autre part, la jurisprudence précitée (Cass. civ. 2, 27 avril 1988, Rev. arb., 1988, 293, note Ch. Jarrosson ; Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 13-13.598, FS-P+B+I, Rev. arb., 2013, 393, précité) ne fait aucunement cette distinction.
Gageons que la Cour de cassation aura bientôt l'occasion d'écarter ce rédactionnel maladroit de la décision commentée, par ailleurs excellente.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:463208