La lettre juridique n°439 du 12 mai 2011 : Responsabilité

[Questions à...] L'amélioration du dédommagement des victimes d'accidents de la route : une réforme en cours de la loi "Badinter" de 1985... Questions à Maître Rémy Le Bonnois, avocat à la cour

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[Questions à...] L'amélioration du dédommagement des victimes d'accidents de la route : une réforme en cours de la loi "Badinter" de 1985... Questions à Maître Rémy Le Bonnois, avocat à la cour. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4416327-questions-a-lamelioration-du-dedommagement-des-victimes-daccidents-de-la-route-une-reforme-en-cours-
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 12 Mai 2011

Le 16 février 2010, était adoptée par l'Assemblée nationale la proposition de loi visant à améliorer l'indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d'un accident de la circulation. Depuis, le projet stagne dans le circuit d'adoption... Il n'en mérite pas moins que l'on revienne dessus puisque ce texte viendrait toucher à la grande loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, dite loi "Badinter" (N° Lexbase : L7887AG9). Selon l'exposé des motifs, "les grands principes de cette loi votée il y a vingt-cinq ans méritent d'être réaffirmés. La mise en oeuvre de cette loi a cependant fait apparaître un certain nombre de lacunes". Sans la réformer, la proposition de loi vise à compléter les dispositions de la loi "Badinter". Pour faire le point sur cette réforme en cours, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Rémy Le Bonnois, avocat spécialisé en réparation des dommages corporels, qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Que pensez-vous de la création d'une base de données en matière de réparation du dommage corporel ?

Rémy Le Bonnois : La proposition de loi prévoit, en effet, la création d'une base de données en matière de réparation du dommage corporel recensant l'ensemble des transactions et des décisions judiciaires et administratives ayant trait à l'indemnisation de ces dommages. Sur le principe, ce n'est pas une mauvaise chose, notamment en matière administrative... En effet, il n'est pas possible d'avoir accès aux évaluations retenues par les juridictions administratives, en dehors des dossiers du cabinet, ce qui représente un panel insuffisant, aussi important soit-il.

Donc, sur le principe, l'idée est bonne, mais elle présente certains dangers du point de vue des victimes.

Le fait de disposer d'une banque de données et de barèmes indiquant ce que valent chacun des postes de préjudice est satisfaisant, à condition qu'il s'agisse de barèmes indicatifs auxquels le juge n'est pas tenu. Celui-ci doit, en effet, pouvoir s'écarter du barème en fonction du cas qui lui est soumis puisque l'indemnisation d'un préjudice doit impérativement être individualisée.

Dans les grandes juridictions, où les magistrats sont spécialisés, cela ne pose pas de difficultés particulières. C'est, en revanche, dans les juridictions où les juges sont moins expérimentés que cela peut devenir problématique du fait d'un risque d'application systématique du barème. Il faut donc impérativement que le barème reste indicatif.

Le deuxième écueil, selon moi, est celui d'une uniformisation vers le bas. En effet, certains tribunaux, certaines cours publient depuis longtemps des barèmes et force est de constater que les fourchettes d'évaluation des indemnisations tendent à diminuer. Pourtant, les indemnisations proposées ne sont déjà pas très généreuses d'une manière générale.

Lexbase : Et s'agissant de la réactualisation du barème de capitalisation ?

Rémy Le Bonnois : C'est une bonne initiative car il n'a jamais été réactualisé depuis 1986 et il était déjà défavorable aux victimes... Néanmoins, je ne suis pas sûr qu'il faille laisser l'initiative d'établir ce barème à l'administration.

Différents barèmes pourraient être proposés par les compagnies d'assurance, par la chambre des notaires, par des revues, etc.. Je pense qu'il conviendrait de prévoir plusieurs barèmes et que c'est au juge qu'il appartient de retenir celui qui lui paraît le mieux adapté.

Quoi qu'il en soit, il faut faire confiance au juge ; il est important qu'il puisse disposer d'un maximum d'informations, mais ensuite, c'est lui le mieux placé pour évaluer le montant de l'indemnisation. On ne peut pas tout résoudre sous forme de lois ; il faut préserver le pouvoir d'appréciation des juges.

Lexbase : Etes-vous favorable à l'encadrement des opérations d'expertise médicale ?

Rémy Le Bonnois : La proposition de loi prévoit d'interdire à un médecin d'être conseil de la victime d'un accident de la circulation vis-à-vis d'une compagnie d'assurance dont il est aussi habituellement médecin conseil. Le texte prévoit, par ailleurs, l'obligation, pour les médecins de déclarer auprès des conseils départementaux de l'ordre des médecins, les noms des compagnies d'assurance pour lesquels ils travaillent.

Je crois effectivement qu'il faut faire en sorte que les médecins soient clairement identifiés. Il existe des médecins-conseils des compagnies d'assurance, des médecins-experts-judiciaires, et des médecins de recours. C'est évident qu'il existe des incompatibilités entre ces trois types de spécialistes, qui ont pourtant des compétences équivalentes. Dans certaines villes de province, il arrive fréquemment qu'un médecin-expert soit aussi médecin-conseil d'une compagnie d'assurance, et il est évident que cela pose un problème d'indépendance ; c'est humain, sans qu'il s'agisse de mauvaise foi.

L'indépendance des médecins est un point fondamental que les avocats spécialisés revendiquent depuis toujours. Cela étant, une telle réglementation sera confrontée à des difficultés d'application dans les petites villes de province, alors qu'aujourd'hui on ne dispose pas de médecin de recours dans toutes les grandes villes de France, et a fortiori encore moins dans les petites villes. La réforme est importante ; des solutions seront trouvées (pôles de compétences...).

Lexbase : Que pensez-vous de l'officialisation de la nomenclature "Dintilhac" ?

Rémy Le Bonnois : C'est une bonne mesure. En effet, même si cette nomenclature est déjà appliquée de manière quasi systématique par les tribunaux, c'est en matière amiable, qu'il conviendrait d'imposer aux compagnies d'assurance l'application de la nomenclature. Cette mesure constituerait un réel apport sachant que 95 % des dossiers sont réglés dans le cadre d'une procédure amiable contre 5 % dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Si la victime a recours à un cabinet d'avocats spécialisés en matière de réparation de dommages corporels, même si le rapport d'expertise amiable est un peu incomplet, le conseil saura répondre à tous les chefs de préjudice. Mais cela n'est bien évidemment pas le cas lorsque la victime est seule ou si son avocat n'est pas spécialisé ; certains chefs de préjudice, qui peuvent être très importants, sont alors oubliés.

Prenons l'exemple des incidences professionnelles, le médecin-conseil va relever l'inaptitude professionnelle, c'est certain ; de même, en cas de changement de poste, s'il s'accompagne d'une perte de gains ; en revanche, s'agissant des préjudices tels que la pénibilité professionnelle, la dévalorisation professionnelle, etc., l'impasse est nettement plus probable. Or, il faut savoir qu'à Paris, les incidences professionnelles représentent l'un des postes les plus importants au niveau de l'indemnisation.

Si l'on oblige donc les médecins conseils des compagnies d'assurance et les compagnies d'assurance à se référer à la nomenclature "Dintilhac", ils seront obligés d'y répondre, ce qui est favorable à la victime.

Lexbase : Auriez-vous d'autres suggestions de réforme qui pourraient être prises en compte dans le cadre de cette proposition de loi ?

Rémy Le Bonnois : Je pense qu'une réforme capitale, dépassant le cadre de la loi du 5 juillet 1985 et concernant la réparation des dommages corporels en général, est à envisager ; il s'agirait de retirer à l'ordre administratif, ce que l'on appelle le plein contentieux, ou à tout le moins le contentieux des accidents médicaux.

Il s'agirait de transférer tout le contentieux de la réparation des dommages corporels au juge judiciaire, comme cela est notamment le cas pour les accidents de la circulation. Le problème vient de ce qu'un même préjudice peut donner lieu à une indemnisation pouvant aller du simple au triple selon qu'il est évalué par le juge administratif ou le juge judiciaire.

Au lieu d'exiger un référentiel dans les juridictions administratives dans un objectif d'uniformisation, il me semblerait préférable que ce contentieux soit transféré aux juridictions judiciaires, ce qui amènerait une unité au niveau de la jurisprudence et de l'évaluation du préjudice. Il s'agit de la vraie réforme à mener.

Par ailleurs, la proposition envisage la présence obligatoire d'un médecin aux côtés de la victime. C'est une excellente chose, mais l'on peut se demander si la présence d'un juriste ne pourrait pas également être suggérée, et d'un juriste spécialisé dans la réparation des dommages corporels. En effet, le médecin est un technicien qui va pouvoir évaluer les différents taux, mais quand on parle d'expertise, il s'agit d'expertise médico-légale ; or, trop de médecins ignorent les aspects juridiques. Ces juristes que j'évoque sont bien sûr les avocats spécialisés ou des experts d'assurés.

Sans que le recours soit obligatoire, il suffirait simplement de prévoir une mention incitative à ce sujet.

Il conviendrait également de supprimer la convention IRCA (indemnisation et recours corporel automatique) en matière d'accidents de la circulation. Cette convention prévoit que la gestion des dossiers est réalisée, dans un premiers temps, par la compagnie d'assurance de la victime ; si la première expertise médicale révèle que la victime est atteinte de plus de 5 % d'incapacité, la gestion est alors transférée à la compagnie du véhicule impliqué responsable. L'objectif de la convention est de réduire les coûts de gestion. Mais le problème est que cela engendre des effets pervers. Cela implique, notamment, que la provision versée par la compagnie d'assurance va s'avérer dérisoire lorsqu'elle sait pertinemment que l'incapacité est supérieure à 5 % et que le dossier sera ainsi géré par la suite par la compagnie qui doit payer.

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