La lettre juridique n°439 du 12 mai 2011 : Fonction publique

[Questions à...] Diffamation de la hiérarchie professionnelle sur Facebook : des sanctions (pour l'instant) plus clémentes pour les fonctionnaires que pour les salariés - Questions à Anthony Bem, avocat au barreau de Paris

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[Questions à...] Diffamation de la hiérarchie professionnelle sur Facebook : des sanctions (pour l'instant) plus clémentes pour les fonctionnaires que pour les salariés - Questions à Anthony Bem, avocat au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4392467-questions-a-diffamation-de-la-hierarchie-professionnelle-sur-facebook-des-sanctions-pour-linstant-pl
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophia Pillet, SGR Droit social

le 12 Mai 2011

Alors qu'un conseil de prud'hommes avait estimé, en novembre 2010 (1), que des propos peu amènes tenus sur Facebook à l'égard de la hiérarchie de l'entreprise justifiaient le licenciement de salariés pour faute grave, aucune décision n'avait été rendue concernant la sanction d'une telle faute de la part d'un fonctionnaire d'une administration publique. Le 1er avril 2011, le Conseil de discipline de Versailles a délibéré sur cette question en ne prononçant finalement qu'une sanction de suspension d'un mois à l'encontre d'un employé de mairie pour des propos bien plus graves que ceux objets du licenciement des salariés précités. Afin de comprendre les raisons de cette relative clémence, Lexbase Hebdo - édition publique et édition sociale ont rencontré Anthony Bem, avocat au barreau de Paris (2). Lexbase : Quel était le contenu des écrits incriminés ?

Anthony Bem : Un fonctionnaire d'une petite commune française, après une dure journée de travail et des tensions avec son supérieur hiérarchique, le maire de la commune en question, est rentré chez lui et a inscrit sur le "mur" de son profil Facebook des propos diffamatoires à l'encontre de ce dernier. Il avait, en outre, indiqué sur son profil Facebook le nom de son employeur, à savoir la commune qui l'embauchait. Ayant eu connaissance des invectives, le maire a fait établir un constat des propos à caractère diffamatoire tenus à son encontre par ce fonctionnaire et le convoque pour le révoquer, ce qui suppose, au préalable, l'intervention d'un conseil de discipline, à la tête duquel se trouve le président du tribunal administratif local.

Lexbase : Le même type d'affaire se déroulant dans une entreprise privée a donné lieu à un licenciement. Est-ce la différence de degré entre les deux types de sanction qui a justifié la clémence des juges ?

Anthony Bem : En effet, le 19 novembre 2010, les juges des prud'hommes ont validé le licenciement de salariés qui avaient diffamé leur hiérarchie sur Facebook. Dans cette affaire, deux salariés disaient faire partie d'un "club des néfastes" et respectant un rite consistant à se "foutre de la gueule" de leur supérieure hiérarchique. Deux autres employées avaient répondu : "Bienvenue au club". Toutefois, la révocation d'un fonctionnaire relève du droit public alors que le licenciement d'un salarié relève du droit privé et des articles L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC) et suivants du Code du travail. Selon la jurisprudence, la faute grave est une violation des obligations du contrat de travail qui empêche le maintien du salarié dans l'entreprise pendant l'exécution du préavis (3). La révocation est la sanction professionnelle des fonctionnaires qui réprime les fautes professionnelles les plus graves de ces derniers. L'article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L5971GTC), en fait, d'ailleurs, une sanction disciplinaire du quatrième groupe, c'est à dire le dernier dans l'échelle des sanctions définies par l'administration publique.

Elle s'apparente donc à un licenciement, mais ses conséquences peuvent être plus dramatiques pour la personne concernée puisque le fonctionnaire révoqué perd la qualité de fonctionnaire à vie. Il ne peut donc plus espérer retrouver un emploi dans la fonction publique par la suite, alors qu'un salarié licencié pour faute peut tout à fait être embauché à nouveau dans le secteur privé, dans une autre entreprise. L'enjeu était donc important pour ce fonctionnaire d'obtenir au mieux l'annulation du constat d'huissier ayant relevé ses propos, ce qui a été relativement facile puisque ce constat était largement erroné, ou de limiter la sanction à une simple suspension du contrat limitée dans le temps.

Lexbase : Le conseil de discipline de Versailles a reconnu l'absence de preuve des faits. Pour quelles raisons le constat d'huissier produit par le maire a-t-il été annulé ?

Anthony Bem : L'évolution des contentieux liés à internet a conduit les juges à établir un véritable droit jurisprudentiel relatif aux conditions de validité des constats dressés pour apporter la preuve d'un contenu litigieux sur la toile. En effet, il ne suffit pas d'allumer son ordinateur et de réaliser des captures d'écran pour bénéficier d'une preuve irréfutable. Il faut faire réaliser un constat par un huissier de justice, par le centre d'expertises informatiques (CELOG), ou encore par l'agence pour la protection des programmes (APP) en fonction du contenu à constater, ces deux dernières sociétés étant de droit privé et constituées de professionnels de l'informatique et d'internet qui ont été homologués par les tribunaux pour établir des constats.

D'une part, les huissiers de justice ne peuvent pas valablement constater l'existence d'éventuels contenus litigieux sur le site internet édité par la société Facebook Inc depuis leur profil Facebook personnel (4). D'autre part, la preuve internet doit respecter un certain nombre de pré-requis techniques qui permettent de s'assurer de sa fiabilité et de "vérifier au moyen du journal de connexion du serveur interrogé les pages réellement consultées pendant les opérations de constat" (5). Ainsi, de manière constante, à défaut de respecter les mesures techniques listées ci-après, le constat d'huissier est sanctionné par le défaut de force probante (6).

Dans cette affaire, c'est dans ce contexte qu'il a été demandé de constater le défaut de force probante du constat réalisé par l'huissier de justice à la demande du maire compte tenu :

- de l'absence de capacité juridique de la personne ayant requis le constat d'huissier ;

- de l'absence de mention de l'adresse URL du site de la société Facebook ;

- du non-respect des obligations d'impartialité, d'objectivité et de loyauté ;

- de l'absence d'informations techniques, de vérification informatique et inhérentes à la navigation sur internet nécessaires au constat dont l'absence d'indication du fournisseur d'accès et le numéro de client, de la version de la mise à jour de l'antivirus de l'ordinateur, la version de mise à jour de la base de données, de la base de donnée des virus et programmes malveillants, de l'heure des travaux préparatoires et des constatations matérielles, de la purge des cookies, de l'historique, du cache, des pages vierges par défaut, du serveur proxy, le numéro IP de la machine ayant servi à dresser le constat, de la connexion internet faite depuis un serveur mandataire ou proxy, des URL des pages capturées ;

- des carences et fautes de l'huissier concernant ses constatations internet en tant que telles ;

- de l'absence de description du cheminement effectué par l'huissier pour accéder à la page internet contenant l'infraction et procéder formellement à la description des conditions d'accès au site cible ;

- de l'affirmation de l'huissier selon laquelle la page est "accessible à tous". Cependant, cette affirmation était erronée puisqu'en réalité il s'est connecté sous son profil Facebook personnel de sorte que les pages litigieuses n'ont pu être visibles que pour les membres de Facebook ou les "amis" Facebook, ce qui exclut le caractère public des propos selon l'interprétation a contrario de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Reims le 9 juin 2010 (7) ;

- et, de l'absence de démonstration par l'huissier du caractère public des propos prétendument diffusés sur internet.

Par conséquent, le conseil de discipline de Versailles a considéré que "les allégations, qui sont contestées pour la plupart, ne sont pas toujours assorties des précisions suffisantes et ne sont pas accompagnées d'éléments de preuve permettant de les tenir pour établies". La question de la preuve des contenus diffusés sur internet, et sur Facebook en particulier, est donc fondamentale afin d'établir la preuve de la faute commise et par voie de conséquence de permettre de prononcer une sanction à l'encontre d'un salarié ou d'un fonctionnaire.

Lexbase : Le conseil de discipline de Versailles a considéré que les faits reprochés à l'agent public constituaient une faute professionnelle mais a donné un avis défavorable quant à la révocation en relevant que le fonctionnaire n'avait pas connaissance du caractère public de son message. Comment expliquez-vous cette solution ?

Anthony Bem : Le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique a déclaré, à propos du blog d'un fonctionnaire, que l'attitude de l'administration "dépend [...] du contenu du blog. Dans ses écrits, le fonctionnaire auteur doit observer [...] un comportement empreint de dignité [...]. En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique, dont dépend l'agent, d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire" (8). Ainsi, dès lors que l'on travaille dans le secteur public, la sphère de la vie privée se réduit pour laisser plus de place à la fonction en elle-même. En l'espèce, le conseil de discipline a considéré que les écrits du fonctionnaire, objet de la procédure disciplinaire, n'étaient pas emprunt de la dignité suffisante au respect du devoir de réserve. Surtout, le fonctionnaire a reconnu avoir diffusé les propos diffamatoires, injurieux et dénigrants sur Facebook, ce qui a permis au conseil de discipline de dire que "ces faits doivent être tenus pour établi". L'aveu est, en effet, "la reine des preuves" dans le cadre d'une procédure. Le conseil de discipline a donc considéré que les propos tenus par le fonctionnaire étaient contraires au devoir de réserve qui repose sur tout agent public : "Les faits reprochés au fonctionnaire constituent une faute professionnelle de nature à justifier une sanction disciplinaire [...] ces faits constituent un manquement grave de cet agent à ses obligations statutaires". Toutefois, il tient compte de ce que " il [le fonctionnaire] reconnait ne pas avoir su qu'il pouvait limiter son accès et que cette page personnelle était accessible à tous" et qu'il s'est "excusé" de son comportement.

Le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (9) et la cour d'appel de Reims (10) n'avaient pourtant pas tenu compte de cet élément. Dans ce dernier cas, la cour d'appel a, notamment, dit qu'à partir du moment où l'on n'avait pas privatisé ses contenus, ils étaient publics, et qu'il existait donc un caractère diffamatoire des propos diffusés de manière publique. Ils ont, ainsi, attaché le caractère public aux propos tenus de manière implicite. On entre dans un problème de droit fondamental en matière de preuve internet, et plus précisément en matière de diffamations sur les réseaux sociaux : la preuve que les propos sont publics sur Facebook. En effet, n'importe qui peut y avoir accès. Or, les huissiers ne le font jamais dans la mesure où on ne le leur demande pas. Trop peu d'avocats connaissent la jurisprudence en cette matière. Pour l'ensemble de ces raisons, le conseil de discipline a prononcé une simple suspension d'un mois à l'encontre du fonctionnaire qui a conduit le maire a accepté le maintien de celui-ci à son poste. Ainsi, cette première délibération rendue à l'encontre d'un fonctionnaire précise ce que risquent les agents publics qui publient des propos injurieux ou diffamants à l'encontre de leur hiérarchie ou de leur employeur sur internet et les réseaux sociaux tels que Facebook et illustre la différence de traitement susceptible d'exister entre les secteurs public et privé pour des faits comparables.


(1) CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010, deux arrêts, n° 09/00343 et n° 09/00316 (N° Lexbase : A6712GKS), et lire Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 24 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).
(2) Voir le blog de Maître Anthony Bem.
(3) Cass. soc., 21 janvier 1972, n° 71-40.241, publié au bulletin (N° Lexbase : A3582CII).
(4) TGI Paris, 2 juillet 2007, n° 07/54956 (N° Lexbase : A3172DXR) et lire Propriété intellectuelle et "preuve électronique" - Questions à Christophe Caron, professeur agrégé à la faculté de droit de Paris XII et avocat associé du cabinet Christophe Caron, Lexbase Hebdo n° 392 du 21 avril 2010 - édition privée (N° Lexbase : N7520BNT).
(5) TGI Paris, 4 mars 2003, n° 00/16090 (N° Lexbase : A6909CK4).
(6) Ibid.
(7) CA Reims, ch. soc., 9 juin 2010, n° 09/03205 (N° Lexbase : A2056E9Z).
(8) QE n° 01709 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat du 30 août 2007, p. 1510, réponse publ. 17 avril 2008, p. 776 (N° Lexbase : L1808IEP).
(9) CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010, deux arrêts, n° 09/00343 et n° 09/00316, préc..
(10) CA Reims, ch. soc., 9 juin 2010, n° 09/03205, préc..

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