La lettre juridique n°439 du 12 mai 2011 : Fiscal général

[Questions à...] DVNI et régime du bénéfice mondial et consolidé : immersion au sein de l'élite de l'administration fiscale - Questions à Jean-Claude Drié, avocat au sein du cabinet BEA Avocats, Docteur en droit, Ancien vérificateur de la DVNI

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[Questions à...] DVNI et régime du bénéfice mondial et consolidé : immersion au sein de l'élite de l'administration fiscale - Questions à Jean-Claude Drié, avocat au sein du cabinet BEA Avocats, Docteur en droit, Ancien vérificateur de la DVNI. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4416241-questions-a-dvni-et-regime-du-benefice-mondial-et-consolide-immersion-au-sein-de-lelite-de-ladminist
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 12 Mai 2011

La Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) est chargée du contrôle fiscal, sur l'ensemble du territoire national et hors du territoire, des grandes entreprises françaises et de leurs filiales. Au sein de cette direction, se trouvent des brigades de contrôle et de vérification et des brigades d'assistance au contrôle des comptabilités informatisées. Parmi elles, une brigade de contrôle traite d'un régime fiscal méconnu, le bénéfice mondial et consolidé (BMC). Institué en 1965, et codifié à l'article 209 quinquies du CGI (N° Lexbase : L3911HLG), ce régime, dérogatoire au principe de territorialité, permet à une société mère française d'être imposée sur l'ensemble des résultats dégagés par l'ensemble du groupe à la tête duquel elle se trouve, peu importe la situation géographique de chaque filiale. Il en découle une double conséquence : d'une part, les bénéfices mondiaux dégagés par une filiale du groupe détenue à au moins 50 % sont imposés en France, sous déduction de l'impôt acquitté à l'étranger ; d'autre part, les déficits générés à l'étranger peuvent remonter jusqu'en France et venir en diminution du résultat imposable du groupe. Ce régime est accordé sur agrément du ministre de l'Economie et des Finances, après avis du Comité des investissements à caractère économique et social, pour cinq ans, renouvelable par périodes de trois ans.
Jean-Claude Drié, avocat au sein du cabinet BEA Avocats, Docteur en droit, ancien vérificateur de la DVNI, a accepté de nous faire partager son expérience au sein des rouages de cette direction d'élite, et plus particulièrement au sein de la brigade chargée du contrôle des entreprises bénéficiant du dispositif de l'article 209 quinquies du CGI. Lexbase : La DVNI est chargée de contrôler les plus grandes entreprises de France, sur l'ensemble du territoire national et hors du territoire. Dans quelles conditions s'opèrent les contrôles hors de France ? Est-ce une pratique répandue dans cette direction ?

Jean-Claude Drié : Le contrôle des groupes français dits "consolidés" entre dans les attributions normales de la DVNI. Ces groupes font l'objet de vérifications de comptabilité, qui s'exercent régulièrement, c'est-à-dire tous les trois ou quatre ans. Ainsi, avec un droit de reprise de trois ans, on voit que cette permanence du contrôle assure par là même une permanence dans les exercices vérifiés et peu d'années passent au travers d'une vérification. C'est la dixième brigade de vérification qui a en charge ce type de contrôle. Il y a encore peu de temps, la vingt-troisième brigade avait aussi ce type d'attribution, mais la défection progressive du régime fiscal du BMC a réduit le nombre de groupes et, corrélativement, le nombre de fonctionnaires en charge du contrôle.

Aujourd'hui, seulement cinq groupes français ont un agrément BMC, alors qu'à la création du régime, ils étaient plus de dix. On se pose souvent la question : pourquoi aussi peu de groupes ? Parce que ce régime fiscal est totalement méconnu et n'est décrit dans aucun ouvrage ; c'est un régime fiscal très confidentiel, décrit dans l'instruction 4 H-4-95 (N° Lexbase : X7814AAN), et, pourtant, très avantageux. En une phrase, je dirais qu'il permet à un groupe d'imputer en France des pertes réalisées à l'étranger par des filiales détenues à au moins 50 %. Ce régime permet de fonctionner comme une grande intégration fiscale et son obtention s'effectue, effectivement, sur agrément, d'où une grande sécurité dès sa mise en place.

Les contrôles s'effectuent de manière hors norme dans les rapports contribuable/administration. Le chef de brigade établit pour deux années une liste de filiales à vérifier qu'il soumet, pour simple avis, au groupe concerné. Les dates d'intervention sont alors programmées en commun accord car il est important de prendre en considération les contraintes locales. Quand, par exemple, vous êtes obligé d'aller en Chine ou en Australie, les déplacements ne s'effectuent pas sans un minimum de préparation.

Dès que les filiales sont arrêtées en termes de date d'intervention, le chef de brigade désigne deux vérificateurs en charge de la vérification de comptabilité. Ces derniers vont devoir, avant leur déplacement, produire une liste de questions préalables à poser à la filiale. Cette liste est établie à partir d'un contrôle sur pièces des déclarations fiscales de la société, déclarations examinées sur les bases des normes locales et aussi à partir des bilans qui ont été francisés. Ce dernier point est important car dans ce régime, la société soumise au BMC doit déterminer, bien sûr, son résultat local, mais aussi son résultat comme si elle devait déposer sa déclaration en France, ce que l'on nomme le résultat francisé.

Ce contrôle sur pièces effectué au moins un mois avant le départ, les deux vérificateurs peuvent ensuite se rendre sur place, après obtention d'un ordre de mission de l'administration centrale. Le voyage s'effectue toujours accompagné d'un représentant fiscal du groupe. Les frais de déplacements sont automatiquement pris en charge par ce même groupe, du fait de l'agrément. Ainsi, l'administration ne supporte aucun frais de déplacement lors de ses interventions.

Sur place, les vérificateurs peuvent rester en moyenne une dizaine de jours. Le travail dans la société s'effectue de manière ininterrompue. Il y a un véritable travail d'audit fiscal à effectuer en un temps record.

La mission s'achève par un débriefing local mais le terme du contrôle s'effectuera à Paris, après examen de tous les points soulevés dans l'ensemble des sociétés vérifiées.

Dans tous les cas de figure, même s'il y a des rectifications, le dialogue entre la DVNI et le groupe est constant. Les éventuels rappels d'impôt envisagés sont discutés avec le chef de brigade et les vérificateurs et, éventuellement, devant le bureau des agréments.

Lexbase : Quels sont les moyens, humains et matériels, de la DVNI ? Quelles sont ses relations avec les entreprises qu'elle contrôle, en termes de périodicité notamment ?

Jean-Claude Drié : La DVNI, implantée à Pantin à côté de la Direction nationale des enquêtes fiscales et la Direction générale des entreprises, est dirigée par un délégué interrégional des impôts et deux directeurs départementaux. Comme elle est une direction de contrôle, elle est organisée de façon très militaire : elle possède sept divisions, vingt-six brigades de vérification générale (BVG) et neuf brigades de vérification des comptabilités informatisées (BVCI).

La direction compte environ 500 personnes, en grande majorité des fonctionnaires de catégorie A.

Les relations avec les grandes entreprises sont de très bonne qualité. Cela est dû à l'état d'esprit et au niveau de ses agents ; à la DVNI, la règle c'est la compétence, le dialogue contradictoire, la courtoisie. J'insiste sur la compétence car les textes fiscaux sont réellement examinés et le droit est bien connu, même si la direction est toujours à la recherche de "gisements de rectifications". Au cours des réunions de brigade, la jurisprudence et l'évolution du droit sont examinés, et des échanges parfois passionnés s'effectuent entre vérificateurs.

Cette direction est, assurément, à part dans le monde administratif fiscal. Malheureusement, ce niveau de qualité ne se retrouve pas dans les autres directions où il n'est pas exceptionnel que l'avocat fiscaliste présente au vérificateur la doctrine de sa propre administration afin qu'il l'applique !

Les grandes sociétés sont vérifiées périodiquement, c'est-à-dire tous les quatre ou cinq ans. Ainsi, peu d'années passent au travers d'une vérification. Cette régularité des contrôles s'explique par le tissu fiscal particulièrement exceptionnel et riche. Il est vrai qu'une société d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires peut être vérifiée très régulièrement, alors que le boulanger de notre quartier peut l'être tous les vingt ans... Les enjeux pour l'Etat sont tout de même différents.

D'ailleurs, cette adaptation des contrôles aux enjeux me paraît une très bonne chose, notamment parce qu'elle peut éviter des vérifications très lourdes administrativement au niveau des TPE et des PME, qui ne sont jamais préparées à ce genre d'intervention.

Lexbase : En pratique, quels sont les groupes auxquels s'applique le régime du bénéfice mondial et consolidé ? Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? L'économie fiscale que peut espérer un groupe peut-elle être importante ?

Jean-Claude Drié : Comme je l'ai dit, les groupes soumis au régime du BMC sont peu nombreux car le régime n'est pas connu. L'économie fiscale attendue peut être très importante car elle favorise la prise en compte de pertes réalisées à l'étranger. Pourquoi ce régime ? Parce qu'il fallait, à l'époque de sa création, favoriser l'implantation des sociétés françaises à l'étranger et, notamment, les sociétés pétrolières. Ainsi, la prospection du pétrole, les forages, etc., coûtent extrêmement cher. Le BMC est un régime incitatif. L'Etat l'a conçu afin d'aider financièrement les groupes français à l'étranger.

Bien entendu, l'économie fiscale peut être importante puisque les pertes étrangères sont imputées sur l'impôt dû en France. Il y a un véritable calcul à faire avant toute adhésion.

Dès l'entrée dans le régime, le groupe est obligé d'y rester cinq ans. Ensuite, le renouvellement s'effectue tous les trois ans. Certains groupes, devenus bénéficiaires à l'étranger, ont quitté le régime. D'autres n'ont pas voulu y entrer par manque d'information, ou encore parce qu'ils pensaient que la contrainte fiscale était trop lourde. Or, la contrainte fiscale du régime peut être tout à fait bien maitrisée quand les conditions du BMC sont bien connues. Cette méconnaissance du régime est assurément le principal facteur de désaffection. Pourtant, au-delà des économies fiscales, il est un régime formidable pour évacuer tout risque de prix de transfert. En effet, le régime porte, en lui-même, la fin de toute mise en cause des politiques de prix au sein du groupe : la consolidation du résultat en est le vecteur.

Lexbase : Que pensez-vous de la proposition de la Commission européenne portant sur l'instauration d'une assiette commune consolidée à l'impôt sur les sociétés (ACCIS), dont l'un des volets permettraient justement aux groupes intracommunautaires de consolider leurs résultats au sein de l'Union européenne ?

Jean-Claude Drié : L'ACCIS est une bonne idée, parce qu'elle unifie les règles d'imposition. Ainsi, un groupe de sociétés n'aurait à se conformer qu'à un seul régime fiscal, établi au niveau de l'Union européenne, pour le calcul de ses revenus imposables, alors qu'aujourd'hui chaque filiale du groupe est soumise au droit de chacun des Etats d'implantation. De plus, les groupes implantés dans plus d'un Etat membre de l'UE pourraient remplir une seule déclaration fiscale pour l'ensemble des activités dans l'Union.

Il y a bien, comme dans le BMC, une consolidation des bénéfices et des déficits. A une base commune, il y aurait ensuite une redistribution de l'impôt dans chaque Etat, sur la base des immobilisations, de la main-d'oeuvre et du chiffre d'affaires de chaque entité.

Il existerait un Etat membre considéré comme "l'Etat principal", celui, bien sûr, de la société tête de groupe.

Ce projet, qui avait été un peu abandonné en 2008 pour des raisons politiques, semble renaître de ses cendres. La Commission européenne a présenté, en mars 2011, une proposition de Directive en ce sens.

Le régime serait optionnel et un calcul fiscal serait donc à faire par le groupe de sociétés qui souhaiterait se le voir appliquer.

Par rapport au régime du BMC, il convient de bien mettre en exergue le fait qu'en l'état actuel des projets, l'ACCIS reste, bien entendu, un projet strictement européen. Seules les sociétés d'un groupe de l'UE pourraient être concernées. L'avantage du BMC est de concerner toutes les sociétés d'un groupe, quelles que soient leur implantation dans le monde.

Lexbase : Le régime du bénéfice mondial et consolidé a fait l'objet d'une proposition de loi, enregistrée à la Présidence du Sénat le 23 février 2011, qui prévoit, dans son article 1er, son abrogation. Que pensez-vous de l'impact, positif ou négatif, que pourrait avoir la suppression de ce régime ?

Jean-Claude Drié : En effet, une proposition de loi vise à supprimer le BMC. Le motif est, avant tout, politique, et s'inscrit dans un raisonnement qui dépasse celui du BMC. Il se fonde sur le fait que le taux réel de l'IS pour les grandes entreprises est beaucoup plus faible que celui des PME. Cette réalité reflète le fait que les grandes entreprises ont plus de chance de mettre en oeuvre des mécanismes légaux de réduction de leur impôt que les petites entreprises. En effet, le crédit d'impôt recherche, par exemple, s'applique à un certain niveau de sociétés, ce qui ne touche guère, par définition, les petites entreprises de plomberie, de boulangerie ou autres... Il ne faut pas oublier que ces mécanismes légaux existent parce que le législateur n'a de cesse d'utiliser l'impôt comme un outil incitatif et directif de l'économie.

Cette proposition de loi s'inscrit donc dans ce contexte très politique. Pour le fiscaliste, la suppression du régime du BMC ne va pas avoir un grand impact puisque seulement une poignée de sociétés, et non des plus importantes, en bénéficient. Budgétairement, l'impact de la mesure serait insignifiant.

Cette proposition de loi va-t-elle dans le bon sens ? Compte tenu de l'effort réalisé par l'UE pour avoir une assiette commune avec l'ACCIS, on peut penser que, manifestement, le BMC était en avance sur son temps et le supprimer aujourd'hui va à contre-courant des efforts des parlementaires pour travailler sur une base élargie.

Le BMC est, en effet, une base élargie, même s'il s'agit d'une base élargie "à la française". Supprimer le BMC est bien sûr possible, mais ce serait supprimer ce coup de pouce à l'implantation à l'étranger. Gageons que s'il devait être supprimé, nous puissions le retrouver sous la formule de l'ACCIS. En effet, les groupes de sociétés, tout au moins français, seraient, dès lors, incités à se développer dans l'UE, même s'il faudrait dégager des pertes provisoirement.

NB : le projet de loi a été rejeté en première lecture par le Sénat le 28 avril 2011, à 180 voix contre 151.

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