La lettre juridique n°439 du 12 mai 2011 : QPC

[Doctrine] QPC : évolutions procédurales récentes - janvier à mars 2011

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par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

le 12 Mai 2011

La question prioritaire de constitutionnalité ("QPC") est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation que praticiens et théoriciens ne peuvent négliger. Cette chronique trimestrielle s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant, quant à eux, traités au sein de chacune des rubriques spécialisées des différentes revues hebdomadaires. I - Champ d'application de la QPC

A - Notion de disposition législative

1 - Qu'est-ce qu'une "disposition législative" ?

L'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) permet, on le sait, de contester a posteriori la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une "disposition législative". Mais cette dernière expression peut s'entendre, soit, sur la base d'un critère formel, comme visant toute règle adoptée sous forme d'une loi (de même que l'article 37, alinéa 2 N° Lexbase : L1297A9W, mentionne les "textes de forme législative"), soit, sur la base d'un critère matériel, comme visant toute disposition ayant une force législative, quelle que soit sa forme. Dans cette seconde acception, sont visées, outre les lois au sens formel, les ordonnances ratifiées ou ayant eu, d'emblée, valeur de loi comme celles prises à la Libération ou celles adoptées dans le délai de quatre mois à compter de la promulgation de la Constitution de 1958, sur le fondement des dispositions transitoires de son article 92, qui autorisait le Gouvernement à prendre "en toutes matières les mesures qu'il jugera nécessaires à la vie de la Nation, à la protection des citoyens ou à la sauvegarde des libertés" et dont il a été fait un très large usage (1).

Ces ordonnances ont eu valeur législative ou organique dès leur promulgation, sans que le législateur ait été amené à les ratifier, et elles n'ont jamais été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel qui n'avait pas encore été installé. Si la loi organique du 10 décembre 2009 (loi n° 2009-1523, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS) n'a apporté qu'un maigre élément de réponse à cette question, puisqu'elle précise seulement qu'une QPC peut être soulevée à l'encontre d'une "loi du pays" de Nouvelle-Calédonie, acte adopté par le Congrès de Nouvelle-Calédonie avec valeur législative d'après l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999, il ne faisait guère de doute que la jurisprudence privilégierait le critère matériel, car le critère formel, au regard du recours massif aux ordonnances depuis la fin des années 1990, aurait fait échapper bon nombre de textes au contrôle a posteriori, et serait allé à l'encontre des objectifs poursuivis par la réforme.

Deux décisions du Conseil constitutionnel viennent lever définitivement tout doute. Dans sa décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (Cons. const., décision n° 2010-87 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1520GQD), relative à la réparation du préjudice résultant de l'expropriation, le Conseil s'est, en effet, prononcé sur la constitutionnalité de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation publique (N° Lexbase : L2935HLB), disposition issue de l'article 11, alinéa 2, de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2987DYB), prise sur le fondement des dispositions transitoires de l'article 92 de la Constitution.

Dans sa décision n° 2010-107 QPC du 17 mars 2011 (Cons. const., décision n° 2010-107 QPC du 17 mars 2011 N° Lexbase : A8915HC8), relative au contrôle de légalité des actes des communes en Polynésie française, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la constitutionnalité d'une disposition issue d'une ordonnance prise sur le fondement de l'habilitation permanente établie par l'article 74-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5163IBT), pour l'extension, avec les adaptations nécessaires, ou l'adaptation des dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière d'une collectivité d'outre-mer ou de la Nouvelle-Calédonie dans les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat. Le Conseil constitutionnel vérifie alors, d'abord, que l'ordonnance a bien été ratifiée et constitue, par suite, une "disposition législative" au sens de l'article 61-1 de la Constitution, condition nécessaire pour faire l'objet d'une QPC.

En l'occurrence, l'ordonnance était devenue caduque faute de ratification dans les dix-huit mois de sa publication comme l'impose l'article 74-1, mais le Conseil a retenu que sa ratification avec effet rétroactif par l'article 66-IV de la loi du 27 mai 2009, pour le développement économique des outre-mer (loi n° 2009-594 N° Lexbase : L2921IEW) a eu pour effet de lui donner valeur législative dès sa publication. Cette solution pourrait sembler de portée limitée mais il faut rappeler que les ordonnances prises sur le fondement d'une loi d'habilitation conformément à l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X) doivent également, depuis la révision du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), faire l'objet d'une ratification expresse. On peut donc penser que, saisi d'une QPC visant une disposition issue d'une telle ordonnance, le Conseil vérifiera, également, qu'elle a bien été expressément ratifiée en admettant, le cas échéant, que le législateur l'ait ratifiée de manière rétroactive.

2 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

Une disposition législative ne peut être considérée comme étant applicable au litige si le requérant n'est pas susceptible d'y être soumis (CE 3° et 8° s-s-r., 19 janvier 2011, n° 344011, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1574GQD).

B - Droits et libertés invocables

1 - Principe d'égalité devant l'impôt

Le Conseil constitutionnel synthétise sa jurisprudence en indiquant que le principe d'égalité devant l'impôt présente deux versants : le principe d'égalité devant la loi fiscale (article 6 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1370A9M) et le principe d'égalité devant les charges publiques (article 13 du même texte N° Lexbase : L1360A9A) (Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE, relative à l'évaluation du train de vie).

2 - Principe de libre administration des collectivités territoriales

Depuis l'entrée en vigueur de la QPC, le Conseil constitutionnel avait déjà reconnu à trois reprises la possibilité d'invoquer le principe de libre administration des collectivités territoriales dans le cadre d'une QPC (voir Cons. const., décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5938E3C, n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8926E9H, et n° 2010-56 QPC du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9273GB3). Dans la décision n° 2010-107 QPC, précitée, il a admis qu'il soit invoqué par un syndicat mixte. Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne profite pourtant directement qu'à celles-ci, dès lors que l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L) dispose qu'elles "s'administrent librement par des conseils élus". Leurs établissements publics, en revanche, sont régis par le principe de spécialité et l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) distingue bien les "collectivités territoriales" des "catégories d'établissements publics".

Le commentaire de la décision à paraître aux Cahiers cite également la déclaration interprétative faite par la France lors de la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale aux termes de laquelle : "les collectivités locales et régionales auxquelles s'applique la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent aux articles 72, 73 (N° Lexbase : L1343A9M), 74 (N° Lexbase : L1344A9N) et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement. La République française considère, en conséquence, que les établissements publics de coopération intercommunale, qui ne constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son champ d'application".

Le Conseil a pourtant déjà admis que ce principe soit invoqué au cas où la loi porterait atteinte à la libre administration de la collectivité territoriale qui a créé l'établissement public ou, en cas d'établissement commun à plusieurs collectivités, à la libre administration de celle-ci (Cons. const., décision n° 2007-548 DC du 22 février 2007 N° Lexbase : A3119DU3, considérants n° 11 et n° 12, et n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009 N° Lexbase : A3192EPW à propos du syndicat des transports d'Île-de-France, considérant n° 20). Mais la QPC conduisant le Conseil constitutionnel à exercer un contrôle abstrait, la situation du requérant, qui n'est d'ailleurs jamais évoquée dans ces décisions, est sans effet sur les modalités du contrôle : le Conseil recherchera donc seulement si la disposition contestée porte, en elle-même, atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Autrement dit, alors qu'une disposition législative n'est contestable que si le requérant y est soumis (CE 3° et 8° s-s-r., 19 janvier 2011, n° 344011, supra), l'invocabilité d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution, à l'inverse, est indépendante de sa situation.

II - Fonctionnement de la procédure

A - Procédure devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Formation de la QPC

La Cour de cassation juge que le mémoire soulevant une QPC ne peut être déposé après le dépôt de l'avis du conseiller commis (Cass. crim., 11 janvier 2011, n° 10-85.626, F-D N° Lexbase : A1727GXA) La QPC est alors irrecevable au regard des dispositions de l'article 590 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3974AZ9). Devant le juge administratif en revanche, le dépôt d'une QPC après l'audience est possible (CE 3° et 8°s-s-r., 28 janvier 2011, n° 338199, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7489GQG). En effet, la QPC déposée après l'audience est soumise aux "règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction". Le juge doit donc en prendre connaissance et il peut toujours en tenir compte en la soumettant alors à la contradiction mais il n'est tenu de le faire "que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office" (CE, Sect., 27 février 2004, n° 252988 N° Lexbase : A3647DBP, Rec., p. 93). Or, par construction, une QPC ne peut exposer ni une circonstance de droit que le juge devrait relever d'office, ni une circonstance de fait, et on voit même mal comment elle pourrait exposer une circonstance de droit nouvelle. La décision de rouvrir l'instruction pour l'examiner sera donc prise de manière discrétionnaire par le juge, et ne sera qu'un usage de sa "faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice" de tenir compte de cette production tardive.

2 - QPC et exercice des voies de recours

Le Conseil d'Etat a été conduit à préciser les conditions dans lesquelles peuvent se combiner l'exercice des voies de recours ouvertes devant lui et le régime procédural de la QPC. Ainsi, un refus de transmission d'une QPC par une cour ne peut être contesté, à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt qui statue sur le litige, que dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé. Dans le prolongement de cette première solution, le Conseil d'Etat juge, également, que la possibilité de soulever pour la première fois une QPC en cassation ne saurait permettre à celui qui a déjà présenté une QPC devant une juridiction statuant en dernier ressort de contourner ces règles de procédure (CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2011, n° 342536, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2667GR9).

On retiendra de cet arrêt :

- d'abord, que l'écrit distinct et motivé s'impose à tous les stades de la procédure, et ce dès la formation du recours, à peine d'irrecevabilité ne donnant, d'ailleurs, lieu ni à avertissement, ni à invitation à régulariser (CJA, art. R. 771-4 N° Lexbase : L5757IGC et R. 771-14 N° Lexbase : L5775IGY). En appel et en cassation, seul le mémoire distinct et motivé constitue donc la contestation du refus de transmission alors qu'en lui-même, le pourvoi en cassation ou l'appel formé contre la décision ne constitue pas une telle contestation. L'arrêt juge, en effet, que le mémoire complémentaire ne peut pas faire office de mémoire distinct ;

- ensuite que, bien que soulever une QPC revienne à essayer de faire juger, in fine, qu'un acte administratif est dépourvu de base légale, la QPC n'est pas un moyen de légalité interne mais une cause juridique autonome. En application de la jurisprudence "Intercopie" (CE, Sect., 20 février 1953, Rec. CE, p. 88), le mémoire distinct critiquant un refus de transmettre une QPC doit donc être déposé dans le délai de recours contentieux. Cette solution est, d'ailleurs, en phase avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a choisi de faire de la QPC un contrôle de constitutionnalité a posteriori et abstrait. Ainsi, le refus de transmettre une QPC, parce que celle-ci est une demande distincte du litige, n'ayant finalement ni le même objet, ni la même cause que celui-ci, doit être contesté séparément et dès l'ouverture du délai de recours contentieux ;

- enfin, qu'un requérant ayant vu les premiers juges refuser de transmettre une QPC qu'il avait présentée ne peut pas soulever devant le Conseil d'Etat une QPC portant sur la même disposition législative en l'appuyant sur les mêmes moyens à l'occasion d'un pourvoi en cassation. L'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, précité, permet donc au requérant de soulever pour la première fois une QPC devant le juge de cassation, mais pas de soulever une nouvelle fois une QPC déjà écartée par le juge a quo.

Les mêmes textes étant applicables, la même solution devrait être retenue devant le Conseil d'Etat statuant comme juge d'appel. Cette solution devrait encore prévaloir lorsque le jugement d'un tribunal administratif est contesté devant une cour administrative d'appel, nonobstant l'effet dévolutif de l'appel. La contestation devant le juge d'appel du refus de transmettre une QPC est, en effet, strictement encadrée par les dispositions de l'article R. 771-12 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5748IGY), et il serait inopportun de permettre aux parties de contourner les règles posées par ce texte. De plus, alors que l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que le moyen d'inconstitutionnalité "peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat", l'article 23-1 indique plus précisément que le moyen d'inconstitutionnalité "peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel". Or, par construction, un moyen de constitutionnalité n'est pas soulevé "pour la première fois en cause d'appel" si le tribunal administratif a auparavant refusé de le transmettre au Conseil d'Etat.

Enfin, une QPC ne devrait pas pouvoir être posée de nouveau en cassation lorsqu'un tribunal administratif a refusé de la transmettre sans que la cour administrative d'appel n'ait été saisie de ce refus. En effet, "le refus de transmission dessaisit la juridiction du moyen d'inconstitutionnalité" d'après l'article R. 771-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5791IGL). Si la juridiction d'appel n'en a pas été saisie, il faut considérer que ce refus est devenu définitif une fois l'instance parvenue au stade de la cassation -une telle solution illustrant de nouveau l'autonomie de la QPC au fondement, en définitive, de l'ensemble des solutions consacrées par cet arrêt-.

B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation : la notion de question nouvelle

Alors qu'elle avait refusé de renvoyer une question portant sur l'absence de motivation des arrêts des cours d'assises en estimant que la question n'était pas sérieuse, la Chambre criminelle renvoie cette question en estimant, cette fois-ci, qu'elle est nouvelle car elle "est fréquemment invoquée devant la Cour de cassation" (Cass. crim., 19 janvier 2011, n° 10-85.159, F-P+B N° Lexbase : A7374GQ8). La nouveauté d'une question pourrait-elle être appréciée de manière quantitative ?

C - La procédure devant le Conseil constitutionnel

1 - Impartialité du Conseil constitutionnel

S'il arrive que des membres du Conseil se déportent, la décision rendue n'en dit rien et l'on ignore si l'absence d'un membre est due à un empêchement ou à un choix de l'intéressé, à moins qu'il ne s'agisse de désinvolture. De même, le commentaire aux "Cahiers" se contente d'indiquer laconiquement que tel membre "a estimé devoir s'abstenir de siéger" (voir, par exemple, Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE, "évaluation du train de vie", n° 2010-96 QPC du 4 février 2011 N° Lexbase : A1689GRY, "zone des 50 pas géométriques", ou n° 2010-111 QPC du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3848HHY, "indemnité légale pour travail dissimulé", décisions dont les commentaires sont à paraître aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 32). On aimerait pourtant être renseigné sur les raisons qui ont conduit un membre du Conseil à s'abstenir de siéger car une telle publicité permettrait aux justiciables de savoir quelle portée le Conseil constitutionnel donne à l'exigence d'impartialité qui s'impose à lui comme à toute juridiction. Elle permettrait, également, aux requérants de faire un arbitrage mieux informé entre l'attente d'une décision de déport (qui peut être légitimement attendue mais ne pas survenir) et le dépôt d'une demande de récusation sur le fondement de l'article 4 du règlement de procédure du Conseil.

2 - Eléments constitutifs de l'instance

Le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie pour les QPC prévoit que les "secondes observations ne peuvent avoir d'autre objet que de répondre aux premières". Il y a donc cristallisation du débat contentieux au moment du dépôt des premières observations. Dans sa décision n° 2011-111 QPC du 25 mars 2011, précitée, le Conseil constitutionnel a donc refusé de répondre à des griefs tirés de la violation du principe d'égalité devant la loi, du principe de proportionnalité des peines, et des articles 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration de 1789 et 64 de la Constitution (N° Lexbase : L1330A97) soulevés dans ses secondes observations par une requérante qui n'avait invoqué que le principe d'individualisation des peines dans ses premières observations. Mais la décision écarte comme inopérant le grief tiré de la violation du principe d'individualisation des peines, avant d'ajouter, dans son dernier considérant, que "les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit". C'est dire que les différents griefs soulevés par la requérante, s'ils semblent avoir été écartés comme irrecevables, ont, en réalité, été rejetés au fond et que le principe de l'autorité de chose jugée s'oppose, désormais, à ce qu'ils soient invoqués au soutien d'une QPC. La règle de la cristallisation du débat contentieux semble alors avoir surtout pour effet d'alléger le travail du Conseil en lui permettant de rejeter des griefs d'inconstitutionnalité par un considérant dépourvu de motivation.

D - Effets dans le temps des décisions QPC

A l'occasion de deux décisions rendues le même jour, le Conseil constitutionnel a précisé, par un considérant de principe, les effets dans le temps de ses décisions et les conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés (Cons. const., du 25 mars 2011, décision n° 2010-108 QPC N° Lexbase : A3844HHT, "pension de réversion des enfants" et n° 2010-110 QPC N° Lexbase : A3846HHW, "composition de la commission départementale d'aide sociale"). Ce considérant se lit ainsi : "si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution N° Lexbase : L1328A93 réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets, que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration".

En principe, l'effet abrogatif de la déclaration d'inconstitutionnalité interdit donc que les juridictions appliquent la disposition législative en cause non seulement dans l'instance ayant donné lieu à la QPC, mais, également, dans toutes les instances en cours à la date de cette décision, et ce, que le Conseil l'indique expressément ou non. Cette règle s'impose aux juridictions ordinaires, pour lesquelles elle est même d'ordre public : en l'absence d'une mention expresse d'applicabilité dans la décision du Conseil constitutionnel, elles ne peuvent en aucun cas appliquer à une instance en cours une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil.

Si ce principe supporte des exceptions, celles-ci ne peuvent être qu'expressément prévues par une décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci peut, tout d'abord, reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Dans ce cas, l'inconstitutionnalité n'est pas prise en compte dans les instances en cours et la disposition législative doit être appliquée jusqu'à la date de son abrogation fixée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci peut encore déroger, expressément, au caractère d'ordre public de la déclaration d'inconstitutionnalité pour les instances en cours. Dans ce cas, le bénéfice de la déclaration d'inconstitutionnalité est conditionné par l'invocation du moyen par une partie. Les effets que la disposition législative a déjà produits ne peuvent, ensuite, être remis en cause que par une mention expresse dans la décision du Conseil. Enfin, le Conseil constitutionnel doit préciser expressément dans sa décision les effets que la déclaration d'inconstitutionnalité qu'il prononce pourrait avoir sur les situations déjà constituées au moment de la déclaration d'inconstitutionnalité. En l'absence de mention expresse en ce sens dans la décision du Conseil constitutionnel, l'inconstitutionnalité de la loi ne peut pas être invoquée dans des instances qui seraient introduites postérieurement à cette même décision : le silence de la décision du Conseil doit s'interpréter comme limitant les effets passés de la déclaration d'inconstitutionnalité aux seuls litiges en cours.


(1) Voir A.-M. Le Pourhiet, L'article 92 de la Constitution de 1958, Economica, 1981.

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