La lettre juridique n°660 du 23 juin 2016 : Éditorial

Xénoglossie juridique : la nouvelle pathologie présidentielle

Lecture: 3 min

N3386BWC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Xénoglossie juridique : la nouvelle pathologie présidentielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/32399475-xenoglossie-juridique-la-nouvelle-pathologie-presidentielle
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 07 Juillet 2016


C'est l'histoire de François, qui depuis 57 ans parlait français et plutôt mal anglais. Et, pour cause, il était né à Rouen, dans une famille un brin chauvine, et, promotion Voltaire, il était plutôt bien vu de parler en sus, l'enatronic, autrement dit la langue de bois, mais guère plus.

Un matin, il se leva et commença à causer, rêveries et onirisme nocturne, avec sa compagne -du moment-, mais dans une langue parfaitement inconnue de son interlocutrice, plutôt versée dans le chant lyrique et l'histoire de l'art, comme cet italien récemment victime d'une anomalie du tronc basilaire, une artère située à la base du crâne et qui alimente l'encéphale, et qui s'est soudain mis à parler français alors que sa connaissance de cette langue n'était que superficielle et surtout très lointaine.

Pis, François ne se mit à ne parler que la langue, disons le sans emphase, juridique. Les experts, les médecins présidentiels, se sont penchés sur son cas singulier, mais si "son vocabulaire juridique est restreint et s'il commet plusieurs erreurs syllogistiques, ce n'est pas du baragouin ni du grommelot et il n'insère jamais de terme profane dans ses phrases". Pour sûr, concluent-ils, François est atteint de xénoglossie de type juridique !

Le plus curieux est qu'il ne s'énerve pas si personne ne le comprend. Même s'il n'écrit qu'avec du vocabulaire juridique, même si les tests qu'il a passés ont montré qu'il maîtrisait toujours parfaitement sa langue natale, dès qu'il ouvre la bouche c'est du juridique qui en sort.

Malgré ses maladresses et ses erreurs, François s'exprime de manière fluide et rapide avec toutefois, notent les experts, une certaine redondance ou parfois certaines contradictions, mais surtout une intonation corse ou varoise, du moins méridionale, suggérant par là que l'homme, sans en avoir forcément conscience, joue une sorte de rôle, celui d'un jurisconsulte tel qu'on le pressentirait... en 1804.

François n'a pas adopté le bicorne comme couvre-chef, ni l'épée académicienne, mais il s'est mis à lire de la jurisprudence, à longueur de temps. Il lit Liaisons sociales et, parfois même pour se détendre, le JCP édition générale. Il assure penser en juriste et peut-être même aussi... être un juriste. En plus d'adorer le droit, il est pris d'une certaine folie des grandeurs -il ne promulgue pas moins de 397 lois, 215 ordonnances, 15 400 décrets et on s'arrêtera là-. Il achète par exemple des palettes de codes civils papiers à tous les magistrats, quand ces derniers manquent de papier et d'encre pour imprimer les moindres conclusions d'un avocat.

Et, d'une euphorie pas toujours justifiée qu'il nomme son élan réformateur, il ouvre ainsi l'accès au droit, à la loi, à la jurisprudence de toutes les juridictions, de tous bords, à la Terre entière et il propose de donner des leçons de droit à ses concitoyens, à travers les sites publics, gouvernementaux ou universitaires... Comme les apôtres clamant l'Evangile dans toutes les langues vernaculaires du bassin méditerranéen, François croit que le citoyen lambda doit être éveillé à la conscience juridique par la parole du magistrat et qu'il a les ressorts intérieurs pour comprendre le droit et, pourquoi pas l'appliquer lui-même, aidé en cela par la legal tech. Après tout, "J'ai entendu dire que des hommes parfaitement ignorants venaient, sous le coup de fièvres violentes, à parler des langues anciennes et que l'on découvrait toujours en approfondissant ce mystère que, lors d'une enfance tout entière oubliée, ils les avaient effectivement entendu parler par des savants de leur entourage", fait murmurer Herman Melville au personnage de l'officier Starbuck dans Moby Dick. Tout le monde n'est-il pas oint de juridisme, après avoir passé seulement quelques années au pays de la Norme et des libertés tant encadrées.

Les experts, la Doctrine en somme, notent que ce comportement subsiste malgré les mises en garde. Ils suggèrent, là aussi, qu'un petit accident cérébral du à une douche écossaise printanière a fait glisser le juridique en "première langue", sans avoir pour autant identifié la zone du cerveau responsable de ce changement. Hormis des troubles du sommeil et des problèmes de mémoire circonscrits à la période quinquennale précédente, le sujet ne souffre de rien, n'a ni délire, ni hallucinations.

Et cela fait quatre ans que cela dure. La famille de François, entendez la promotion Voltaire, a accepté qu'il ne parle que le juridique. Peut-être même finira-t-elle par l'appeler Camba... Pour Cambacérès, bien entendu ! Après tout, le psychiatre Ian Stevenson avait étudié quelques cas de xénoglossie, qu'il interprétait comme une possible preuve de la réincarnation, sans réfutation convaincante, du reste.

*Mes remerciements à Cristian Bortes, pour son article dans le Monde Europe.

newsid:453386

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus