Réf. : Cass. civ. 1, 25 mai 2016, n° 15-17.317, F-P+B (N° Lexbase : A0376RRD)
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par Solène Ringler, Maître de conférences en droit privé, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (IDP EA 1384)
le 23 Juin 2016
La décision de la première chambre civile laisse ainsi entendre que les restitutions ne sont pas systématiques. L'arrêt invite alors à un double questionnement. Soit la Cour de cassation adopte une position nouvelle en admettant des tempéraments au principe selon lequel la résolution entraîne un anéantissement ab initio du contrat, soit elle opère une distinction entre l'anéantissement du contrat fondé sur l'action en résolution et celui résultant de la mise en oeuvre de l'action rédhibitoire. Dans les deux cas, la position adoptée ne semble pas satisfaisante. La solution de l'arrêt doit être désapprouvée, quant à la justification du refus de prononcer les restitutions réciproques (I), et quant aux effets juridiques qu'elle fait produire à la résolution prononcée à la suite de l'exercice d'une action rédhibitoire (II).
I - Le refus discutable d'ordonner des restitutions réciproques
L'action en résolution fondée sur le comportement du cocontractant. Reposant actuellement sur l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), puis dans un avenir proche sur les dispositions 1124 (N° Lexbase : L0826KZM) à 1230 (1), la mise en oeuvre de l'action en résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire, soit d'une analyse comportementale du cocontractant. Elle sanctionne notamment l'inexécution de l'obligation de l'une des parties. La gravité de la défaillance permet au créancier de solliciter la résolution du contrat. En l'absence de clause résolutoire, il appartient aux juges du fond de se prononcer sur l'opportunité de cette sanction. A ce titre, ils disposent d'un large pouvoir d'appréciation, ayant d'ailleurs la possibilité de ne pas satisfaire le créancier et préférer l'application d'autres sanctions, comme l'exécution forcée du contrat ou l'octroi de dommages-intérêts (2). En l'espèce, les juges ne se fondent pas sur l'action en résolution. Ils prononcent l'anéantissement du contrat sur le fondement de l'action rédhibitoire, tout en refusant d'ordonner la restitution du véhicule par l'acquéreur. Cette solution ne saurait être considérée comme une sanction à l'encontre du vendeur. Bien que les termes de l'annonce de vente diffusée sur internet ne correspondent pas à l'état réel du véhicule, il n'est pas démontré que le vendeur ait sciemment délivré une fausse information ou encore ait réellement connu l'existence de vices antérieurs. La solution prononcée par les juges du fond et approuvée par la Cour de cassation ne doit pas être recherchée dans l'existence d'une faute du cocontractant. En effet, contrairement à l'action en résolution, la mise en oeuvre de l'action en garantie des vices cachés ne repose pas sur un manquement du vendeur dans l'exécution de ses obligations, mais sur un vice affectant gravement le bien vendu. Aussi, le refus de restituer le bien ne saurait s'entendre comme une sanction.
L'action rédhibitoire fondée sur le vice de la chose. La mise en oeuvre de la garantie des vices cachés ne dépend aucunement d'un comportement fautif de la part du vendeur. Elle résulte de la survenance d'un désordre suffisamment grave pour rendre l'objet de la vente impropre à sa destination. Codifiée aux articles 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) à 1649 du Code civil, cette action offre un recours à l'acheteur contre les défauts cachés de la chose acquise qui rendraient celle-ci impropre à son usage. Il appartient à l'acquéreur qui exerce l'action en garantie de démontrer le caractère préexistant du vice (3). En l'occurrence, les juges retiennent son caractère rédhibitoire, eu égard au peu de kilomètres parcourus par le véhicule, seulement deux mois suivant la vente. L'article 1644 du Code civil (N° Lexbase : L9498I7W) offre à l'acquéreur une alternative lorsqu'il démontre l'existence d'un vice caché affectant le bien objet de la vente. A ce titre, le texte lui permet de solliciter la restitution de la chose en contrepartie de celle du prix de vente, ou conserver le bien moyennant le remboursement d'une partie du prix. Les effets de l'action rédhibitoire sont comparables à ceux de la résolution en ce qu'elle opère l'anéantissement rétroactif du contrat. Le vendeur demeure comptable des frais occasionnés par la conclusion du contrat de vente (4). Lorsqu'il ignorait l'existence du vice, il n'est tenu qu'à la seule restitution du prix et des frais de la vente (5). Dans le cas contraire, il peut également se voir condamner au paiement de dommages-intérêts en raison de sa mauvaise foi. En l'espèce, l'arrêt ne relève pas que le vendeur connaissait l'état réel du véhicule et se contente de mettre en évidence le respect de règles procédurales.
L'obligation du juge de statuer sur la demande. La résolution a pour effet principal d'entraîner l'anéantissement rétroactif du contrat. Elle opère la révocation des obligations souscrites et replace les parties dans leur état antérieur. La jurisprudence affirme traditionnellement que "les choses doivent être remises au même état que si les obligations nées n'avaient jamais existé" (6). La troisième chambre civile a pu déduire de ce principe que les restitutions réciproques constituent un effet automatique de la résolution, et, en tant que tel, les juges ne disposent pas de pouvoir d'appréciation. Ainsi, elle a sanctionné les juges du fond refusant de prononcer des restitutions réciproques au motif qu'aucune demande n'avait été formulée en ce sens lors de l'instance. En l'espèce, l'arrêt adopte une solution contraire. La première chambre civile approuve le juge de proximité ayant refusé de statuer ultra petita, c'est-à-dire sur une prétention qui ne lui a pas été soumise. Pour autant, la restitution du bien par le vendeur ne peut être considérée comme une demande nouvelle, en ce qu'elle constitue un effet de la résolution.
II - Le caractère systématique des restitutions
L'absence de distinction selon le fondement de la résolution. L'objet des restitutions est de permettre aux parties de se retrouver dans leur état initial, c'est-à-dire d'effacer tous les effets du contrat. Qu'elles résultent de la mise en oeuvre d'une action en résolution à la suite de l'inexécution d'un contrat ou d'un vice inhérent à la chose la rendant impropre à sa destination, les restitutions ont un effet automatique. Si le juge opère en l'espèce une distinction entre la résolution issue du manquement du vendeur dans l'exécution de ses obligations et la résolution résultant de la mise en oeuvre d'une action en garantie des vices cachés, il semble bien difficile de justifier une différence de régime. En effet, quel que soit le fondement employé pour parvenir à cette sanction, la résolution remet rétroactivement les parties dans leur état initial.
Les conséquences légales de la résolution du contrat. L'article 1183 du Code civil (N° Lexbase : L2705K7C) relatif à la condition résolutoire prévoit la révocation de l'obligation et la disparition rétroactive de l'acte juridique (7), en outre, l'article 1644 du Code civil applicable à la garantie des vices cachés permet à l'acquéreur d'opter pour la restitution de la chose moyennant celle du prix. Enfin, l'article 1229, alinéa 3 (N° Lexbase : L0934KZM), traitant de l'action en résolution dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016, renvoie aux articles 1352 (N° Lexbase : L1003KZ8) et 1352-9 (N° Lexbase : L0743KZK) instaurant le nouveau régime des restitutions (8). Ces textes démontrent que le législateur confère à la résolution un effet rétroactif, et les restitutions ne représentent que la manifestation de cette rétroactivité. Dès lors, il n'appartient pas au juge de se prononcer sur l'opportunité de cette conséquence. Appliquée à la vente, la disparition du contrat entraîne l'anéantissement du transfert de droits réels. D'ailleurs, la première chambre civile avait déjà statué en ce sens. Elle indiquait à ce titre que "la résolution du contrat de vente entraîne l'obligation de restituer, pour le vendeur le prix perçu et pour l'acquéreur la chose vendue, peu important que cette restitution ne soit pas proposée" (9). Le vendeur ne peut alors être privé de son droit à restitution puisque l'action en garantie des vices cachés n'a pas vocation à sanctionner une faute comportementale, mais de l'obliger à supporter les conséquences d'un vice préexistant à la vente et inconnu des parties au jour de la formation du contrat. Cet arrêt, à rebours des solutions antérieures, ouvre la voie à un contrôle inopportun des juges sur les effets de la mise en oeuvre de l'action rédhibitoire.
(1) L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK) portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations et applicable au 1er octobre 2016, intègre aux articles 1124 (N° Lexbase : L0826KZM) à 1230 les dispositions relatives à la résolution.
(2) En ce sens, l'article 1228 (N° Lexbase : L0935KZN) issu de l'ordonnance du 10 février 2016.
(3) Cass. com., 12 octobre 2004, n° 03-12.632 (N° Lexbase : A6135DDL), Bull. civ. IV, n° 185.
(4) C. civ., art. 1646 (N° Lexbase : L1749ABE).
(5) Cass. civ. 1, 4 février 1963, JCP éd. G, 1963, II, 13159, note R. Savatier.
(6) Cass. civ. 3, 29 janvier 2003, n° 01-03.185, F-D (N° Lexbase : A8335A4H) ; RTDCiv. 2003, p. 201, obs. J. Mestre et B. Fages.
(7) Le nouvel article 1304-7 (N° Lexbase : L0656KZC), issu de l'ordonnance du 10 février 2016 dispose que "l'accomplissement de la condition résolutoire éteint rétroactivement l'obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes conservatoires et d'administration".
(8) J. Klein, Les restitutions, Dr. et pat. 2016, p. 90 ; p. S. Pellet, Les restitutions : et si le dogmatisme avait du bon ?, JCP éd. G, 2016, n° 676.
(9) Cass. civ. 1, 25 févier 2010, n° 08-20751, F-D (N° Lexbase : A6493ESB).
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