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N5949BNN
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le 16 Septembre 2012
Avant l'intervention de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le professionnel libéral ne pouvait pas faire l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, au contraire des sociétés exerçant une activité libérale. Le professionnel libéral ne pouvait pas davantage bénéficier des procédures de traitement du surendettement des particuliers.
Sensible à cette difficulté, le législateur du 26 juillet 2005 a étendu aux professionnels libéraux les procédures collectives jusqu'alors réservées aux commerçants, artisans ou agriculteurs. L'article L. 620-2, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3445ICL) prévoit ainsi désormais que "la procédure de sauvegarde est applicable à tout commerçant, à toute personne immatriculée au répertoire des métiers, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé". La même formulation est reprise en matière de procédure de redressement (C. com., art. L. 631-2, al. 1er N° Lexbase : L3325IC7) ou de liquidation judiciaire (C. com., art. L. 640-2, al. 1er N° Lexbase : L3393ICN).
L'accueil des professionnels libéraux au sein des personnes physiques susceptibles de faire l'objet d'une procédure collective a fait naître, tant en doctrine (1) qu'en jurisprudence, une interrogation : l'ancien professionnel libéral exerçant ultérieurement ses fonctions au sein d'une société a-t-il la qualité exigée pour faire l'objet, à titre personnel, d'une procédure collective ? Par trois arrêts de principe destinés à la plus large diffusion (trois arrêts "FS-P+B+R+I") rendus le 9 février 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à cette question.
Dans les trois espèces, un avocat exerçant son activité dans le cadre d'une SELARL ou d'une société civile professionnelle avait été assigné en redressement ou en liquidation judiciaire par un créancier plus d'un an après le début de l'exercice de l'activité au sein de la personne morale. Deux arrêts rendus par les cours d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 20 mai 2008) et de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 juin 2008, n° 07/18805, Monsieur Le chef de service comptable du service des impôts des entreprises centralisateurs de Paris 75008 c/ M. Pierre Gonzalez N° Lexbase : A4585D9P) avaient déclaré la demande des créanciers recevable, tandis qu'un autre arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826, M. Monsieur Le chef de service comptable du service des impôts des entreprises de Paris 7ème Gros Caillou Varenne c/ M. Jean-Michel Baloup N° Lexbase : A7122D7W) s'était, au contraire, prononcé en faveur d'une irrecevabilité.
Sur le pourvoi formé à l'encontre de ces trois arrêts, la Chambre commerciale pose le principe suivant "attendu que l'avocat, qui a cessé d'exercer son activité à titre individuel pour devenir associé d'une société [d'exercice libéral ou civile professionnelle], n'agit plus en son nom propre mais exerce ses fonctions au nom de la société ; il cesse dès lors d'exercer une activité professionnelle indépendante au sens [des articles L. 631-2 et L. 640-2] du Code de commerce ; que le tribunal peut ouvrir à son égard une procédure [de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire] après cette cessation d'activité, lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure ; que toutefois, si la procédure est ouverte sur l'assignation d'un créancier, cette dernière doit intervenir dans le délai d'un an à compter de la cessation de l'activité individuelle".
La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond ainsi clairement à la question de l'éligibilité à la procédure collective d'un ancien professionnel libéral exerçant ses fonctions au nom d'une société. Elle pose un principe (I), en y apportant un tempérament (II) assorti de modalités (III).
I - Principe. La Chambre commerciale considère que l'avocat qui cesse son activité à titre individuel pour devenir associé d'une société civile professionnelle cesse d'exercer une activité professionnelle indépendante au sens de l'article L. 631-2 (en redressement) et L. 640-2 (en liquidation) du Code de commerce. Le critère retenu par la Cour est celui du mode d'exercice des fonctions qui le sont, non en nom propre, mais au nom de la société. Cette solution présente le mérite d'être dans la droite ligne de celle qui avait été adoptée à l'égard du gérant majoritaire d'une SARL, auquel est assimilé l'associé unique gérant une EURL. La Cour de cassation avait en effet jugé que "le gérant majoritaire d'une SARL, qui agit au nom de la société et non en son nom personnel, n'exerce pas une activité professionnelle indépendante au sens de l'article L. 631-2 du Code de commerce, d'où il se déduit qu'il ne peut être mis en redressement judiciaire" (2).
Le professionnel, associé d'une société civile professionnelle ou d'une société d'exercice libéral ou encore le gérant majoritaire d'une SARL, relève obligatoirement du régime social des travailleurs indépendants tant pour l'assurance-maladie et maternité que pour l'assurance vieillesse et est redevable, à ce titre, directement et personnellement des cotisations sociales auprès de l'URSSAF et des organismes de retraite. Cependant, cela n'a pas pour effet de lui donner la qualité de "professionnel indépendant". Ainsi, s'il est un "travailleur indépendant" au regard de la législation de la Sécurité sociale, il n'est cependant pas pour autant un "professionnel indépendant", au regard du droit des entreprises en difficulté. Ainsi que le relève la doctrine, ces notions, voisines sur le plan du vocabulaire, ne doivent en aucun cas être confondues (3).
Par principe, une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ne peut donc pas être ouverte à l'encontre de l'associé d'une société civile professionnelle ou d'une société d'exercice libéral, seule la société pouvant faire l'objet d'une telle procédure. Ce principe étant posé, la Chambre commerciale y apporte un tempérament.
II - Tempérament. Lorsque, avant d'exercer son activité dans le cadre d'une société, le professionnel a exercé son activité à titre libéral et a donc été un professionnel indépendant au sens des articles L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce, une procédure collective peut être ouverte après cette cessation d'activité lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure. Ce tempérament s'imposait au regard de la lettre de l'article L. 631-3, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3317ICT), pour le redressement judiciaire, et son pendant en liquidation judiciaire, l'article L. 640-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L3396ICR). Une personne physique retirée des affaires peut en effet bénéficier de la procédure collective, dès lors que tout ou partie de son passif provient de son ancienne activité professionnelle. Le fait que l'intéressé exerce ensuite une activité au sein d'une société ne peut conduire à tenir en échec la règle ci-dessus décrite.
Ce tempérament est en outre heureux. Il autorise qu'une dette, qui ne peut pas être traitée dans le cadre d'une procédure collective ouverte à l'encontre de la personne morale -dès lors que cette dette lui est extérieure-, puisse l'être dans le cadre de la procédure ouverte à l'encontre de l'ancien professionnel libéral qui exerçait à titre personnel.
Les dettes professionnelles de cotisations sociales, qui naissent alors que le professionnel exerce en qualité d'associé de société et non plus à titre individuel, ne peuvent autoriser l'ouverture d'une procédure collective au bénéfice de l'associé. Ne relevant pas du droit des entreprises en difficulté, l'intéressé pourra bénéficier du surendettement des particuliers (4). Toutefois, en application de l'article L. 330-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2360IBZ), cette dette professionnelle ne pourra être prise en compte pour la caractérisation de sa situation de surendettement. En revanche, si le surendettement est caractérisé à partir de dettes non professionnelles, la dette professionnelle pourra être traitée dans le cadre de la procédure de surendettement ouverte.
Si une procédure collective peut être ouverte après la cessation d'activité à titre individuel lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure, la Chambre commerciale rappelle cependant que devront être respectées certaines modalités procédurales.
III - Modalités procédurales. Il convient de distinguer selon que l'ouverture de la procédure collective est sollicitée par le professionnel concerné ou par l'un de ses créanciers.
La personne physique qui a exercé son activité à titre individuel, avant de devenir associé d'une société, peut, si tout ou partie de son passif provient de l'activité professionnelle antérieure, solliciter l'ouverture d'une procédure collective. Cette possibilité doit être reconnue alors même que l'activité à titre individuel a cessé avant l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises (5). Il importe peu également que plus d'un an se soit écoulé depuis la date de cessation de l'activité à titre individuel, dès lors que tout ou partie du passif provient de cette activité professionnelle (6).
En revanche, si la demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire émane d'un créancier, elle devra être présentée dans le délai d'un an à compter de la fin de l'activité à titre individuel (C. com., art. L. 631-5, al 2 N° Lexbase : L3429ICY). Ainsi, dans l'hypothèse qui nous intéresse, le créancier devra assigner l'ancien professionnel libéral dans le délai d'un an à compter de l'immatriculation de la société dans laquelle il exerce désormais son activité professionnelle. A défaut, sa demande sera irrecevable, comme le souligne la Chambre commerciale dans les trois arrêts rapportés.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8), un texte spécial réglementait déjà la poursuite du bail des locaux d'exploitation. A l'époque, il n'existait pas de texte général édictant un régime de continuation des contrats en cours. La loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), tout en continuant à prévoir un régime particulier pour le bail des locaux d'exploitation lorsque le locataire est sous procédure collective, a posé un régime de droit commun de continuation des contrats en cours. A l'époque déjà, la question s'était posée de savoir si le régime spécial était complètement autonome ou s'il fallait le coordonner avec le régime de droit commun. Il s'agissait, pour le régime général, de l'article 37 de loi du 25 janvier 1985 (devenu C. com., art. L. 621-28 N° Lexbase : L6880AIN) et, pour le régime spécial des baux d'exploitation, de l'article 38 de la même loi (devenu C. com., art. L. 621-29 N° Lexbase : L6881AIP). L'une des difficultés avait été de savoir si les règles relatives à l'option sur la continuation du contrat, posées en droit commun, avaient ou non vocation à s'appliquer au bail des locaux professionnels. La Cour de cassation, de manière très tardive, puisqu'il a fallu attendre l'année 2006, y avait répondu par l'affirmative. Elle a ainsi décidé que, à défaut de réponse dans le mois, le contrat de bail des locaux professionnels, conformément au droit commun, est résilié de plein droit (7).
La loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, modifie très sensiblement la rédaction ancienne de la disposition spécifique à la continuation des baux des locaux professionnels, mais reste, étonnamment, muette sur la coordination des règles de droit commun de la continuation des contrats en cours avec les règles spécifiques applicables aux baux des locaux professionnels.
Le projet de loi de sauvegarde des entreprises entendait écarter les règles du droit commun de la continuation des contrats en cours. Les travaux parlementaires de la loi de sauvegarde des entreprises sont particulièrement confus, une chose étant affirmée, mais aussi son contraire. Ainsi peut-on lire que le nouveau texte "clarifie l'articulation du régime spécifique de résiliation à la demande du bailleur, avec celui de la poursuite des contrats prévu par l'article L. 622-11 [qui deviendra l'article L. 622-13 N° Lexbase : L3872HBZ], en permettant que la résiliation ou la poursuite du bail rentre également dans le droit d'option de l'administrateur exercé à son initiative -et non uniquement à la suite d'une mise en demeure- parallèlement aux facultés de résiliation judiciaire ou de plein droit ouvertes au bailleur lui-même. En revanche, l'article L. 622-11 demeure applicable pour ce qui concerne les conditions de la poursuite du contrat" (8). Il semble ainsi qu'il faille articuler les deux dispositions. Au Sénat, c'est l'affirmation contraire qui prévaut. Il est dit que "l'article L. 622-12 [qui deviendra l'article L. 622-14 N° Lexbase : L3873HB3] préciserait le caractère dérogatoire des dispositions relatives au contrat de bail en cours par rapport au dispositif de droit commun [...]" (9).
Le texte a été modifié à chaque étape, devant l'Assemblée nationale, au Sénat et finalement par la commission mixte paritaire, sans que, à l'occasion du vote du texte, soit clairement affichée l'intention du législateur.
Une seule chose était : un sérieux doute existait sur l'application cumulative ou alternative des deux corps de règles (10). La question essentielle était ici de déterminer la portée d'une absence de réponse à une mise en demeure sur la continuation du contrat adressée par le bailleur à l'organe compétent.
Il a été soutenu que le droit commun de la continuation des contrats en cours s'applique, sauf dispositions contraires contenues à l'article L. 622-14 du Code de commerce, pour la question de la poursuite du contrat et des conditions de celles-ci (11). Ainsi, les règles relatives à l'option sur la continuation des contrats en cours demeuraient-elles applicables (12), et cela même en liquidation judiciaire (13), ce qui aurait pour effet d'entraîner la résiliation du bail à défaut de réponse dans le mois de la mise en demeure.
L'opinion contraire a aussi été exprimée, les règles relatives à l'option étant alors écartées (14).
Nous avions estimé (15) qu'un argument convaincant avait été présenté au soutien de cette opinion (16). Il résultait de l'article L. 622-14, 1°, du Code de commerce, lorsque la résiliation est à l'initiative de l'administrateur -la solution est la même pour le débiteur ou le liquidateur-. Selon ce texte, lorsque l'administrateur décide de ne pas continuer le bail, il doit demander la résiliation de celui-ci. Ainsi, le simple silence gardé à la suite d'une mise en demeure d'avoir à opter sur la continuation du contrat est insuffisant. L'administrateur judiciaire doit manifester une décision, puisqu'il doit demander la résiliation. Il apparaissait ainsi que les conditions de la résiliation du bail des locaux professionnels étaient dérogatoires au droit commun de la continuation des contrats en cours.
Une juridiction du fond avait statué en ce sens, pour refuser de faire produire effet à l'absence de réponse à la mise en demeure adressée à l'organe compétent (17).
Quatre ans après l'entrée en vigueur du texte, la Cour de cassation vient enfin (à l'échelle du temps, certains diront seulement 4 ans), de faire disparaître le doute.
En l'espèce, un bailleur d'immeuble d'exploitation met en demeure, le 20 décembre 2006, un administrateur judiciaire d'avoir à opter sur la continuation du bail. Ce dernier ne répond à la mise en demeure que le 8 février 2007, pour indiquer qu'il entend poursuivre le bail. Considérant que le délai du mois pour opter sur la continuation du contrat était expiré, le bailleur entend récupérer les locaux et demande en justice le constat de la résiliation de plein droit intervenue. Les juges du fond -et spécialement la cour d'appel de Paris (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 24 octobre 2008, n° 08/06619, Société des centres d'Oc et d'Oil - SNC SCOO c/ SARL Bella N° Lexbase : A1135EBN)-, vont faire droit à la demande. Le mandataire judiciaire et l'administrateur vont alors se pourvoir en cassation, en plaidant l'autonomie des deux corps de règles, celui relatif à la continuation des contrats en cours en droit commun (C. com., art. L. 622-13) et celui relatif à la résiliation du bail des locaux professionnels (C. com., art. L. 622-14).
La Cour de cassation, par un arrêt dont l'importance n'échappera à personne, et en conséquence décoré le plus généreusement possible, à savoir P+B, (c'est-à-dire appelé à la publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation), R (c'est-à-dire appelé à être mentionné au rapport annuel de la Cour de cassation) et I (diffusé sur le site internet de la Cour de cassation), va leur donner gain de cause.
Elle énonce, à la manière d'un arrêt de principe, au visa des articles L. 622-13, L. 622-14 et L. 631-14 (N° Lexbase : L4025HBP) du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT), que "en cas de redressement judiciaire du locataire, l'envoi par le bailleur à l'administrateur judiciaire d'une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du bail est sans effet et le bail n'est pas de plein droit résilié par l'absence de réponse à cette mise en demeure".
La solution est évidemment applicable en sauvegarde, puisque les articles L. 622-13 et L. 622-14, textes de la sauvegarde, sont rendus applicables en redressement judiciaire par l'article L. 631-14. Elle est tout aussi applicable en liquidation judiciaire, puisque la formulation des articles L. 641-11-1 et L. 642-12 est identique à celles des articles L. 622-13 et L. 622-14.
La construction de l'arrêt est intéressante. Pour asseoir sa position, la Cour de cassation censure la cour d'appel, en considérant que cette dernière a violé par fausse application l'article L. 622-13 et par refus d'application l'article L. 622-14.
L'alinéa 1er de l'article L. 622-13 du Code de commerce, dans la rédaction que lui donnait la loi de sauvegarde des entreprises, disposait que "l'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l'administrateur restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour prendre parti". En décidant qu'il y a une fausse application de l'article L. 622-13, la Cour de cassation pose clairement en règle que l'option sur la continuation du contrat ne peut résulter du jeu d'une option faisant suite à une mise en demeure d'avoir à prendre parti sur le sort du contrat et, par voie de conséquence, que le silence gardé plus d'un mois sur la mise en demeure n'entraîne pas résiliation du bail des locaux professionnels.
Il y a également, nous dit la Cour de cassation, refus d'application de l'article L. 622-14. Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, ce texte énonce que "la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise est constatée ou prononcée :
1° Lorsque l'administrateur décide de ne pas continuer le bail et demande la résiliation de celui-ci. Dans ce cas, la résiliation prend effet au jour de cette demande ;
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter dudit jugement.
Si le paiement des sommes dues intervient avant l'expiration de ce délai, il n'y a pas lieu à résiliation.
Nonobstant toute clause contraire, le défaut d'exploitation pendant la période d'observation dans un ou plusieurs immeubles loués par l'entreprise n'entraîne pas résiliation du bail".
Ce texte a donc pour objet de régir la question de la résiliation du bail, en nous disant quand et pourquoi le bail est résilié en période d'observation. Les causes de résiliation apparaissent exclusives, puisque la Cour de cassation refuse, notamment, de faire produire effet à une résiliation pour défaut de réponse à une mise en demeure.
Ainsi, les modalités de la résiliation du bail ne résultent-elles que du seul jeu de l'article L. 622-14, non de celles de l'article L. 622-13.
La solution apportée par la Cour de cassation l'est sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises non réformée. Elle a donc vocation à régir les procédures collectives ouvertes entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009. A compter du 15 février 2009, il faut en effet appliquer la loi de sauvegarde des entreprises, dans la rédaction que lui donne l'ordonnance du 18 décembre 2008. Celle-ci poursuivait notamment comme ambition d'améliorer les textes de la loi du 26 juillet 2005. Ce travail a été incontestablement accompli dans la matière qui nous intéresse ici.
En effet, l'article L. 622-14, alinéa 1er, du code indique que la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise intervient "sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 622-13 du code". Il faut donc comprendre que le droit commun de la continuation des contrats en cours n'est pas complètement inapplicable au bail des locaux professionnels par ce visa des I et du II de l'article L. 622-13 du code. A contrario, les III à VI de l'article L. 622-13 du Code de commerce sont écartés en matière de bail des locaux professionnels.
Cela signifie que le mécanisme de l'option sur la continuation du contrat, qui résulte du jeu d'une mise en demeure, est sans application en matière de baux professionnels, puisqu'il figure au III de l'article L. 622-13. Ainsi, si l'administrateur judiciaire ou le débiteur, en l'absence d'administrateur judiciaire, ne répond pas à une mise en demeure sur la continuation du contrat, cela ne pourra valoir résiliation du contrat (18). La Cour de cassation n'a donc, au final, qu'anticipé sur la solution de l'ordonnance du 18 décembre 2008, lorsque, sous l'empire du texte dans sa rédaction d'origine, elle a posé cette même règle. L'effet d'aubaine pour le bailleur, qui existait sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, et qui lui permettait parfois de profiter d'une négligence d'un débiteur, en l'absence d'administrateur, pour se débarrasser d'un locataire devenu indésirable est ainsi exclu. L'importance du bail pour le sauvetage de l'entreprise justifie incontestablement la solution (19). De même, le défaut de paiement à bonne date des loyers ne vaudra pas résiliation de plein droit, puisqu'une règle particulière de résiliation pour défaut de paiement des loyers ou charges correspondant à une occupation postérieure est posée par l'article L. 622-14.
C'est l'administrateur judiciaire qui décide du sort du contrat de bail, ainsi que l'énonce l'article L. 622-14-II, 1°, du code, qui prévoit que la résiliation du bail intervient au jour où le bailleur est informé de "la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail". La solution résultant de la loi de sauvegarde, prévoyant la possibilité d'une option spontanée de non-continuation du bail, est ainsi conservée. Le bailleur n'aura, en conséquence, pas à saisir le juge-commissaire pour faire prononcer la résiliation, puisqu'elle interviendra de plein droit, du seul fait de l'initiative de l'administrateur de mettre fin au bail.
L'article L. 627-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, disposait que "le débiteur exerce, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre des contrats en cours en application de l'article L. 622-13". Ce texte gardait le silence sur la possibilité pour le débiteur d'exercer la faculté ouverte à l'administrateur de poursuivre le bail des locaux professionnels, en application de l'article L. 622-14 du Code de commerce.
Cet oubli est réparé par le nouvel article L. 627-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3403ICZ), issu de l'ordonnance de réforme (ord. n° 2008-1345, art. 73). Le débiteur pourra donc décider de continuer le bail des locaux professionnels, en l'absence d'administrateur.
Dernière précision, qui est loin d'être anodine : la loi de sauvegarde des entreprises a posé explicitement que le régime de continuation du bail des locaux professionnels est limité au seul cas où le débiteur est le locataire du local concerné par le contrat de bail. Il a été dit qu'"il n'apparaît pas justifié de permettre au débiteur qui serait lui-même bailleur d'un local de profiter de ce dispositif dérogatoire au droit commun" (20). Ainsi, la lettre du texte de l'article L. 622-14, alinéa 1er, texte de la procédure de sauvegarde, rendu applicable en redressement judiciaire par l'article L. 631-14, I, rejoint-elle, désormais, la logique du dispositif. Même si la lettre de l'article L. 641-12, alinéa 1er (N° Lexbase : L3377IC3), n'est pas aussi explicite, la solution n'est pas différente en liquidation judiciaire, ce texte indiquant que "la liquidation judiciaire n'entraîne pas de plein droit la résiliation du bail es immeubles affectés à l'activité de l'entreprise". Il ne peut s'agir que de l'activité de l'entreprise débitrice. L'ordonnance du 18 décembre 2008 ne modifie pas la solution, puisque l'article L. 622-14, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que "sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes". Il faut en déduire que le droit spécial de la résiliation du bail des locaux professionnels est sans application (21), lorsque la procédure collective atteint le bailleur, non le preneur à bail. En revanche, il n'y a pas lieu, à notre sens, d'écarter le droit commun de la continuation des contrats en cours, en présence d'une procédure collective atteignant le bailleur des locaux professionnels (22).
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) J.-P. Legros, Procédures collectives ou procédure de surendettement des associés, Dr. Sociétés, 2008/5, p. 1 ; A. Cérati-Gauthier, Application de la loi de sauvegarde des entreprises aux professions libérales, JCP éd. E, 2008, 2436.
(2) Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-16.998, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de La Savoie, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2091EB3), Bull. civ. IV, n° 191, JCP éd. E, 2009, 1023, concl. R. Bonhomme, Gaz. proc. coll., 2009/1, p. 26, n° 2, note Ch. Lebel, Act. proc. coll., 2008/20, n° 310, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, janvier 2009, p. 31, n° 15, note J.-P. Legros, Dr. Patrimoine, septembre 2009, n° 184, p. 106, note M.-H. Monsérié-Bon, Defrénois, 2009, art. 38973, p. 1397, n° 3, note D. Gibirila, Bull. Joly, mars 2009, § 57, p. 279, note P.-M. Le Corre ; Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-15.648, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de la Gironde, FS-D (N° Lexbase : A2300EBS), Act. proc. coll., 2008/20, n° 310, note C. Régnaut-Moutier, Dr. sociétés, janvier 2009, p. 31, n° 15, note J.-P. Legros.
(3) P.-M. Le Corre, Le gérant majoritaire du SARL à l'aune de la notion de professionnel indépendant du droit des entreprises en difficulté, Bull. Joly, mars 2009, § 57, p. 279, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collective, Dalloz action, 2010/2011, n° 211.51.
(4) Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 08-19.984, Mme Isabelle Montagna, F-P+B ([LXB=A4641EQX ]) ; Act. proc. coll., 2010/4, n° 54.
(5) Cass. avis, 17 septembre 2007, n° 0070010P (N° Lexbase : A5670DYN), Bull. avis, n° 4 ; D., 2007, AJ 2475, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2007/4, p. 31, n° 4, note Ch. Lebel ; Act. proc. coll., 2007/19, note A. Jacquemont ; JCP éd. E, 2008, chron. 1207, n° 3, p. 29, obs. Ph. Pétel ; RJ com., 2008, p. 234, note J.-P. Sortais ; Rev. proc. coll., 2008/3, p. 38, n° 112, note B. Saintourens ; P.-M. Le Corre, in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 274 du 26 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5057BCB).
(6) Cass. avis, 17 septembre 2007, préc. et réf. préc..
(7) Cass. com., 16 mai 2006, n° 04-18.578, M. Jean-Jacques Deslorieux, pris en sa qualité de représentant des créanciers et liquidateur de la liquidation judiciaire de M. Gilbert Jouan c/ Société civile immobilière (SCI) Halles et Studios, F-D (N° Lexbase : A6751DPQ), Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 22, obs. M.-P. Dumont, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 266, n° 3, obs. Ph. Roussel Galle ; CA Dijon, ch. civ., sect. B, 29 juin 2004, n° 04/00219, Rev. proc. coll. 2005/1, p. 40, n° 1, obs. Ph. Roussel Galle ; CA Versailles, 12ème ch., 2ème sect., 13 octobre 2005, RG n° 04/03629.
(8) Rapport de Xavier de Roux, n° 2095, p. 216.
(9) Rapport de Jean-Jacques Hyest, n° 335, p. 198.
(10) V., spécialement, B. Saintourens, Le régime du bail commercial après la réforme des procédures collectives, Loyers et copr., 2005/10, n° 11, p. 7, sp. p. 8 ; J. Monéger, Le bail de l'entreprise est-il encore un contrat comme les autres, Loyers et copr., septembre 2005, p. 3 ; adde, S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, LPA, numéro spécial, 8 février 2006, n° 28, p. 39 et s., sp. p. 50.
(11) Rappr. Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, Litec, 2ème éd., 2007, n° 452 ; B. Saintourens, ibid. ; J.-Cl. Com., M.-P. Dumont-Lefrand, fasc. 2152, Procédure de sauvegarde, éd. 2006, n° 64 ; F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, Lgdj, 7ème éd., 2006, n° 280 ; D. Vidal, Droit de l'entreprise en difficulté, "Manuels", Gualino Editeur, 3ème éd., 2010, n° 392.
(12) CA Paris, 14ème ch., sect. B, 14 décembre 2007, n° 07/10181, SARL Tilsit Editions et autres c/ SA Ajoric (N° Lexbase : A6837D3M) ; v. aussi, solution implicite, CA Orléans, ch. éco. et fin., 28 juin 2007, n° 07/942, RJDA, 2007/11, p. 1109, n° 1130 ; adde, en ce sens aussi, F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 418 ; A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté : Le nouveau droit des procédures collectives, Delmas, 2ème éd., n° 938 ; F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, Litec, 2ème éd., 2008, n° 62.
(13) Ph. Froehlich et M. Sénéchal, La liquidation judiciaire, in La réforme des procédures collectives in La réforme des procédures collectives - La loi de sauvegarde article par article, dir. F.-X. Lucas et H. Lécuyer, LGDJ, 2006, p. 309.
(14) F. Auque, La résiliation du bail commercial en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire du preneur, RJ com., 2006, p. 478 et s., sp. p. 482 et 483 ; Le nouveau droit de l'entreprise en difficulté : le cas particulier du bailleur, Rev. proc. coll., 2006/4, p. 341 et s., sp. p. 342 ; A. Jacquemont, 5ème éd., n° 338 ; S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, in La réforme des procédures collectives - La loi de sauvegarde article par article, dir. F.-X. Lucas et H. Lécuyer, LGDJ, 2006, p. 119. D'abord plus hésitant, J. Monéger, Le bail de l'entreprise est-il encore un contrat comme les autres ?, Loyers et copr., septembre 2005, p. 3. Puis plus affirmatif, J. Monéger, obs. JCP éd. E, 2007, 1523, p. 27, no 44 ; J.-Cl. Com, I. Perruchot, fasc. 2226, Organes - Administrateur judiciaire - statut, éd. 2006, n° 82.
(15) P.-M. Le Corre, Droit et pratique de la procédure collective, préc., n° 433.21.
(16) P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, refonte de l'ouvrage de M. Jeantin, 7ème éd., Précis, Dalloz, 2006, n° 730.
(17) T. com. Roubaix-Tourcoing, ord. juge-commissaire, 22 décembre 2006, JCP éd. E, 2007, 1523, p. 27, n° 46, obs. approb. J. Monéger.
(18) J. Vallansan, P. Cagnoli, L. Fin-Langer L. et C. Régnaut-Moutier, Difficultés des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 5ème éd., 2009, p. 104.
(19) Ph. Roussel Galle, Les nouveaux régimes des contrats en cours et du bail, Rev. proc. coll., 2009/1, 7, p. 55 et s., sp. p. 62, n° 30.
(20) Rapp. J.-J. Hyest, préc., n° 335, p. 199.
(21) F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, Litec, 2ème éd., 2008, n° 195.
(22) V. aussi, en ce sens, Vallansan et alii, 5ème éd., p. 103 ; F. Auque, Le nouveau droit de l'entreprise en difficulté : le cas particulier du bailleur, Rev. proc. coll., 2006/4, p. 341 et s., sp. p. 343 ; P. Le Cannu, La poursuite de l'activité, Dr. patr., décembre 2009, n° 187, p. 68 et s., sp. p. 70 ; P.-M. Le Corre, préc., n° 433.11.
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