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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Première remarque liminaire : lorsque l'on n'appelle pas un chat, un chat, c'est qu'il y a comme un gêne latente à enfreindre le seuil de la maison d'un citoyen et à troubler son quotidien, même lorsque l'on présume qu'il n'est pas un honorable contribuable. Mais, le droit fiscal est coutumier du fait : pour adoucir la pilule du "redressement fiscal" -par trop corrective-, on a vu poindre dernièrement la "rectification fiscale" -errare humanum est-. Les règles sont les mêmes, mais la terminologie est sensée adoucir l'humeur du contribuable fortement soupçonné, si ce n'est d'avoir fraudé, du moins d'avoir omis malencontreusement de déclarer certains revenus, certains biens. "La perversion de la cité commence par la fraude des mots" écrivait Platon. Mais, les juges de la Cour européenne des droits de l'Homme ne s'y sont pas trompés : mettant dans le même sac "perquisition" et "visite domiciliaire" pour juger du bien fondé du recours, par l'Etat et ses commis, à ce qui constitue, par métonymie, l'une des plus graves atteintes à la personne. Dans le cadre d'un cambriolage, les victimes n'évoquent-elles pas souvent l'idée d'une violation de leur intimité... Légaliser et encadrer l'introduction de tiers -souvent non désirés - dans l'enceinte du foyer n'amoindrit certainement pas ce sentiment.
Deuxième remarque liminaire : la perquisition du domicile d'un avocat en vaut deux ! Si l'article 56-1 du Code de procédure pénale prévoit un régime particulier des "visites" matinales auprès des avocats, en permettant à ces derniers d'être assistés de leur Bâtonnier dont la valeur morale est éminente, c'est bien parce qu'en procédant à une telle perquisition, les forces de police attentent, dans le respect des lois et règlements le plus souvent, à l'intimité de l'avocat lui-même, mais également à celui de sa clientèle. Et, secret professionnel oblige, une telle violation de conscience n'est pas à prendre à la légère et doit être sévèrement encadrée lorsqu'elle apparaît nécessaire. Ce que nous enseigne la Cour de Strasbourg, dans son arrêt du 21 janvier 2010, condamnant la France pour violation de l'article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée et du domicile, c'est non seulement que l'avocat doit toujours bénéficier de garanties spéciales de procédure compte tenu de son sacerdoce judiciaire ; mais aussi, que sa profession constitue, pour lui, un état de la personne qui, à l'image du serment d'Hyppocrate pour les médecins, ne le quitte pas, qu'il soit ou non inscrit au tableau d'un Ordre français. Avocats expatriés, réjouissez-vous : vous bénéficiez des mêmes protections que vos confrères officiant dans votre pays de résidence.
Troisième remarque liminaire : si l'on ne peut que se réjouir du fait que l'article 164 de la "LME" introduise la possibilité d'un appel devant le premier président de la cour d'appel en matière de droit de visite des agents de l'administration des impôts et permette d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite, on sera coi devant cet arrêt publié de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 9 mars 2010, qui nous expliquera, sans rire, que l'appel peut intervenir un an et demi après la visite domiciliaire et an après la notification de la proposition de rectification fiscale, sans que la procédure soit contraire au "procès équitable" de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Quelle importance si le mal est fait, le juge d'appel s'en tiendra, oeillères obligent, aux éléments de fait présumant une fraude fiscale existant au moment du prononcé de l'ordonnance autorisant la "visite". Bel exercice d'abstraction pour le juge qui aura connaissance du résultat, sur le fond, de la "perquisition fiscale" et, surtout, belle garantie qu'un appel, qui s'il annule les conséquences d'une mauvaise appréciation souveraine par les premiers juges, n'emporte pas moins pour le contribuable la certitude de se faire redresser sur ce chef ou sur un autre... Faible garantie lorsque le même jour, la Cour régulatrice nous rappelle que l'article L. 16 B du LPF exige de simples présomptions, et non des indices précis, graves et suffisamment concordants pour faire présumer l'existence d'une fraude fiscale !
Dernière remarque liminaire : toujours en matière de "visite domiciliaire", on ne pourra être que circonspect, lorsque l'on apprend, par la voie de la cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 4 février dernier, que malgré le fait que le juge doive vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation de visite et de saisie domiciliaire qui lui est soumise est bien fondée, certaines ordonnances sont totalement rédigée par l'administration elle-même... Soyons heureux, alors, que le juge des libertés encense, ici, le rôle indépendant de contrôle des demandes d'autorisation de visite et de saisie administratives et l'obligation de motivation d'un tel acte, rappelant que s'il n'est pas interdit au juge de reprendre les motifs figurant dans la requête, il ne saurait être admis qu'une telle ordonnance ne comporte aucune mention dont le juge soit le rédacteur effectif et dont il résulterait qu'il ait procédé à une quelconque vérification personnelle ni concrète, même succincte et partielle du bien fondé de la demande, et alors même qu'au regard du bref délai et du nombre et de l'importance des documents produits une telle vérification eut été impossible. Et face à ce forfait procédural, contraire au sacerdoce magistral, gageons que les juges nationaux, pleinement indépendants, sanctionnent sans relâche toute atteinte aux libertés fondamentales aux titres desquelles figure le respect de la vie privée et du domicile... sinon la Cour européenne s'en chargera, à l'image de son contentieux intransigeant, mais manifestement nécessaire, en faveur des droits de la défense.
Pour conclure : l'avantage avec la numérisation, l'informatique et la cybercriminalité, c'est que l'on voit venir à grands pas la cyber-perquisition qui, si elle ne constitue pas moins une violation de l'intimité -selon ce qui se cache sur le disque dur- ne trouble pas, du moins formellement, le foyer familial... Mais, là encore, il conviendrait d'adapter les règles pour assurer une efficacité sans faille face au banditisme sur internet et face au terrorisme mondialisé, tout en préservant le respect des droits fondamentaux. Il n'y a qu'à lire la cour d'appel de Paris, toujours, dans un arrêt du 21 janvier 2010, pour s'apercevoir du chemin qu'il reste à parcourir. En l'espèce, la cour se prononce en faveur de la nullité partielle d'une procédure de visite et saisie domiciliaire, considérant que la saisie d'éléments informatiques à caractère privé ou couverts par le secret professionnel doit être annulée, sans pour autant que ces faits n'entraînent la nullité de l'ensemble de la procédure...
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