La lettre juridique n°387 du 18 mars 2010 : Licenciement

[Jurisprudence] Droit du licenciement et règlement de copropriété

Réf. : Ass. plén., 5 mars 2010, n° 08-42.843, Syndicat des copropriétaires Les Jardins de France c/ M. Baudouin-Henry Tassy, P+B+R+I (N° Lexbase : A6211EST)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Le droit du licenciement trouve sa source essentiellement dans la loi, mais peut être amélioré par différentes sources conventionnelles, voire par les usages ou le règlement intérieur de l'entreprise. Dans un arrêt en date du 5 mars 2010, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, revenant en cela sur un arrêt rendu par sa Chambre sociale en 2007, décide que les dispositions présentes dans le règlement de copropriété et limitant le pouvoir de licencier du syndic peuvent valablement être invoquées par des salariés et constituent un garantie de fond lorsqu'elles subordonnent l'exercice de ce pouvoir à une autorisation préalable de la majorité des copropriétaires. La solution (II) s'inscrit incontestablement dans la lignée de la jurisprudence actuelle (I) et doit être approuvée (III).


Résumé

La disposition du règlement de copropriété qui instaure une procédure d'autorisation préalable avant le licenciement du personnel du syndicat constitue une garantie de fond résultant valablement d'un engagement unilatéral du syndicat des copropriétaires dont les salariés peuvent se prévaloir.

I - L'existence de garanties procédurales de fond

  • Consécration de la catégorie des garanties procédurales de fond

Les procédures applicables en matière de licenciement relèvent de l'ordre public social et peuvent donc être améliorées par voie conventionnelle ou par toute autre source.

Depuis 1999, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les obligations consultatives préalables au licenciement constituent pour les salariés des garanties de fond dont le non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (1).

La même sanction concerne l'obligation d'informer le salarié du droit de saisir la commission (2), de lui communiquer les pièces du dossier (3), de l'informer sur le déroulement de la consultation (4) ou du respect des mentions qui doivent figurer impérativement sur le procès-verbal établi par la commission et transmis au salarié (5).

  • Extension constante du champ d'application de cette jurisprudence

La Cour de cassation applique cette jurisprudence non seulement aux obligations procédurales stipulées dans des conventions collectives, mais également aux dispositions de même objet contenues dans une circulaire (6), un règlement intérieur (7) ou encore un pacte d'actionnaire (8).

Dans toutes ces hypothèses, l'attribution au salarié de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse suppose que la violation des règles supplémentaires soit imputable à l'employeur ; si le non-respect est imputable à un dysfonctionnement uniquement causé par l'organisme consultatif lui-même, alors le licenciement, même prononcé sans respect de la procédure, pourra être justifié (9).

II - La consécration d'une nouvelle garantie procédurale de fond tirée de la violation des dispositions du règlement de copropriété

  • L'affaire

C'est à une nouvelle application de cette jurisprudence que nous convie l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 5 mars 2010.

Dans cette affaire, un couple avait été recruté par un syndicat des copropriétaires. Contestant la régularité de leur licenciement au regard des stipulations du règlement de copropriété, les deux salariés avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes de dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence leur avait donné raison après avoir considéré les dispositions du règlement de copropriété subordonnant le licenciement du concierge à un vote majoritaire de l'assemblée des copropriétaires comme une garantie de fond.

Cet arrêt avait été sèchement cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt inédit rendu en formation restreinte en date du 16 mai 2007 (10).

Sur renvoi, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de s'incliner et confirmé la décision de la cour d'Aix. Le syndic ayant formé un pourvoi en cassation sur le même motif que précédemment, il convenait donc de saisir l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.

  • Le désaveu de la Chambre sociale

Cette fois-ci, les deux pourvois sont rejetés et la résistance des magistrats de la cour de Montpellier récompensée, en même temps qu'est désavouée la Chambre sociale de la Cour de cassation (11).

Après avoir relevé que la clause du règlement de copropriété imposant, préalablement au licenciement d'un salarié du syndicat de copropriétaire, d'obtenir l'autorisation préalable de la majorité des copropriétaires, pouvait être invoquée directement par les salariés, la Cour affirme que cette procédure "constituait une garantie de fond" dont l'"inobservation avait pour effet de rendre sans cause réelle et sérieuse leurs licenciements".

III - Une solution justifiée

  • Le mélange apparent des genres

Le moins que l'on puisse dire est que cette solution semble audacieuse. Le lien existant entre le règlement de copropriété, en ce qu'il définit les compétences du syndic, mandataire de la copropriété, et le licenciement des salariés de la copropriété, n'est pas des plus évidents, car le premier concerne la gestion de l'ensemble immobilier, et le second les rapports avec le personnel. Si on peut comprendre que le règlement intérieur puisse instaurer une procédure préalable au licenciement et que les salariés puissent en réclamer l'application, puisqu'il s'agit du règlement de l'entreprise et qu'il concerne directement les salariés, tel ne semble pas être le cas ici.

  • Une solution justifiée

Quoi qu'il en soit, et au-delà de ces réserves, la solution est finalement justifiée, car même si le règlement de copropriété n'est pas l'instrument adéquat pour restreindre le pouvoir de licencier de l'employeur (le syndicat) ou de son représentant (le syndic), force est de constater qu'en l'espèce, il restreignait effectivement ce droit en contraignant le syndic à recueillir la majorité des voies des copropriétaires avant de prononcer un licenciement. Il s'agissait donc bien d'une procédure concernant à la fois les pouvoirs du syndic et les droits des salariés, et il semblait, dès lors, légitime que ces derniers puissent les invoquer à leur profit.

On pourrait toutefois faire observer, avec Gilles Auzero, qu'il pourrait sembler étrange de permettre au salarié d'invoquer à son profit le défaut de pouvoir de la personne qui a prononcé le licenciement pour en déduire l'absence de cause réelle et sérieuse, car en principe il conviendrait de considérer l'acte comme nul, voire inexistant, puisque la personne qui a notifié le licenciement agissait sans pouvoir (12), à moins, bien entendu, que l'acte litigieux ne soit sauvé par la personne ayant compétence, par exemple dans le cadre d'une ratification. La remarque, qui concerne ici le règlement de copropriété, nous semble d'ailleurs également valoir pour les dispositions du pacte d'actionnaire (13).

Mais on sait que la nullité du licenciement est réservée à la violation d'un statut particulier ou des droits et libertés fondamentales des salariés. Or, tel n'est évidemment pas le cas ici, et le constat du défaut de cause réelle et sérieuse semble déjà suffisant.


(1) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, Mme Jaureguy c/ M. Leray, ès qualités de liquidateur de l'association d'aide à domicile en milieu rural pour le canton de Puymirol et autre (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, Société nouvelle Air Toulouse international c/ M. Texier et autre (N° Lexbase : A6374AG8), RJS, 2000, n° 530 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, M. Demarcke c/ Société Allianz Via assurances (N° Lexbase : A3560AUE), Dr. soc., 2000, p. 1027, et les obs. ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, Mlle Yves-Marie Gustave c/ Compagnie Assurances générales de France vie (AGF Vie), FS-D (N° Lexbase : A7816AXR), Dr. soc., 2002, p. 466, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.731, M. Bernard Hubert c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A0415DDQ) ; Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 06-46.215, M. Bruno Payet (N° Lexbase : A9294EAH) et nos obs., Licenciement et non-respect des procédures conventionnelles : la Cour de cassation toujours aussi intransigeante, Lexbase Hebdo n° 325 du 6 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6856BHE) ; Cass. soc., 17 décembre 2008, n° 07-43.241, Lycée d'enseignement professionnel rural et privé L'Oustal, F-D (N° Lexbase : A9165EB3) (article 3231 du statut du chef d'établissement adopté par le conseil d'administration du conseil national de l'enseignement agricole privé) ; Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.788, M. Christophe Cuignet, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A6458EC8) (article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé du 4 novembre 1993) ; Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07-41.631, Société Le Football Club Sochaux Montbéliard, FS-D (N° Lexbase : A6184EHI) (article 13.1 de la Charte de football professionnel) ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-40.391, Société Filhet-Allard, F-D (N° Lexbase : A3098EIL) (convention collective des entreprises de courtage d'assurances) ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-40.261, Société Aviva vie, F-D (N° Lexbase : A1088ELU) ; Cass. soc., 22 septembre 2009, n° 08-42.036, Société Mutuelle du Mans assurances vie, F-D (N° Lexbase : A3547ELX).
(2) Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, Caisse méditerranéenne de financement (CAMEFI) c/ M. Jean-Pierre Darnard, F-P (N° Lexbase : A6480DMX) ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, Société SMA Vie Btp, FS-P+B (N° Lexbase : A9583DRD).
(3) Cass. soc., 11 juillet 2006, n° 04-40.379, M. Ange Cenent, F-P (N° Lexbase : A4373DQZ)
(4) Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9).
(5) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ Société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221.
(6) Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 07-44.884, M. Georges Toulouse, F-D (N° Lexbase : A7228EIK) (§ 2 de la circulaire PERS 846 relative aux mesures disciplinaires au sein d'EDF-GDF).
(7) Cass. soc., 2 mars 2010, n° 08-44.087, Association des parents d'enfants inadaptés (APEI), F-D (N° Lexbase : A6517ES8) (règlement intérieur d'une association gérant un foyer de l'Adapei).
(8) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-45.212, Société Archives généalogiques Andriveau, F-D (N° Lexbase : A0837EEQ).
(9) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, Société Saem transports de l'agglomération de Montpellier, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) (article 54 de la Convention collective nationale étendue des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986) et les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de "garanties de fond", Lexbase Hebdo n° 355 du 19 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6572BKM).
(10) Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.332, Syndicat des copropriétaires Les Jardins de France, F-D (N° Lexbase : A2510DWU).
(11) Notons, toutefois, que l'arrêt de 2007 avait été rendu par un seul magistrat, en juge unique et que ce dernier ne siège d'ailleurs plus à la Cour.
(12) G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, Dr. soc., 2010, p. 289, sp. p. 293.
(13) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-45.212, préc..

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