Réf. : CE 3° et- 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 311339 (N° Lexbase : A4547EQH)
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
le 07 Octobre 2010
L'arrêt du Conseil d'Etat du 22 janvier 2010 précise le régime d'imposition de la moins-value réalisée lors de la cession de titres qui ont fait l'objet d'une opération de recapitalisation. Le Conseil d'Etat met en oeuvre, dans le cadre d'une opération de réduction suivie d'une augmentation de capital, le même raisonnement que celui retenu par lui dans l'arrêt "SA financière Fauvernier" (CE 9° et 10° s-s-r., 26 mars 2008, n° 301413 N° Lexbase : A5967D77), en présence d'une chronologie inverse des opérations d'augmentation et de réduction du capital, inscrivant ainsi l'arrêt rapporté dans le prolongement de la décision "SA Rexel" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mars 2001, n° 199580 N° Lexbase : A1571ATD).
I - Le traitement fiscal de la plus ou de la moins value de cession de la participation lors d'une opération de recapitalisation
La seule conséquence patrimoniale du "coup d'accordéon" est un renchérissement du coût d'acquisition de la participation, le prix de revient total de cette dernière est, alors, indifférent à l'ordre des opérations de recapitalisation.
A - Les règles de la méthode ou l'apport de la jurisprudence "SA financière Fauvernier"
Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 22 janvier 2010 vient compléter la construction jurisprudentielle en diptyque du traitement fiscal des plus ou moins-values constatées lors d'une opération de recapitalisation ayant pour but d'apurer la situation financière d'une société, effectuée par le biais d'un "coup d'accordéon". Une première moitié du tableau avait, déjà, été tracée sous l'arrêt du 26 mars 2008 "SA financière Fauvernier" : la Haute juridiction avait, alors, jugé que, lorsque le capital d'une filiale est augmenté puis réduit du même montant par imputation des pertes, il convient de prendre en compte les coûts supportés lors des différentes souscriptions de titres acquis puis cédés, alors même que le taux de participation dans le capital de la société n'a pas varié. Le "coup d'accordéon" a, en conséquence, pour effet l'entrée d'un nouvel élément de l'actif. La Haute juridiction précisait, alors, qu'à concurrence de la fraction correspondant au rapport entre les parts souscrites depuis moins de deux ans et le total des parts souscrites, la moins-value relevait du court terme.
Toutefois, le "coup d'accordéon", qui consiste à réaliser concomitamment une réduction et une augmentation de capital afin d'éponger les pertes dans une perspective d'ouverture du capital à un nouveau partenaire, soulève, en ce qui concerne l'application du régime fiscal des plus et des moins-values, une délicate question de traitement de ces dernières selon que la décision de la filiale est de réduire son capital ou de procéder, comme cela était le cas dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 mars 2008, en premier lieu à une augmentation du capital, puis à une réduction. Quand une cession porte sur des titres de nature identique, mais acquis à des dates différentes, la règle applicable est celui du premier entré, premier sorti.
La chronologie des opérations menace de conduire à des traitements fiscaux des plus et moins-values différents : les articles 39 duodecies (N° Lexbase : L5513IC8) à 39 quindecies du CGI imposent, en effet, un traitement différent aux plus et moins-values de cession de titres de participations, selon qu'elles sont considérées comme étant à court terme ou à long terme, c'est-à-dire selon que les titres sont détenus depuis plus ou moins de deux ans. Alors même qu'une opération de recapitalisation consiste à réduire puis augmenter un capital du même montant par suppression de titres puis émission de nouveaux titres, il ne va pas nécessairement de soi que les titres que l'on supprime soient les mêmes que ceux que l'on apporte.
B - Lors d'une annulation du capital suivie d'une augmentation du même montant, la proportion de plus-value à court et à long terme est déterminée en tenant compte des premiers titres acquis
Lorsque des titres de participation sont annulés après avoir été émis (augmentation puis réduction de capital), la question se pose de savoir si les titres que l'on annule sont les mêmes que ceux que l'on vient d'émettre ou si l'on doit, en application des dispositions de l'article 39 duodecies du CGI (règle du premier entré premier sorti), considérer que les titres annulés sont ceux correspondant à l'acquisition initiale. Exclure l'une ou l'autre de ces deux alternatives n'est guère satisfaisante et une articulation de ces deux voies est plus satisfaisant et c'est ce qui a été proposé par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 14 décembre 2006, n° 02LY01663 N° Lexbase : A1288DTU) confirmé en cassation par le Conseil d'Etat.
Cependant, la transposition de la solution retenue par le Conseil d'Etat sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", conduisant à une ventilation proportionnelle de la plus et moins-value entre long et court terme en fonction du nombre de titres nouvellement émis par rapport au total des titres émis par la société, à une opération de recapitalisation débutant par une annulation du capital de la société et se prolongeant par l'émission de nouveaux titres, n'allait pas de soi. C'est qu'une opération de réduction du capital suivie d'une émission de titres nouveaux n'emporte pas les mêmes conséquences quant à la constitution du portefeuille titres que ceux que l'on peut effectuer en présence d'une augmentation de capital suivie d'une réduction. Il est tentant de considérer qu'en cas de cession postérieure à l'émission de nouveaux titres, seuls ceux-ci sont cédés à l'exception des premiers titres nécessairement supprimés par la réduction du capital conduite avant augmentation. La plus ou moins-value constatée ne pourrait alors être que de court terme.
Le traitement fiscal similaire des plus et moins-values lors d'une opération de recapitalisation consistant en une augmentation suivie d'une réduction et d'une réduction suivie d'une augmentation, retenu sous l'arrêt du 22 janvier 2010, outre qu'il séduit par la symétrie qu'il instaure, prend racine dans le traitement comptable de telles opérations : le droit fiscal n'édicte pas de règles autonomes lorsqu'il peut emprunter les matériaux nécessaires à la résolution des problèmes qu'il rencontre auprès de droits voisins ; ce constat se vérifie ici. Le lien direct et indissoluble entre les titres anciens et les titres nouveaux est tiré du droit comptable lequel préconise en cas d'annulation des titres anciens et émission concomitante de titres nouveaux de ne pas sortir du bilan les titres anciens, au motif d'un lien substantiel entre les titres nouveaux et les titres annulés.
La solution du 22 janvier 2010 était, déjà, esquissée en filigrane par celle de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 octobre 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 17 octobre 2008, n° 293467 N° Lexbase : A7907EA4) s'inspirant, alors, de l'approche comptable et qui avait conduit le Conseil d'Etat à juger qu'une société ne peut pas comptabiliser une moins-value à court terme à raison de la réduction à zéro du capital de sa filiale, dès lors que cette réduction n'a été décidée que sous condition suspensive de la réalisation d'une augmentation de capital pour laquelle les actionnaires en place bénéficiaient de droits préférentiels de souscription.
La censure l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris apparaît, ainsi, comme le terme d'une évolution largement initiée par la jurisprudence antérieure.
II - L'ordre des opérations de recapitalisation est sans incidence sur la détermination du prix de revient total de la participation
L'annulation des titres n'étant pas regardée comme une perte définitive, le supplément du coût d'acquisition des titres qui résulte de la souscription à l'augmentation de capital doit être réparti proportionnellement entre les titres acquis à l'origine et ceux issus de l'augmentation de capital.
A - La solution retenue met en oeuvre les règles définies par l'arrêt "SA Rexel" du 16 mars 2001
Lorsqu'en novembre 1992, la société P., société mère de la société italienne T., cède sa participation, le Conseil d'Etat juge qu'elle ne peut être regardée comme ne cédant que les titres qu'elle a initialement acquis alors qu'elle a, dans l'intervalle, souscrit de nouveaux titres émis en contrepartie d'apports en numéraire. Le coût d'acquisition des participations s'entend en conséquence de la "valeur d'origine" qui est celle pour laquelle les titres ont été acquis initialement et sont inscrits au bilan, alourdi du prix de souscription des nouveaux titres émis consécutivement aux réductions de capital. La détermination du prix de revient de l'opération transpose, alors, le raisonnement retenu sous l'arrêt "SA financière Fauvernier" et applique les règles dégagées sous l'arrêt "SA Rexel".
Cette approche neutralise la chronologie des opérations des opérations de restructuration Le Conseil d'Etat privilégie une approche économique de l'opération de recapitalisation et juge que la cession des titres qui a fait l'objet de l'opération de recapitalisation doit être regardée comme portant à la fois sur des titres initialement détenus et des titres acquis lors de l'augmentation de capital.
B - La ventilation de la moins-value doit se faire en fonction des montants versés lorsque le prix unitaire des titres varie entre la souscription initiale et l'augmentation de capital
Une fois la nature de la moins-value réalisée lors de la cession des titres ayant fait l'objet de l'opération de recapitalisation précisée, il reste à établir l'incidence de l'opération sur le calcul de la durée de détention des titres puis à ventiler la plus ou la moins-value de cession entre court et long terme. Sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", le Conseil d'Etat avait mis en oeuvre une règle simple de ventilation de la plus ou moins-value de long et de court terme : la ventilation doit être proportionnelle au nombre de titres acquis par la société mère à l'origine puis par souscription. Plus exactement, il avait été retenu un prorata : "à proportion des rapports existant entre les parts acquises lors de chaque souscription et le total des titres détenus à l'issue de l'augmentation de capital".
Cette règle simple de répartition (prorata au nombre de titres) convenait parfaitement à une opération de recapitalisation dans laquelle le prix unitaire de l'action était le même lors de la souscription initiale et lors de l'augmentation de capital. Sous l'arrêt du 22 janvier 2010, le Conseil d'Etat retient le même principe de ventilation, mais se trouve, cette fois, en présence d'un prix unitaire de l'action qui varie ; il adapte, en conséquence, la règle du prorata : ce qui importe ce n'est pas le nombre de titres, mais le montant des versements opérés à chaque coup d'accordéon. Le prorata n'est, cette fois, pas appliqué à un nombre de titres, mais déterminé en fonction des apports versés. L'application de cette variante de la règle du prorata retenue sous l'arrêt "SA financière Fauvernier", est motivée par la logique économique du "coup d'accordéon", qui supplante l'approche strictement économique.
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