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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Patrick Léonard : Cette vocation est née de mon désir de dépasser le simple exercice individuel, pour m'impliquer au niveau collectif. Elle s'est imposée à moi en tant que suite logique de la voie que j'avais empruntée jusque là.
J'ai, tout d'abord, exercé les fonctions de membre du conseil de l'Ordre. Parallèlement, j'ai enseigné la procédure civile au sein du centre de formation professionnelle de la cour d'appel de Nîmes jusqu'en 2005. J'ai rejoint ensuite, pour deux mandats, le conseil d'administration de la CARPA, dont je suis devenu président il y a cinq ans. J'employais une grande partie de mon temps à réformer et moderniser l'institution. Enfin, j'ai été élu délégué régional auprès de l'UNCA (Union nationale des CARPA), dont je suis, depuis 2008, l'un des administrateurs.
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le Barreau de Nîmes ? Quelle est son identité ? Quelles sont ses spécificités ?
Patrick Léonard : L'identité du Barreau de Nîmes tient, en premier lieu, à sa cohésion. Toutes les formes d'exercice professionnel y sont représentées et sont prises en compte. Les avocats du conseil ne se sentent pas différents des avocats du judiciaire et vice versa. Ils exercent tous la même profession d'avocat, dans le respect des termes de leur serment, avec le même souci de compétences, d'éthique et de rigueur, et sont tous et au même titre des créateurs de droit.
Au titre de mon mandat, je continue dans cette volonté d'unité. Depuis 34 ans que j'exerçais dans le monde judiciaire, j'étais connu de lui. Mes fonctions au sein de la CARPA m'ont permis de me rapprocher de tous mes autres confrères, issus du milieu du conseil. J'ai très vite compris la nécessité d'envisager cette profession comme une entité globale.
Tout clivage est néfaste. Nous devons tous oeuvrer pour que l'avocat ne soit plus perçu par le public comme l'équivalent du "chirurgien urgentiste" en matière pénale. Les usagers du droit doivent savoir que l'activité judiciaire ne représente qu'une petite partie de notre activité globale.
Pour se rapprocher d'eux, le Barreau mène une politique forte de partenariats. Des conventions sont signées avec, notamment, le tribunal de grande instance de Nîmes pour le Conseil départemental de l'accès au droit (CDAD), le club de presse et de communication du Gard, avec la Chambre de commerce, avec la Chambre des métiers, avec la faculté, avec le Conseil général du Gard pour les droits de l'enfant et avec la Maison des ados. Nous avons, également, créé l'Institut nîmois des avocats conseil (INAC), afin de rapprocher l'avocat des dirigeants, qu'il s'agisse de TPE ou de multinationales.
Le Barreau de Nîmes s'implique aussi fortement dans la "mission de service public" qu'est la défense pénale. Le dispositif repose, en majeure partie, sur les avocats qui, d'une part, assurent les permanences et, d'autre part, supportent financièrement le système à double titre : eu égard à la rémunération dérisoire qu'ils perçoivent au titre de l'aide juridictionnelle (16 unités de valeur qu'il s'agisse d'une procédure devant le juge de proximité ou devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité -QPC-) et compte tenu de la prise en charge du coût de celle-ci par les Ordres. L'Ordre de Nîmes emploie, de son côté, un salarié à temps plein pour gérer les permanences.
Notre Barreau est, enfin, pluraliste, dans le sens où toutes les spécialités y sont représentées, du droit de la famille au droit des affaires, en passant par le droit public. La filière d'enseignements de cette dernière matière proposée par la faculté de Nîmes ne cesse de se développer. L'Ordre a souhaité accompagner ce mouvement. Nous avons participé à la mise en place d'une formation complémentaire dispensant un diplôme de contentieux du droit public.
Lexbase : Quels sont les prochains rendez-vous fixés par votre Barreau ?
Patrick Léonard : Le Barreau de Nîmes souhaite commémorer l'action d'un de ses membres, le Bâtonnier Charles Bedos, le 29 mars prochain. Une cérémonie débutera à 11 heures devant le Palais de justice, au cours de laquelle sera apposée une plaque en sa mémoire. Pendant la Seconde guerre mondiale, Charles Bedos n'a pas hésité à prendre la défense de deux jeunes communistes qualifiés de terroristes par la police de Vichy (2), Jean Robert et Vincent Faïta. Pour cette défense et pour autres actes de résistance, la Gestapo l'a arrêté et déporté au camp de Mauthausen, auquel il a réchappé.
Nous organisons, également, un colloque qui se tiendra à Nîmes, le 10 septembre prochain, sur le thème des bouleversements de la norme en droit du travail, auquel vont participer les plus grands spécialistes de la matière, issus tant du monde universitaire que professionnel.
Lexbase : Faisons, maintenant, un tour d'actualité. La question se pose de la réforme de la gouvernance. Pensez-vous qu'elle soit nécessaire ?
Patrick Léonard : Si vous pensez aux barreaux de cours, sachez que cette solution me semble être une fausse bonne idée, en ce que les avocats seraient éloignés de leurs interlocuteurs naturels. Le maillage du territoire serait, me semble-t-il, bien mal assuré. Le désengagement de l'Etat en la matière (ainsi qu'en témoigne la réforme de la carte judiciaire, par exemple) est très inquiétant, notamment, parce que les premiers touchés sont, forcément, les plus nécessiteux.
Mon avis est que le lieu de vie d'un barreau, son siège, doit être le même que celui du président du tribunal de grande instance et du procureur de la République. C'est à cet échelon que le rôle du Bâtonnier est indispensable. Ceci n'écarte ni les perspectives d'une représentation nationale renforcée (dont le CNB serait le plus légitime prétendant), ni la possibilité de mutualiser les moyens.
La question est, en fait, de savoir si les moyens, en particulier administratifs et financiers, peuvent être mutualisés au niveau régional. Outre le regroupement des CARPA, je pense à l'inscription des avocats et à l'organisation de la représentation des parties devant la cour par les avocats du ressort.
D'autres solutions existent, qui répondent aux impératifs de proximité. Nous avons créé la Conférence des Bâtonniers de la cour d'appel de Nîmes.
Lexbase : Une autre question fait débat, celle de l'élargissement du champ d'intervention de l'avocat. Le Conseil national des barreaux en a fait un cheval de bataille, quand d'autres (notamment, le Président de la Conférence des Bâtonniers) appellent à une réflexion approfondie en amont sur les différences de métiers et la place de la déontologie. Quelle est votre position ?
Patrick Léonard : Je suis, a priori, favorable à toutes les formes d'élargissement des champs d'intervention, mais je pense qu'elles passent par la reconnaissance de l'avocat comme conseil privilégié et permanent de l'"usager du droit", en toutes matières. L'avocat est LE professionnel du droit qui intervient dans le cadre d'une activité fortement réglementée, qui bénéficie d'une formation initiale de qualité et qui est soumis à une obligation de formation continue sanctionnée. Il est, donc, le seul professionnel en mesure d'offrir une vraie compétence.
Partant de ce postulat, il est permis d'étendre les domaines d'intervention, sous réserve du respect de la déontologie et des principes essentiels régissant notre exercice. Ainsi, pour exemple, la fiducie ou le mandat de protection future me semblent être d'excellentes opportunités. D'autres avancées récentes s'inscrivent dans le coeur même de notre exercice, tels la QPC ou l'acte d'avocat (dont on attend avec impatience son examen par l'Assemblée).
Lexbase : Michèle Alliot-Marie vient de soumettre à la concertation l'avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale. Les réactions ont été vives et nombreuses, en particulier de la part des avocats et des magistrats. Une marche réunissant plusieurs milliers de personnes a eu lieu à Paris le 9 mars dernier (1). Quel est votre sentiment sur le texte ? Etes-vous solidaire de ce type d'initiatives ?
Patrick Léonard : Concernant la marche du 9 mars dernier, il faut rappeler que l'initiative était syndicale. Or, l'expression syndicale ne se confond pas avec l'expression ordinale et le mot d'ordre du représentant des Bâtonniers, la Conférence, a été de privilégier l'écoute et le dialogue. Mon devoir est de suivre cette directive, ce qui m'allait, également, sur le plan personnel.
Il n'en demeure pas moins que nous nous mobilisons également fortement, face à un texte qui est tout sauf satisfaisant. Je ne fustige pas nécessairement la suppression du juge d'instruction. La création de ce statut a été dictée pour répondre aux besoins de la population du XIXème siècle, rurale, pour une grande partie analphabète et dont les principales préoccupations avaient trait à la famille, la propriété, les successions etc.. Le juge d'instruction leur rendait le droit et la défense de leurs intérêts accessibles. Aujourd'hui, la société est complètement transparente et ces besoins ont évolué. Une réforme peut, donc, être amorcée, mais sous conditions. En particulier, elle doit nécessairement permettre un réel contrepoids au Parquet. Les droits de la défense doivent être autant assurés que ceux de l'accusation. Dans ce cadre, le rôle de l'avocat dans les différentes procédures (dont celle de la garde à vue) doit être renforcé. Les propositions formulées par la Chancellerie de limiter l'intervention de l'avocat au cours de cette mesure à deux entretiens d'une demi-heure et l'instauration d'une garde à vue "light", l'"audition libre", propice à favoriser les abus, est inacceptable. Le système français est loin d'être d'équerre avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme. Il est grand temps d'y remédier.
Et, depuis son entrée en vigueur en mars 2010, la question de la conformité de la garde à vue aux exigences du respect des droits fondamentaux est la QPC la plus posée au Conseil. En partenariat avec l'UJA, nous avons organisé une opération qui prévoyait que je sois commis d'office sur deux dossiers, afin, justement, de soulever la QPC et la nullité de la procédure.
Par jugement du 1er mars 2010 et dans deux dossiers, le tribunal correctionnel de Nîmes a retenu la QPC pour le premier, et la nullité de l'audition du prévenu au regard de la Convention européenne des droits de l'Homme dans le second.
Enfin, il me semble impératif que cette réforme, d'une part, consacre l'indépendance du Parquet et, d'autre part, organise un arbitrage effectif et impartial par le juge de l'instruction.
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