Réf. : CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05 (N° Lexbase : A4497EQM)
Lecture: 9 min
N5907BN4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Le requérant, estimant avoir été privé du bénéfice tant du régime de protection spéciale prévu à l'article 56-1 du Code de procédure pénale que d'un recours effectif devant une instance nationale pour contester la perquisition et les saisies, saisit la CEDH qui décide de le suivre sur ces deux points. Par le présent arrêt, la Cour condamne, en effet, l'Etat français pour violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4798AQR) en estimant que "l'ingérence était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé, et que l'intéressé n'a pas bénéficié d'un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était nécessaire dans une société démocratique".
Epousons la démarche suivie par la Cour européenne, en envisageant successivement ces deux fondements, le premier -de pur fond-, tenant à la violation de l'article 8 de la Convention qui pose le principe du droit au respect du domicile (I), le second -de procédure-, touchant à la violation du droit à un recours effectif (II).
I - La violation du droit au respect du domicile
Avant d'envisager la question du droit au respect du domicile de l'avocat (B), il fallait au préalable déterminer si ce dernier pouvait bénéficier des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale (A) alors qu'il n'était pas inscrit au barreau français.
A - L'applicabilité des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale
En l'espèce, les parties s'opposaient sur la question de savoir si la perquisition litigieuse était intervenue au domicile du requérant en sa qualité d'avocat ou de simple particulier. La réponse était essentielle puisqu'elle conditionnait l'applicabilité du régime des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale qui dispose que "les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué".
Selon le Gouvernement, la perquisition litigieuse était intervenue au domicile du requérant en sa qualité de simple particulier, de sorte qu'il ne relevait pas du régime de protection spéciale prévu pour les perquisitions au domicile des avocats. L'argument n'était pas dénué de pertinence, dès lors que l'avocat requérant, exerçant à titre principal son activité au Portugal, n'était inscrit à aucun barreau en France. Or, selon le Gouvernement, la profession d'avocat ne peut s'exercer que dans le cadre d'un ordre professionnel et requiert une inscription auprès de l'autorité compétente de l'Etat membre. Aussi, le requérant ne justifiant ni de son inscription auprès d'un barreau français, ni d'une quelconque activité en France, il ne pouvait prétendre bénéficier des garanties spéciales susvisées.
La Cour européenne refuse cependant de suivre le Gouvernement sur ce point. Elle relève, en effet, que les dispositions du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), modifié par le décret n° 2004-1123 du 14 octobre 2004 (N° Lexbase : L3686GU3), permettent aux avocats ressortissants de l'un des Etats membres de la Communauté européenne de venir accomplir à titre permanent ou occasionnel, sous leur titre professionnel d'origine, leur activité professionnelle en France. L'article 202 du décret impose seulement aux avocats exerçant à titre occasionnel leur activité sur le territoire français de faire usage de l'un des titres mentionnés à l'article 201, et de pouvoir justifier de leur qualité auprès de l'autorité devant laquelle il se présente lorsqu'il assure une prestation de service. Ainsi, à la différence d'un avocat exerçant à titre permanent, l'avocat n'exerçant son activité qu'à titre occasionnel n'est pas tenu de s'inscrire auprès d'un barreau national. En conséquence, la Cour relève que le requérant n'a pas été mis en mesure de bénéficier des dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale auxquelles il pouvait, pourtant, prétendre, dès lors qu'il remplissait les conditions prévues par le droit interne pour exercer la profession d'avocat en France à titre occasionnel. La question de la violation de l'article 8 de la Convention pouvait dès lors être posée.
B - Le droit au respect du domicile de l'avocat
L'article 8 de la CESDH dispose que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance" avant d'ajouter, en son alinéa 2, qu'il "ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".
La Cour européenne observe d'emblée que l'ingérence constituée par la perquisition avait, conformément à l'article 8 de la Convention, une base légale dès lors que les articles 92 (N° Lexbase : L7166A48) et 94 (N° Lexbase : L8713GQR) du Code de procédure pénale permettaient au juge d'instruction d'ordonner la perquisition et qu'elle poursuivait un but légitime, à savoir la recherche de preuves et la prévention des infractions pénales (3).
En revanche, la Cour de Strasbourg refuse, en l'espèce, de considérer l'atteinte au droit au respect du domicile constituée par la perquisition comme nécessaire et proportionnée au but poursuivi. Sans doute le droit de la Convention n'interdit-il pas d'imposer aux avocats un certain nombre d'obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients, notamment en cas d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction. Mais, dès lors qu'en l'espèce la perquisition litigieuse concernait des faits totalement étrangers au requérant, ce dernier n'ayant à aucun moment été soupçonné d'avoir commis une infraction ou participé à une fraude quelconque en lien avec l'instruction, l'atteinte au droit au respect du domicile -l'intérêt sacrifié- n'était pas proportionnée à l'intérêt protégé -la prévention d'infractions pénales- : "l'ingérence était, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport au but visé".
En outre, après avoir rappelé, conformément à sa jurisprudence constante (4), que "les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l'article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante", la Cour ajoute que l'atteinte au droit au respect du domicile constituée par une perquisition doit impérativement être entourée de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (5), plus particulièrement encore s'agissant des perquisitions et des saisies au domicile ou dans le cabinet d'un avocat dès lors que ces actes sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre son client et lui (6). Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet ou au domicile d'un avocat (7), celles-ci doivent impérativement être assorties de "garanties spéciales de procédure" (8), ce qui est notamment le cas lorsqu'elles sont exécutées en présence du Bâtonnier de l'Ordre des avocats (9). Aussi, en refusant à l'avocat requérant le bénéfice des garanties spéciales prévues par l'article 56-1 du Code de procédure pénale, l'Etat français a violé l'article 8 de la Convention.
Mais, outre cette question de fond tenant au droit au respect du domicile, la Cour européenne condamne également l'Etat français sur le fondement du droit à un recours effectif.
II - La violation du droit à un recours effectif
La CESDH du 4 mars 1950 impose aux Etats signataires qu'il existe pour tout justiciable "un recours effectif devant une instance nationale". Or, la Cour européenne considère que ce "droit au juge" n'a pas été respecté en l'espèce dès lors que l'avocat requérant n'a "pas bénéficié d'un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence à ce qui était nécessaire dans une société démocratique" (10), aucun recours effectif ne lui ayant été offert pour contester la perquisition et les saisies dont il a fait l'objet.
S'agissant d'abord du recours exercé devant le juge des libertés et de la détention, en vue de faire constater l'illégalité de la perquisition et obtenir la restitution des objets saisis, la Cour relève que cette procédure a pour unique objet de trancher les contestations élevées par le Bâtonnier ou son représentant à l'occasion de la saisie de documents dans le cadre de la perquisition du cabinet ou du domicile d'un avocat. Or, le Bâtonnier ou son représentant n'ayant pas assisté à la perquisition au domicile du requérant, un tel recours était, par hypothèse, voué à l'échec.
Quant au recours devant le président de la chambre de l'instruction ensuite, la Cour note que le requérant n'avait pas la qualité requise par la loi, dès lors qu'il n'était ni partie à la procédure ni témoin assisté. En conséquence, ce second recours ne saurait être qualifié d'efficace, d'autant que le mécanisme du pourvoi en cassation n'était légalement pas ouvert au requérant, eu égard aux dispositions de l'article 567-1 du Code de procédure pénale, aux termes desquelles le président de la chambre criminelle rend une ordonnance de non admission s'agissant des pourvois formés contre une décision non susceptible de recours.
Enfin, la Cour européenne rejette l'argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait pu introduire une action en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux de la justice sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3), de sorte que les voies de recours internes n'auraient pas été épuisées. En effet, de nature exclusivement indemnitaire, un recours pour une mise en jeu de la responsabilité de l'Etat n'aurait pas été de nature à permettre l'annulation de la perquisition litigieuse, seule recherchée par le requérant, si bien qu'un tel recours ne saurait être conçu comme un "contrôle efficace" de la légalité de la perquisition et des saisies.
Dans ces conditions, il apparaît que le requérant n'avait pas été en mesure d'invoquer utilement ses griefs dans le cadre des procédures internes. La CEDH ne pouvait, dès lors, que conclure à la violation du droit à un recours effectif.
(1) C. proc. pén., art. 99 (N° Lexbase : L7171A4D).
(2) Sur l'analyse détaillée des règles gouvernant les perquisitions et les saisies dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, v. notamment B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 21ème éd., 2008, n° 684 ; S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 4ème éd., 2008, n° 333, 1866.
(3) Voir déjà, en ce sens, CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396 (N° Lexbase : A6532AWT).
(4) CEDH, 25 février 1993, Req. 83/1991/335/408 (N° Lexbase : A6543AWA), série A, n° 256-B, p. 62, § 38 ; CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, § 68 (N° Lexbase : A3073A7X), CEDH 2003-IV).
(5) V., notamment, CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407, §§ 56, 39 et 37 (N° Lexbase : A6542AW9), série A, n° 256-A, B et C ; CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71, §§ 50, 54 et 55 (N° Lexbase : A3754ET9), série A, n° 28 ; CEDH, 24 août 1998, Req. 88 /1997/872/1084, § 31 (N° Lexbase : A7236AWW), CEDH 1998-V ; CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752 /00, § 35 (N° Lexbase : A6255DH7).
(6) CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, § 41 (N° Lexbase : A8281D9L).
(7) V. Particulièrement S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 4ème éd., 2008, n° 333, 1866.
(8) CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991/324/396, précité, § 37 ; CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, précité, § 69 ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, précité, § 42.
(9) CEDH, 25 février 2003, Req. 51772/99, précité, § 69 ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03, précité, § 43.
(10) V. également en ce sens, CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71, précité, §§ 50, 54 et 55, et CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752/00, précité, § 35 et 43.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:385907